
Trois minutes. C’est le temps qu’il aura fallu à Xiaomi pour engranger plus de 200 000 commandes de son nouveau SUV électrique, le YU7, lancé le 26 juin sur le marché chinois. Moins de 18 heures plus tard, 240 000 commandes fermes étaient enregistrées. Un départ sur les chapeaux de roue pour le second véhicule du géant chinois de l’électronique grand public, qui rêve de devenir un poids lourd de l’industrie automobile.
Un succès fulgurant qui cache pourtant un pari risqué. Lorsqu’en 2021, Lei Jun, fondateur et PDG de Xiaomi, annonce vouloir se lancer dans l’automobile, la plupart des observateurs ne le prennent pas au sérieux : Apple vient alors d’abandonner son propre projet. Trois ans plus tard, en mars 2024, Xiaomi crée la surprise avec la SU7, une berline électrique haut de gamme, très bien dotée technologiquement à un prix très compétitif, fruit d’un investissement colossal de plusieurs milliards de yuans. Dès son lancement, la voiture rencontre un énorme succès, capitalisant sur la large base de fans de la marque. En seulement 14 mois, les ventes du SU7 dépassent les 258 000 unités : c’est davantage que Tesla durant ses six premières années de commercialisation.
Pour son deuxième modèle, le YU7, le jeune constructeur a opté pour un SUV électrique de 4,99 mètres de long et 1,99 mètre de large, apte à rivaliser avec la BYD Tang L et surtout la Tesla Model Y, que le groupe prend ouvertement pour cible. « Le SUV Xiaomi surpasse le SUV Tesla dans tous les domaines », a affirmé Lei Jun, devenu l’homme le plus riche de Chine, avec une fortune estimée à plus de 500 milliards de yuans. Ce discours offensif, contribue à positionner Xiaomi comme un rival direct du constructeur californien, sur un marché chinois où Tesla commence justement à être en perte de vitesse.
Outre son prix compétitif (253 500 RMB soit 30 000 € environ, contre 263 500 RMB pour le Model Y), le YU7 offre tout le confort nécessaire : sellerie en cuir nappa, sièges massants et inclinables, écrans tactiles à l’avant et à l’arrière, affichage panoramique intégré au pare-brise. Le YU7 en a également sous le capot : jusqu’à 620 km d’autonomie récupérés en 15 minutes, mais aussi des fonctionnalités avancées comme le régulateur adaptatif, le stationnement automatique et la conduite semi-autonome. De quoi séduire une clientèle urbaine et technophile. Le groupe évoque déjà une commercialisation en Europe d’ici 2027.
Mais l’ascension automobile de Xiaomi ne s’est pas faite sans accrocs. Plusieurs incidents récents sont venus ternir l’image du constructeur : un accident mortel en mode de conduite semi-autonome et des accusations de publicité mensongère autour d’un capot en fibre de carbone proposé en option sur son modèle SU7 ultrapuissant. Des analystes commencent même à douter de la réalité des chiffres avancés par la marque, les bons de commande prioritaires faisant l’objet d’un véritable business sur le marché noir. Un phénomène que Xiaomi cherche à endiguer en rendant ses commandes non transférables.
Sortant de son silence au mois de mai, Lei Jun a reconnu que cette période était « la plus difficile de sa carrière ». Dans la foulée, le groupe a présenté ses excuses aux clients lésés, invoquant une « communication peu claire » et leur proposant une compensation d’une valeur de 2 000 yuans en points de fidélité. Une offre jugée insuffisante par de nombreux clients.
Pour ne rien arranger, les délais de livraison ajoutent à la frustration des acheteurs, car la capacité actuelle de l’usine pékinoise est déjà saturée jusqu’en 2027. Elle vient pourtant d’être augmentée à 300 000 véhicules par an. Xiaomi est ainsi confronté à un véritable dilemme industriel : faut-il allouer plus de ressources au YU7, quitte à freiner le SU7 ? Ou l’inverse ? Une décision stratégique, qui ne pourra pas attendre que le troisième site de production sorte de terre. Or, si Xiaomi veut s’installer durablement dans le paysage automobile chinois, il devra démontrer qu’il est capable de livrer à temps ses clients tout en garantissant la sécurité de ses véhicules – seul moyen de faire taire les critiques.
Sommaire N° 21 (2025)