Dès la naissance en 1970, Zhang avait tout reçu, servi par les Dieux – famille cultivée et à l’abri du besoin, facilité aux études et aux contacts sociaux. Toujours premier de la classe, il avait emporté au Gaokao (baccalauréat) en 1988 un score lui ouvrant grand la porte à la faculté de chimie à l’université de Wuhan. 12 ans d’études lui avaient valu un doctorat haut la main, puis une place de lecteur (coopté par ses ex-profs et désormais collègues), bientôt convertie en celle de professeur associé. A 30 ans, il devenait l’un des plus jeunes professeurs universitaires de chimie du pays.
Plutôt bel homme, il ne s’était jamais marié, préférant sa carrière, surtout la recherche dans les substances psychotropes. Dans le cadre de ses coopérations universitaires, il avait vu bientôt arriver des invitations à l’étranger : de forts jolis voyages aux Etats-Unis et au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Australie, où il se faisait de nombreux amis parmi ses collègues.
En 2004, hélas, une mission au pays des kangourous devait le mettre en grand danger. Un soir après un colloque, un joyeux conférencier l’avait entraîné dans une rave party, très en vogue dans ce pays. Sur fond de musique techno à plein tube, il l’avait initié à l’ecstasy, source de trips psychédéliques…
Le lendemain matin, tiré de son hallucination, il avait dû se rendre à l’évidence : comme son initiateur lui avait expliqué, ces petites pilules vendues sous le manteau étaient rares et hors de prix, car illégales. Zhang alors décida d’en devenir producteur en Chine, et de fournir ce plaisir à cet monde extérieur qui en raffolait – et qui pouvait faire sa fortune.
De retour à Wuhan, il avait effectué en privé une série de tests de production de la méthylone, un psychotrope de la classe des métamphétamines, qui avait été inventé pour sevrer les drogués à l’ecstasy.
En 2005, il ouvrit sa société chimique et loua un entrepôt de 800m² dans une zone industrielle du district de Jingxia (cf photo). Pour personnel, il prit Yang et Feng, cousins originaires du village familial, et Bao, un de ses doctorants, garçon en adoration devant le maître, bon chimiste au demeurant. Ainsi paré, il avait une équipe loyale, compétente, sure de tenir sa langue.
Il passa de longues heures à la bibliothèque de la faculté, à repérer les différentes drogues à synthétiser, les plus en vogue sur les marchés occidentaux. De la sorte, il avait sélectionné une quarantaine de drogues entactogènes ou empathogènes prisées des toxicomanes. Méticuleux, il visait le plus haut degré de pureté : cela lui permettait de ne produire qu’en petits volumes, laissant aux clients (la plupart anglosaxons) la charge de les diluer avant d’en faire des comprimés.
Pour brouiller les pistes, il diversifiait ses pays d’envoi et ses produits tels la drogue « zombie Flakka », la phénéthylamine, l’amphétamine, la cathinone et la kétamine. Il écoulait par petits colis, sous des dénominations innocentes telles «échantillons chimiques », «échange de recherche universitaire » ou plus benoîtement encore, « sels de bains ». Les noms d’expéditeurs comme de récipiendaires changeaient en permanence. Pour se faire payer, il recourrait à des canaux difficiles à remonter, Bitcoin ou agences Western Union. Comme couverture, son entreprise se présentait comme productrice de gélules ou de solvants – articles qu’elle se dispensait de produire, se contentant de les acheter ailleurs pour satisfaire les rares commandes…
Entretemps, le bon professeur poursuivait son activité diurne de cours magistraux en amphithéâtre. Mais pourquoi, demandera-t-on, cet homme brillant s’était-il lancé dans cette vie criminelle ? À 200.000¥ par an de salaire professoral, il eût gagné assez pour soutenir un train de vie enviable. Mais autour de lui, les collègues géraient tous une, parfois plusieurs entreprises parallèles, basées sur l’exploitation de leurs recherches et du travail gratuit de leurs étudiants-stagiaires. Et Zhang voulait gagner plus qu’eux tout en se montrant plus audacieux et plus malin. Un de ses plaisirs, en cette activité interlope, était la jubilation de tricher, piégeant la Chine, le système, toutes les polices de la Terre.
Pendant 10 ans, leur commerce occulte fleurit. Mais au fil des ans et des fortunes qui s’amassaient dans leur caisse, les choses commencèrent à dériver. L’officine de Jingxia tournait à plein régime, avec sept employés désormais, sous la férule de son jeune cousin Yang. Mais Yang avait d’autres idées que Zhang sur la production, la gestion, et surtout l’utilisation des 4.000.000¥ de rentrées mensuelles. Un jour, Yang s’était bombardé PDG, reléguant Zhang au rôle de responsable technique et de production. « C’était, expliqua le cousin, pour alléger sa responsabilité » si les choses devaient mal tourner. Mais Zhang se sentait « fait comme un rat » (de laboratoire)… C’était bien la peine d’avoir monté cette mine d’or, si c’était pour se la faire piquer par ce jeune combinard – après tout, c’était quand même lui, le cerveau !
Seul chez lui le soir, Zhang était aussi saisi de crises d’angoisses et s’interrogeait sur la valeur morale de son action. Où était son obéissance aux vertus dictées par Confucius, aux 孝悌忠信 (xiào
Zhang saurait-il s’arracher à temps à ce guêpier ? Vous le saurez la semaine prochaine !
1 Commentaire
severy
30 avril 2017 à 09:49J’ai l’impression qu’il eût mieux fait de se lancer dans la production de pillules contraceptives faiblement psychotropes pour femmes en fleurs en mal de mâles.