Petit Peuple : Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (1ère partie)

Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (1ère partie)

Étudiante à Suzhou, à 23 ans, Xia Lanfen peut dire que la vie l’a bien servie. Née d’une famille à l’aise, père avocat d’affaires et mère secrétaire de direction, fille unique, elle a pu choisir la voie qui lui plaisait depuis l’enfance, la peinture.

Ce jour d’avril 2020, Song Caifu portait à la banque la recette de l’usine, qui allait payer les salaires des centaines d’employés. Comptées et recomptées, les liasses de billets roses étaient serrées dans un attaché-case, que le jeune homme en costume-cravate emportait à pied – l’agence n’était qu’à 300m. A 25 ans, il était l’unique héritier d’un couple d’industriels prospères, spécialisés dans les jouets. Après une enfance hors du besoin, Caifu faisait sa part des tâches, et se préparait à reprendre le flambeau.

En chemin il croisa une fausse blonde en blue-jeans troué, chemisier laissant apparaître la lisière de l’abdomen, et grandes lunettes de soleil teintées mauves. Sous son bras pendait un grand carton à dessins mouchetés gris et vert bouteille. C’était Xia Lanfen, étudiante aux beaux arts, 23 ans. Il ne la connaissait pas, mais sa tenue audacieuse le poussa à lui lancer un regard appréciateur. Elle, cependant, le dévisagea d’un air étonné, puis dans la foulée, l’accosta hardiment : « Nǐ hǎo, vous êtes l’homme que je cherche pour mon prochain portrait. Vous avez les traits qu’il me faut pour dépeindre un homme symbole de Suzhou… Voulez-vous… Veux-tu être mon modèle ? »

Un instant désarçonné, Caifu s’est arrêté de marcher, et restait coi. Avec son approche directe, Lanfen venait de briser les canons traditionnels de la modestie féminine – mais sa beauté insolite parlait pour elle, lui conférait un air d’autorité, même.

« Stop », se dit d’abord Caifu, pas question de se laisser distraire. Ne serait-ce pas un traquenard, un « piège de la belle » (měirén jì , 美人计) destiné à lui dérober sa précieuse cargaison ?

« Écoutez, je n’ai pas le temps. Si vous voulez qu’on cause, retrouvez-moi devant cette banque, là-bas, quand j’aurai fini – j’y ai à faire ».

Et faisant mieux que répliquer, Lanfen l’accompagna en silence, quitte à l’attendre sur le banc d’en face.

Devant son guichet, Caifu trouva le temps de reprendre ses esprits. Il n’y avait nul coup tordu possible. Et puis il aimait bien les défis. D’ordinaire, c’était lui qui abordait les filles, mais cette fois il venait d’être provoqué : ça lui donnait envie d’en savoir plus sur cette demoiselle ayant si peu froid aux yeux – si toutefois elle était encore là quand il sortirait, ce qui était improbable : le va-et-vient entre agents, dans l’enregistrement des fonds, s’éternisait.

Finalement, c’est 75 minutes plus tard qu’il ressortit, mais elle était toujours là sur son banc, se levant en hâte pour ne pas le laisser prendre la tangente. « Rebonjour », lui fit-elle, tout sourire, « je suis Xia Lanfen, en dernière année des Beaux-arts. Dans un mois, pour l’examen de sortie, j’ai un portrait à remettre. Regarde un peu, voilà comment je veux te peindre ». Et tout en parlant, elle faisait défiler un éventail de compositions où le jeu d’ombre et lumière, la hardiesse des traits le disputait au contraste des couleurs. Caifu était plein d’admiration, mais ne voulait pas l’admettre – question de face !

« Non, dit-il, je suis désolé, je suis au travail… » « Attends, assieds-toi un instant », fit-elle, se posant sur le banc, tandis qu’elle tirait de son sac une trousse de fusains à aquarelle : « donne-moi cinq minutes »…

Quand Caifu, toujours plus abasourdi, revint chez lui ce soir-là, il portait dans sa valisette un précieux rouleau, sa propre esquisse. Pour le portrait lui-même, il avait fini par accepter de la revoir le lendemain au bord du lac Yangcheng, avec son matériel. Sa mère le mit en garde : « attention, ça ressemble à une intrigante cherchant mari ».

« La rencontre ne pouvait être que fortuite, répliqua posément le jeune homme, et cette Lanfen m’a plutôt donné l’impression de vivre de l’art pour l’art, sans chercher à vendre ses œuvres. D’ailleurs, une fois l’examen passé, elle veut me céder le tableau, pour prix de mon temps »…

Sur ces bonnes paroles, la mère rassurée, donna son accord et deux mois plus tard, une fois diplômée avec les félicitations du jury, la fille tenait parole, offrant le portrait à Caifu qui constata alors avec surprise qu’il représentait eux deux, en couple !

Les parents cependant, veillaient au grain. Pas question de laisser se développer une amourette, sauf à répondre à leurs critères très stricts d’une future belle-fille. Les années précédentes, ils avaient déjà éconduit 4 prétendantes. Ils firent donc appel à un détective qui 15 jours plus tard, rendit son rapport -rassurant à son sujet. Elle était vraiment néo-diplômée des Beaux arts, et même cotée, faisant parler d’elle comme une valeur montante. Elle avait le « hukou » (permis de résidence, ce qui était une des conditions des parents de Caifu) et surtout, ses parents étaient membres du Parti : des gens influents, qui pourraient soutenir le jeune couple dans ses premiers pas, et puis aussi, des gens qu’il ne faisait pas bon humilier par une rebuffade dans une approche de mariage !

Dans ces conditions, Caifu fut autorisé à filer avec Lanfen le parfait amour. Dix mois plus tard, le mariage était fixé par le devin au 31 mars 2021. Cependant au moment crucial, un détail de dernière minute, un petit caillou allait se glisser dans l’engrenage, risquant d’arrêter toute la machine en marche !

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