Le Vent de la Chine Numéro 15 (2021)

du 18 au 24 avril 2021

Editorial : Le Parti prépare son centième anniversaire
Le Parti prépare son centième anniversaire

« Suivre le Parti, pour toujours » (永远跟党走). C’est le slogan officiel des festivités qui se tiendront en commémoration du centenaire du Parti Communiste chinois (PCC). À celui-ci s’ajoutent des thèmes complémentaires, chantant les louanges du « socialisme », « de la réforme et de l’ouverture », de la « mère patrie », et celui, plus étonnant étant donné la situation actuelle au Xinjiang et en Mongolie-Intérieure, « de tous les groupes ethniques ».

Au fur et à mesure que se rapproche la date anniversaire du 1er juillet, la campagne de propagande autour de cette commémoration prend de l’ampleur. Le 7ème art est appelé à jouer un rôle clé. « Afin de créer une atmosphère grandiose, chaleureuse et festive », les cinémas devront diffuser jusqu’à la fin de l’année au moins deux films historiques par semaine, choisis sur une liste d’une centaine de longs métrages. Parmi eux, « La bataille du mont Shangganling » (1956), « Le soulèvement de Nanchang » (1981), ou encore « La bataille du réservoir de Chosin » du réalisateur Chen Kaige et « 1921 » de Huang Jianxin, qui devraient sortir cet été. Les cellules du Parti elles, devront s’assurer que les séances affichent complet…

Sur les planches des théâtres et des salles de spectacle, seront joués des classiques comme « Le Détachement féminin rouge » ou « La Fille aux cheveux blancs », deux ballets parmi les huit autorisés pendant la Révolution culturelle par Jiang Qing, l’épouse de Mao.

Les musées devront également se mettre au diapason en proposant des expositions sur l’histoire du PCCsans s’étendre sur le Grand Bond en avant ni sur la Révolution culturelle, et en faisant bien sûr abstraction des évènements du printemps 1989.

Ces rétrospectives historiques relateront aussi le rôle de l’Armée Populaire de Libération (APL), tout en rappelant que « sa loyauté au Parti passe avant tout ». La garnisation de l’APL postée à Hong Kong, région administrative spéciale qui a connu les plus importantes manifestations populaires de son histoire en 2019, recevra des honneurs particuliers, tandis qu’un nouveau musée naval sera inauguré « en guise de cadeau au Parti ».

En sus, des pèlerinages vers des monuments et lieux « révolutionnaires » seront organisés. À Shanghai, le bâtiment qui abrita le premier Congrès (clandestin) du PCC en juillet 1921, est en rénovation afin de mieux accueillir le public pour l’évènement. Dans cette ville résolument tournée vers le reste du monde, 100 expatriés racontent en vidéo leur relation à la « perle de l’Orient ».

Pour le jour J, on pouvait s’attendre à ce que Pékin organise une grande parade militaire, comme lors du 70ème anniversaire de la PRC le 1er octobre 2019. Il n’en sera rien. « Tout le personnel militaire va rester mobilisé pour […] préserver la paix du pays et du peuple », a déclaré le général Li Jun, directeur adjoint à la Commission militaire centrale. Une décision à interpréter dans un contexte international tendu, surtout au sujet de Taïwan, en mer de Chine du Sud, et avec l’Inde. Pourtant, le Président Xi Jinping est friand de ce genre de démonstration de force : il s’était accordé son premier défilé militaire, en dehors de celui de la fête nationale, dès son premier mandat en 2015, à l’occasion du 70ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En compensation, un « grand rassemblement » est prévu, au cours duquel Xi Jinping devrait solennellement annoncer que la Chine est devenue « une société modérément prospère à tous les égards » – l’un des deux objectifs centenaires du Parti, fixé par Deng Xiaoping en 1979. Lors de la cérémonie, la « médaille du 1er juillet » sera remise aux plus dévoués des 7,1 millions de membres du Parti « encartés » depuis plus de 50 ans. Ce format n’est pas sans rappeler celui des deux dernières cérémonies au Grand Palais du Peuple célébrant la victoire contre le Covid-19 et l’éradication de la grande pauvreté. Des thèmes restants dans le registre officiel, mais qui pèchent par manque de spontanéité et d’attention envers les attentes de la rue. Mais qui a dit qu’anniversaire du Parti devait être synonyme de liesse populaire ?


Politique : L’histoire du Parti, selon Xi
L’histoire du Parti, selon Xi

S’il est de notoriété publique que le Parti ne rate jamais une occasion de marquer des anniversaires importants pour rappeler au peuple le rôle central qu’il a joué dans l’évolution du pays, ce 100ème anniversaire aura une portée symbolique particulière à la veille du XXème Congrès de 2022 qui devrait voir Xi Jinping accéder à un troisième mandat, marquant ainsi la fin du système d’alternance politique instauré par Deng Xiaoping en 1978 et le retour de la Chine sous le règne autoritaire d’un seul homme, 46 ans après la mort de Mao.

Depuis le début de l’année, les 92 millions de membres du Parti ont reçu pour consigne de se replonger dans son histoire. « Peu importe le chemin parcouru, nous ne devons jamais oublier le passé et devons rester fidèles à la mission fondatrice du Parti », a rappelé le Premier Secrétaire du PCC lors du lancement de cette campagne. Cette obsession présidentielle remonte dès son arrivée au pouvoir : en janvier 2013, Xi Jinping avait affirmé que « [tirer les leçons de] l’histoire est une question de vie ou de mort pour le Parti ».

C’est ainsi que quatre ouvrages sont devenus les livres de chevet des millions de fidèles : le premier aborde sur la vision de l’histoire du Parti par Xi Jinping (180 000 caractères) ; le second est composé d’extraits de discours de Mao, Deng Xiaoping, Jiang Zemin et Hu Jintao (98 000 caractères) ; le troisième répond à 100 questions sur la « Pensée de Xi Jinping », l’idéologie éponyme du Président ; le dernier est un résumé de l’histoire du Parti – réédité par le leadership actuel.

Sans surprise, la nouvelle édition réduit le chapitre consacré aux dix ans de chaos engendrés par la Révolution Culturelle à une seule page prénommée « Les hauts et les bas sur la route de la reconstruction socialiste ». Sous Hu Jintao, le livret mentionnait que Mao devait « porter la responsabilité » de ce qui s’est avéré être « un sérieux désastre » pour le peuple chinois. Dans la version 2021, le Grand Timonier est épargné de toute critique. Les passages sur la Grande Famine durant le Grand Bond en avant, la collectivisation des terres agricoles, le mouvement « anti-droitiste » ciblant les intellectuels, ou encore la lutte contre les « quatre vieilleries », ont tout simplement été supprimés. Au contraire, le livre dépeint Mao comme un leader « conscient des dangers de la restauration capitaliste » (qui fait écho à la campagne de Xi Jinping contre les valeurs « importées ») et présente la Révolution Culturelle comme la conséquence d’une mauvaise mise en œuvre des idées, pourtant « correctes », de Mao.

Minimisant l’approche diplomatique prudente de Deng Xiaoping au lendemain des sanctions internationales condamnant les évènements de la nuit du 3 au 4 juin 1989, ce sont les commentaires du Petit Timonier au Président Nixon qui sont mis en avant dans le manuel : « la Chine n’implorera jamais pour la levée des sanctions ». Cette sélection en dit long sur l’état d’esprit « combattant » qui prévaut actuellement chez les diplomates chinois…

Même si cette initiative est présentée comme une campagne d’étude de l’histoire du PCC, il s’agit en fait pour Xi Jinping de faire oublier les erreurs du Parti tout en mettant en valeur ses réalisations personnelles depuis 2012. Preuve en est : l’héritage des précédents leaders de 1921 à 2012 est concentré dans un volume deux fois moins épais que celui consacré à la Chine sous Xi.

Surtout, cette campagne permet à Xi d’imposer son interprétation des évènements passés, comme les précédents leaders l’ont fait avant lui pour différents motifs : sous Mao, il s’agissait de consolider son pouvoir, sous Deng, de pousser la réforme. En début de campagne, Xi Jinping avait d’ailleurs clairement indiqué qu’il ne tolérerait aucun « nihilisme historique », un terme qui désigne toute remise en cause de la version officielle des faits – la sienne. À cet effet, une assistance téléphonique a même été mise en place pour dénoncer tout internaute qui « déforme l’histoire du Parti, attaque le leadership et ses politiques, et diffame les héros de la nation ».

Suivant la consigne du moment, Le Vent de la Chine s’est lui aussi replongé dans le passé, en se remémorant le précédent anniversaire du Parti. En 2011, le PCC soufflait ses 90 bougies dans une ambiance marquée par un virage à gauche qui tournait à l’avantage de Bo Xilai, aspirant au trône, à la place de Xi. Les tensions internes étaient palpables, et la liberté de parole au sein de l’appareil n’était pas encore enterrée par une impitoyable campagne « anti-corruption ». Force est de constater qu’aujourd’hui, le visage du Parti sous Xi parait sensiblement plus lisse.


Société : L’alerte démographique est lancée
L’alerte démographique est lancée

La Banque Centrale chinoise sonne l’alarme. Au sujet de l’inflation ? De la flambée de l’immobilier ? Rien de tout cela… Ce qui inquiète les chercheurs, c’est la chute du nombre des naissances, le vieillissement accéléré de la population, et un taux d’épargne en baisse constante.

« La Chine doit reconnaitre que sa situation démographique a changé et que le dividende démographique a été confortablement utilisé. Cette dette doit être payée tôt ou tard », commente Chen Hao (陳浩), un des quatre auteurs à l’origine du rapport rendu public le 14 avril, mais daté du 26 mars. Sa publication intervient à la veille de l’annonce des résultats du grand recensement décennal, qui devrait venir confirmer ces prédictions.

D’ici 2050, les chercheurs prévoient que la population active chinoise (15 à 64 ans) devrait baisser de 15,2%. Le ratio de dépendance, c’est-à-dire le nombre de personnes à charge rapporté au nombre de personnes en âge de travailler, devrait tripler à cette échéance : de 17,8% en 2019 à 43,6% en 2050.

« Les progrès technologiques, scientifiques et en matière d’éducation ne compenseront pas le déclin démographique », avertissent les auteurs. C’est pourquoi ils préconisent de mettre immédiatement fin au planning familial « tant que certains couples veulent toujours avoir des enfants. Libéraliser les naissances lorsque plus personne n’en voudra sera inutile. Si nous hésitons même un tout petit peu, nous allons rater une précieuse fenêtre d’opportunité et répéter les erreurs des pays développés », argumentent-ils.

Depuis 2016, les couples chinois sont autorisés à avoir deux enfants, mais cela n’a pas engendré le baby-boom escompté. Au contraire, le nombre de naissances ne cesse de baisser… « Pour atteindre ses objectifs à l’horizon 2035, la Chine devrait s’attaquer aux problèmes auxquels les femmes font face durant leur grossesse et aux difficultés liées à la scolarisation de leurs enfants par tous les moyens possibles ».

Plus surprenant, un long passage du rapport de 22 pages est consacré à un comparatif avec les États-Unis : alors que la population chinoise va se contracter de 32 millions d’ici 2050, celle américaine va s’élargir de 50 millions, notamment grâce à l’immigration. « Cela met la Chine en position défavorable par rapport aux USA, mais également vis-à-vis à l’Inde [dont le nombre d’habitants devrait dépasser celui de la Chine d’ici 2026] », conclut le rapport.

« La population chinoise vieillit plus vite que dans les pays développés », soulignent les chercheurs. Un constat particulièrement inquiétant étant donné que le PIB moyen par habitant en Chine est deux fois moins élevé que celui des économies développées.

Cependant, les chercheurs recommandent à Pékin de ne pas suivre l’approche « à faible épargne » de ces pays : « la consommation ne sera jamais le moteur perpétuel de la croissance », avertissent-ils. Le taux d’épargne brut des ménages chinois rapporté au PIB a baissé de 51,1% en 2010 à 44% en 2019, selon la Banque Mondiale. Or, l’épargne sera cruciale pour faire face au fardeau d’une population vieillissante, expliquent les chercheurs, qui prennent tout de même le soin de préciser que les opinions présentées dans ce papier ne représentent pas nécessairement celles de la Banque Centrale.

Toutefois, c’est la première fois que les problèmes liés au vieillissement de la population sont abordés publiquement à si haut niveau et sur un ton si alarmiste, ces changements démographiques risquant de freiner le développement économique du pays, voire de lui coûter la première place mondiale tant convoitée. Cette prise de position inhabituelle révèle aussi que la direction à prendre est loin de faire l’unanimité au sommet. Dans le 14ème plan quinquennal adopté début mars au Parlement, le gouvernement s’est d’ailleurs contenté d’annoncer une réforme « graduelle » de l’âge du départ à la retraite et d’évoquer un taux de fertilité « approprié » sans fixer de calendrier ni de mesures précises… Dans ces conditions, le signal d’alarme tiré par les chercheurs suffira-t-il à convaincre le leadership de passer à l’action ?


Immobilier : Pékin veut faire baisser la fièvre immobilière
Pékin veut faire baisser la fièvre immobilière

« Les logements sont faits pour y vivre, pas pour spéculer » (房子是用来住的、不是用来炒的定位). C’est le message que martèle le Président Xi Jinping depuis décembre 2016, bien conscient des dangers que représente un marché immobilier chauffé à blanc.

Pourtant, la reprise économique chinoise a largement reposé sur l’immobilier, et les prix s’en ressentent, surtout dans les villes de premier rang. À Pékin, Shanghai, Canton et Shenzhen, le prix moyen des logements a augmenté de 1,3% pour le seul mois de janvier. Dans la « perle de l’Orient », il a bondi de 10,3% (à 42 400 yuans le prix moyen du mètre carré) en 2020la plus forte hausse du pays – et de 3,2% pour les appartements neufs (à 55 800 yuans le m2). Dans d’autres villes, les prix flambent aussi : c’est le cas de Hefei, Ningbo, Dongguan, et Nantong. Cette envolée leur a valu un avertissement du ministère du Logement : « les gouvernements locaux ne doivent pas se reposer sur l’immobilier pour stimuler l’économie post-Covid-19 ».

Pour freiner les prix, les villes de premier rang se sont donc décidées à introduire de nouvelles règles. À Shanghai, il est désormais interdit aux agences immobilières de présenter des biens comme « proches des écoles ». En effet, devenir propriétaire – que ce soit d’une chambre de bonne ou d’un T5 – permet de décrocher une place dans un établissement scolaire voisin, ce qui a conduit à une forte hausse des prix dans les quartiers où se situent les meilleures écoles.

Les municipalités partent aussi à la chasse aux « faux divorces », pratique courante pour contourner les restrictions à l’achat, chaque époux ne pouvant posséder qu’un seul appartement. Selon la nouvelle réglementation, les personnes divorcées devront attendre trois ans avant de pouvoir acheter un nouveau bien immobilier. Une mesure qui a eu l’effet d’un tranquillisant sur le fiévreux marché shanghaien : les ventes ont chuté de 26% la semaine suivant l’annonce…

Au niveau central, l’État vient de mettre en place un système « centralisé » des ventes de terrain – ou plutôt des droits d’utilisation du sol, puisque les terres appartiennent légalement toujours à l’État – qui va contraindre les municipalités à n’organiser que trois ventes aux enchères par an. Canton, qui vient d’enregistrer la plus forte hausse (+3,47%) de ses prix de l’immobilier durant les trois premiers mois de 2021, sera la première ville du pays à expérimenter ce nouveau système d’enchères. 21 autres villes devront également l’adopter. Pékin part du principe que la réduction de la fréquence de ces ventes va permettre aux promoteurs immobiliers d’être plus sélectifs sur les terrains qu’ils convoitent et donc d’éviter les habituelles surenchères qui font grimper les prix. Une logique contestée par certains analystes, qui argumentent que les lotisseurs se battront toujours pour les meilleurs terrains, et donc qu’il n’y a aucune garantie que le prix final soit plus bas…

Du côté des promoteurs, les régulateurs – en pleine chasse aux risques financiers – leur ont imposé trois plafonds encadrant leurs ratios d’endettement par rapport à leur trésorerie, à leurs actifs, et à leurs capitaux propres. En fonction du nombre de « lignes rouges » que les promoteurs dépasseront, ils se verront attribuer une couleur : vert, orange, jaune ou rouge. Une décision qui a provoqué une onde de choc dans l’industrie fin 2020, mais surtout chez le deuxième prometteur du pays Evergrande, notoirement endetté (835 milliards de yuans). Néanmoins, le groupe cantonais a annoncé pouvoir réussir à réduire son endettement au niveau requis par l’État d’ici 2023.

L’outil miracle pour freiner cette fièvre spéculatrice serait de mettre en place une taxe foncière. Elle aurait un effet dissuasif sur les investisseurs tout en fournissant un revenu complémentaire aux gouvernements locaux, qui se financent en grande partie sur les ventes de terrain. Cependant, ce projet a encore été retardé par l’État, entrant en contradiction avec la stratégie de « circulation duale », qui ambitionne d’augmenter la part de la consommation nationale dans l’économie.

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Marasme immobilier dans les petites villes

A l’inverse de la tendance haussière des grands hubs du pays, dans les villes de troisième, quatrième, voire de cinquième rang, le prix de l’immobilier est à la baisse. Il est tiré vers le bas par des perspectives d’emploi et de développement moroses, ce qui oblige les travailleurs à migrer vers les grandes villes pour espérer se faire embaucher. La pandémie n’a fait qu’accélérer cette tendance. Trois millions de petites entreprises chinoises ont mis la clé sous la porte l’an dernier à cause du virus. Et même si les exportateurs ont repris des couleurs ces derniers mois, les marges ne sont plus aussi importantes qu’avant…

En 2020, 26 des 70 villes (grandes et moyennes) du pays ont vu leurs prix de l’immobilier baisser, contre 16 en 2019, et une seule en 2018. Et le problème pourrait être encore plus important puisque les 3000 petites villesqui représentent 40% de la population – ne sont pas inclues dans ce décompte. Plus inquiétant, ce coup de froid pourrait se répandre aux villes de troisième, voire de second rang, notamment dans le nord du pays, comme Tianjin, Jinan, Qingdao, Shijiazhuang, qui ont vu leurs prix réduits d’au moins 3% l’an dernier…

À travers ce bilan foncier hétéroclite, c’est une reprise économique chinoise à plusieurs vitesses qui s’illustre, marquée par des disparités croissantes entre les mégalopoles et les petites villes, entre les régions côtières et celles de l’intérieur, mais aussi entre le nord et le sud du pays.


Petit Peuple : Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (1ère partie)
Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (1ère partie)

Étudiante à Suzhou, à 23 ans, Xia Lanfen peut dire que la vie l’a bien servie. Née d’une famille à l’aise, père avocat d’affaires et mère secrétaire de direction, fille unique, elle a pu choisir la voie qui lui plaisait depuis l’enfance, la peinture.

Ce jour d’avril 2020, Song Caifu portait à la banque la recette de l’usine, qui allait payer les salaires des centaines d’employés. Comptées et recomptées, les liasses de billets roses étaient serrées dans un attaché-case, que le jeune homme en costume-cravate emportait à pied – l’agence n’était qu’à 300m. A 25 ans, il était l’unique héritier d’un couple d’industriels prospères, spécialisés dans les jouets. Après une enfance hors du besoin, Caifu faisait sa part des tâches, et se préparait à reprendre le flambeau.

En chemin il croisa une fausse blonde en blue-jeans troué, chemisier laissant apparaître la lisière de l’abdomen, et grandes lunettes de soleil teintées mauves. Sous son bras pendait un grand carton à dessins mouchetés gris et vert bouteille. C’était Xia Lanfen, étudiante aux beaux arts, 23 ans. Il ne la connaissait pas, mais sa tenue audacieuse le poussa à lui lancer un regard appréciateur. Elle, cependant, le dévisagea d’un air étonné, puis dans la foulée, l’accosta hardiment : « Nǐ hǎo, vous êtes l’homme que je cherche pour mon prochain portrait. Vous avez les traits qu’il me faut pour dépeindre un homme symbole de Suzhou… Voulez-vous… Veux-tu être mon modèle ? »

Un instant désarçonné, Caifu s’est arrêté de marcher, et restait coi. Avec son approche directe, Lanfen venait de briser les canons traditionnels de la modestie féminine – mais sa beauté insolite parlait pour elle, lui conférait un air d’autorité, même.

« Stop », se dit d’abord Caifu, pas question de se laisser distraire. Ne serait-ce pas un traquenard, un « piège de la belle » (měirén jì , 美人计) destiné à lui dérober sa précieuse cargaison ?

« Écoutez, je n’ai pas le temps. Si vous voulez qu’on cause, retrouvez-moi devant cette banque, là-bas, quand j’aurai fini – j’y ai à faire ».

Et faisant mieux que répliquer, Lanfen l’accompagna en silence, quitte à l’attendre sur le banc d’en face.

Devant son guichet, Caifu trouva le temps de reprendre ses esprits. Il n’y avait nul coup tordu possible. Et puis il aimait bien les défis. D’ordinaire, c’était lui qui abordait les filles, mais cette fois il venait d’être provoqué : ça lui donnait envie d’en savoir plus sur cette demoiselle ayant si peu froid aux yeux – si toutefois elle était encore là quand il sortirait, ce qui était improbable : le va-et-vient entre agents, dans l’enregistrement des fonds, s’éternisait.

Finalement, c’est 75 minutes plus tard qu’il ressortit, mais elle était toujours là sur son banc, se levant en hâte pour ne pas le laisser prendre la tangente. « Rebonjour », lui fit-elle, tout sourire, « je suis Xia Lanfen, en dernière année des Beaux-arts. Dans un mois, pour l’examen de sortie, j’ai un portrait à remettre. Regarde un peu, voilà comment je veux te peindre ». Et tout en parlant, elle faisait défiler un éventail de compositions où le jeu d’ombre et lumière, la hardiesse des traits le disputait au contraste des couleurs. Caifu était plein d’admiration, mais ne voulait pas l’admettre – question de face !

« Non, dit-il, je suis désolé, je suis au travail… » « Attends, assieds-toi un instant », fit-elle, se posant sur le banc, tandis qu’elle tirait de son sac une trousse de fusains à aquarelle : « donne-moi cinq minutes »…

Quand Caifu, toujours plus abasourdi, revint chez lui ce soir-là, il portait dans sa valisette un précieux rouleau, sa propre esquisse. Pour le portrait lui-même, il avait fini par accepter de la revoir le lendemain au bord du lac Yangcheng, avec son matériel. Sa mère le mit en garde : « attention, ça ressemble à une intrigante cherchant mari ».

« La rencontre ne pouvait être que fortuite, répliqua posément le jeune homme, et cette Lanfen m’a plutôt donné l’impression de vivre de l’art pour l’art, sans chercher à vendre ses œuvres. D’ailleurs, une fois l’examen passé, elle veut me céder le tableau, pour prix de mon temps »…

Sur ces bonnes paroles, la mère rassurée, donna son accord et deux mois plus tard, une fois diplômée avec les félicitations du jury, la fille tenait parole, offrant le portrait à Caifu qui constata alors avec surprise qu’il représentait eux deux, en couple !

Les parents cependant, veillaient au grain. Pas question de laisser se développer une amourette, sauf à répondre à leurs critères très stricts d’une future belle-fille. Les années précédentes, ils avaient déjà éconduit 4 prétendantes. Ils firent donc appel à un détective qui 15 jours plus tard, rendit son rapport -rassurant à son sujet. Elle était vraiment néo-diplômée des Beaux arts, et même cotée, faisant parler d’elle comme une valeur montante. Elle avait le « hukou » (permis de résidence, ce qui était une des conditions des parents de Caifu) et surtout, ses parents étaient membres du Parti : des gens influents, qui pourraient soutenir le jeune couple dans ses premiers pas, et puis aussi, des gens qu’il ne faisait pas bon humilier par une rebuffade dans une approche de mariage !

Dans ces conditions, Caifu fut autorisé à filer avec Lanfen le parfait amour. Dix mois plus tard, le mariage était fixé par le devin au 31 mars 2021. Cependant au moment crucial, un détail de dernière minute, un petit caillou allait se glisser dans l’engrenage, risquant d’arrêter toute la machine en marche !


Rendez-vous : Semaines du 19 avril au 16 mai
Semaines du 19 avril au 16 mai

15- 24 avril, Foire de Canton : China Import and Export Fair, Salon international de l’import-export – en ligne.

20 – 22 avril, Shanghai : IE Expo, Salon professionnel international de la gestion et traitement de l’eau, du recyclage, du contrôle de la pollution atmosphérique et des économies d’énergie

21 – 28 avril, Shanghai : Auto China, Salon de l’automobile

21 – 23 avril, Shanghai : China Smart Card and RFID Technologies, Salon international sur les technologies et applications de la carte à puce et à la RFID et à ses applications dans les produits et services

21 – 23 avril, Shanghai : NEPCON, Salon international des matériaux et équipements pour semi-conducteurs

23- 25 avril, Chengdu: Int’l Solar Photovoltaic & Energy Storage Technology, Salon international des technologies solaires photovoltaïques et de stockage d’énergie

27- 30 avril, Shanghai : Bakery China, Salon international de la boulangerie et de la pâtisserie

5- 8 mai, Shanghai : China International bicycle fair, Salon international du vélo 

6- 9 mai, Shanghai : China Glass, Salon chinois des techniques industrielles du verre

7-10 mai, Haikou (Hainan) : China International Consumer Products Expo, 1ère exposition internationale des produits de consommation en Chine

10-12 mai, Canton: Riiftile China 2021, Salon international des technologie de couvertures et de la tuile en terre cuite en Chine


Podcast : 13ème épisode des « Chroniques d’Eric » : « Le drame caché de la Chine, sous la loupe d’une famille »
13ème épisode des « Chroniques d’Eric » : « Le drame caché de la Chine, sous la loupe d’une famille »
Venez écouter le 13ème épisode des « Chroniques d’Eric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.
 
« Dans cet épisode, je vais essayer de décrire ce que c’est qu’une amitié dans l’empire du Ciel, entre les principes du Clan (du Cercle intérieur), ceux du bouddhisme et du confucianisme, et ceux du Parti Communiste Chinois. Nous avons lié une amitié sur 30 ans, entre quatre générations et deux familles. Je vous invite à entrer dans ces murs affectifs, et d’entendre leur splendeur, leur prospérité toujours plus éclatante – et leur misère, le prix à payer pour l’enrichissement, les souffrances que l’on doit cacher, tant pour sa sécurité que pour sauver la face ! »
 
Suivez dès à présent les « Chroniques d’Eric » via le flux RSS ou sur Apple Podcast !