Automobile : La véritable naissance de l’auto chinoise

Le 14ème Salon de l’Auto de Pékin a ouvert ses portes le 25 avril pour 10 jours, avec son habituelle brochette de nouveautés. Tous les constructeurs majeurs de la planète étaient présents, et pour cause : sur  80 millions de véhicules produits et vendus en 2015 dans le monde, 24,6 millions l’étaient en Chine, un sur trois. Loin de « caler » sous la déprime conjoncturelle internationale, les ventes au 1er trimestre ont gaillardement tenu bon, à 6,59 millions d’unités et 8,9% de hausse, aidées  par une baisse de taxes de l’Etat.

Cela dit, par rapport à l’an passé, une rupture devient visible. Pour la première fois depuis leur entrée en Chine peut-être, les marques étrangères perdent du terrain, et les locales progressent. Le recul peut être relatif (croissance plus faible) ou absolu, mais il est indéniable : en 2014, deux Chinois sur trois achetaient étranger (65%). En 2015, ils n’étaient plus que 60%, et fin mars, 56%. La tendance est radicalement nouvelle, inédite, même du temps des années ’90 où l’Etat favorisait ses champions locaux.

Les SUV font un carton

Un moteur du phénomène, est l’engouement pour les SUV (Sport Utility Vehicle, croisement du 4×4 et du monospace) : au premier trimestre, le SUV s’est vendu à  1,14 million d’unités, +17%. Un mouvement qui a presque exclusivement profité aux chinoises (+42,5%), pavanant aux 7 premières places du palmarès avec des noms quasi-inconnus tels Havel, Baojun ou Trumpchi. Les étrangères ramassent les miettes avec +3,5% de ventes : VW, Buick (GM) et Honda occupent les rangs 8, 9 et 10.

Comme les monospaces en Europe il y a 25 ans, ces SUV font un tabac en Chine pour des raisons presque psychanalytiques. L’ovoïde monospace, rappelant le ventre de la mère, est promesse de protection contre les dangers du monde extérieur. La SUV allie équipements, volume intérieur, mais aussi hauteur et « puissance » – une garantie de sérénité et de «priorité » au cœur d’un trafic souvent anarchique et agressif. Ce succès du SUV chinois est tel (58% du marché) que la concurrence étrangère n’a d’autre choix que de s’aventurer sur ce terrain avec ses propres modèles. En effet, quiconque ferait l’impasse, se couperait de la demande chinoise n°1.

Mais il n’y a pas que la recette : l’ exécution aussi, est essentielle, et l’ on retrouve côté chinois un dynamisme et une imagination sans faille.

Chery, le groupe privé de Wuhu s’ est taillé un vif succès au Salon en présentant sa Cowin, une 4×4 collectivement dessinée et nommée en 2015 avec la participation active de plus d’un million d’internautes. Zheng Zhao, le chef du projet décrivait ainsi sa philosophie : « une voiture dessinée par un Italien de 50 ans, ne peut pas plaire à la jeune génération chinoise née dans les années ‘90. Alors, nous avons préféré lui demander directement, de créer son propre concept ! ».

Cela dit, les professionnels-mêmes s’interrogent sur ce succès trop magistral : tout en vendant plus de SUV, l’industrie chinoise a perdu net 22% de ses ventes dans d’autres segments du marché (-541 000 ventes au 1er trimestre). De ce fait, ses marques ont réduit leurs investissements en automobile « classique », Great Wall allant même jusqu’à s’en retirer totalement pour tout miser sur le succès du moment.

Avec deux risques lourds à la clé. Chaque année qui vient, l’Etat imposera à tout constructeurs et tous modèles de baisser leur consommation de carburant, pour atteindre 5 litres aux 100 km en 2020. En 2018, la baisse imposée sera de 8% : une performance dont 37 marques sont aujourd’hui incapables, et d’autant moins que les SUV, au fil des années, s’alourdissent (+13kg en moyenne à ce Salon 2016), ce qui n’aide pas à réduire la consommation en carburant ! 

L’autre risque, est celui de la fin de la mode du SUV. La gamme de prix moyenne n’est que de 50.000 ¥ à 100 000 ¥, pas de quoi accumuler un « trésor de guerre ». L’engouement, une fois passé, avec quel argent ces constructeurs vont-ils investir dans leur prochaine gamme ?

L’avenir : énergies nouvelles et véhicules connectés

L’autre marché chouchou du Salon, est celui des énergies nouvelles – électrique, hybride, ou à hydrogène.

Ce marché ne « pèse » que 1% de celui national. Nonobstant, sur 1179 voitures exhibées, le Salon aligne 147 de ces modèles à énergies nouvelles, soit 12%. La définition du véhicule de demain se fait toujours plus claire. Elle n’est pas que « décarbonisée » mais aussi connectée.

Certains définissent cette voiture future comme une « plateforme mobile de services », avec deux maîtres à penser, tous deux californiens : Apple et Tesla.

L’idée est une voiture disposant d’un ordinateur de bord, capable à long terme de piloter le véhicule et immédiatement, de dialoguer avec des sources l’extérieures. Les services pourront ainsi se multiplier (assistance au pilotage, information, loisirs, covoiturage, achats en ligne…). Ainsi, le constructeur continue à gagner de l’argent même après l’achat du véhicule – tout comme Apple.

Dans l’immédiat, humblement, ces  « EV » se contentent de rouler, avec batterie ou double moteur. La Chine est passée en 2015 au premier rang mondial, avec un score supérieur à ses sept meilleurs challengers (Etats-Unis, Japon, Europe), avec 331.000 unités et une hausse de 340%.

C’est le résultat d’une politique. L’Etat offre à l’achat jusqu’à 25% du prix étiquette, avec par exemple 110.000¥ pour une Denza (JV de BYD et Mercedes) facturée 170.000 à 390.000¥.

En sus, il offre la plaque, autrement quasi-introuvable dans les grandes villes. Il impose aussi que 50% des achats de véhicules publics soient des EV, et investit fortement dans la recherche, les services, les réseaux d’autopartage en ville, et de recharge. Enfin, le marché bénéficie d’une baisse des coûts de production des batteries.

Pour 2017, l’Etat prédit des ventes doublées à 700.000 EV et 5 millions d’ici 2020.

D’ici là, un argument décisif jouera : à Pékin d’abord, puis en toute métropole probablement, les véhicules des particuliers ne rouleront plus qu’un jour sur deux. Sauf les EV, qui resteront libres comme l’air !

En Chine, le maître du marché est BYD de Shenzhen, ayant vendu 58.000 voitures l’an dernier, notamment son modèle « The Yuan »  à 209.000¥. Pour cette année, il pense tripler son score, à 150.000 unités.

C’est ainsi que pour les constructeurs chinois, la voiture électrique pourrait être le « cheval de Troie » qu’ils attendent depuis 20 ans pour entrer dans le juteux marché automobile occidental. Le marché n’étant pas mûr, et donc ouvert et à saisir !

Trois marques chinoises sont à la  pointe, dans la recherche sur la voiture sans chauffeur : Chang’an, Baidu (groupe de l’internet) en coopération avec BMW, et Volvo, filiale de Geely. Avec l’aide du ministère de l’Industrie et des Technologies de l’information, la Chine ne vise rien de moins que de dépasser Google, Apple et la Silicon Valley.

Pour concevoir ces voitures connectées, de grosses firmes s’allient avec des constructeurs et des fonds dans la course à la formule gagnante de demain. Au Salon, trois alliances chinoises attirent le regard :

Next EV s’associe aux fonds Sequoia, Hillhouse, aux constructeurs Jianghuai, JAC , avec un budget d’1,5 milliard de $ .
Foxconn (le producteur des iPhones), Tencent (n°1 des réseaux sociaux avec WeChat), China Harmony New Energy Auto et Infiniti (constructeurs) dessinent des modèles de plateformes digitales connectées.
– Pour créer une usine à Las Vegas, LeEco, du milliardaire Jia Yueting s’est uni avec une start-up américaine, Faraday Future, coopère avec le britannique Aston Martin, et présente déjà un concept car séduisant (cf 1ère photo). La distribution en Chine serait confiée au groupe pékinois BAIC.

Autour de ce marché de l’EV, le groupe KPMG, a cherché à mesurer les différences de réactivité entre patrons chinois et étrangers, en terme de liberté créative et de souplesse d’adaptation. Dans un sondage, a été posé la question : « le bouleversement de la digitalisation affectera-t-il tous les segments du marché ? ». Or, la réponse euro-américaine a été « oui » à 74%, et celle chinoise, à 90% – manifestant ainsi une conscience plus forte de l’urgence à se préparer à l’arrivée de cette voiture digitalisée et connectée.

Comment sera-t-elle ? A l’horizon 2050, pense Yale Zhang (Automotive Foresight, Shanghai) : éliminant tout accident, elle n’aura plus besoin comme aujourd’hui d’une telle résistance aux chocs ; l’élément crucial ne sera plus le moteur, mais l’ordinateur de bord… Bon nombre de savoir-faire traditionnels n’auront plus lieu d’être. Et les constructeurs les plus compétents pour bâtir de telles voitures deviendront ceux les plus expérimentés en logiciels et en connectivité. De même, avec les réseaux d’autopartage, l’achat du véhicule cessera d’être une nécessité. Zhang croit dès maintenant à une décroissance du marché de 50% par rapport aux 80 millions d’unités annuelles moyennes.

Voici encore, glanées à travers ce salon, quelques tendances :

– Côté export, seule 3% de la production chinoise sort du pays. GM s’apprête à exporter vers les USA les véhicules de sa dernière usine construite à Shanghai pour 1,2 milliard de $ – notamment sa berline CT6 hybride, et sa SUV Buick Envision. En dépit de gros efforts, les constructeurs chinois n’ont guère percé en Europe (BYD, Geely – grâce à sa filiale Volvo). L’effort le plus récent se porte vers la Turquie et la Russie (Geely), le Moyen-Orient (Guangzhou Auto). PSA a un peu exporté vers l’Egypte, l’Iran (SUV de chez DS), et Renault a de grands plans d’export vers « 80 pays » pour sa Koleos made in Wuhan.

– Les marques de luxe, c’était prévisible, sont indemnes des derniers tournants. Rolls-Royce avec sa Ghost Black Badge, ou Maserati ne sont que peu touchées –cette dernière toutefois, sort son propre modèle SUV « Levante » frisant le million de ¥, tendu de cuirs et de soieries signées Ermenegildo Zegna… Mercedes de même, ignore la crise, avec 105.000 ventes en trois mois et 39 modèles en vente.

– Le secteur des accessoires se porte très bien aussi, avec des entreprises comme Valeo qui sort un filtre à air pour habitacle, efficace sur quasi 100% des particules 2,4PM , ainsi qu’un nettoyage de pare-brise activable par iPhone à distance, avec des deux programmes classiques, antigel et anti-insectes.

Le point, pays par pays

– Aux Etats-Unis, on travaille fort sur la mobilité connectée. Chez GM, d’ici 2020, tous ses modèles (Cadillac, Buick et Chevrolet) seront connectés au réseau de communication Onstar (de Shanghai), lequel a signé une entente avec le groupe Midea de domotique pour pouvoir agir depuis la voiture sur la maison (allumer le chauffage, la climatisation ou le filtre à air, lancer le café…). Chez Ford, on a introduit dans les voitures un accès au réseau Dida Pinche, mettant en contact les candidats au covoiturage.

Allemagne : VW sent le vent du boulet, suite à son scandale mondial des moteurs truqués. En Chine, à l’en croire, seuls 2000 diesel importées seraient impliquées, mais le groupe se prépare au pire, sous forme d’une épidémie de rappels. Ses ventes ont baissé de 3,4%, à 3,5 millions d’unités, ce qui le garde tout même confortablement au 1er rang national. Pour redorer son blason, il annonce 4 milliards de $ d’investissements cette année, en SUV (10 modèles en préparation) et en EV.

Japon : Pour lutter contre l’érosion mondiale des ventes, combinée à la bise anti-nippone, Nissan a créé sa marque low-cost. Après avoir vendu 1,25 million en 2015, il vise 1,3 million cette année. De son côté, Toyota se plaint de la sévérité croissante des normes environnementales, et espère franchir la barre des 2 millions en 2025. Bonne surprise en mars, ses ventes ont bondi de 40,5%, à 100.500.

Corée du Sud : Tout va mal pour Hyundai qui enregistre en janvier sa 1ère baisse nette depuis 9 ans. Le problème tient à Elantra et Sonata, ses modèles vieillissants. Ce qui n’empêchera pas ses deux nouvelles usines d’ouvrir cette année, les n°4 et n°5. Il est temps d’innover !

renaultwuhankadjarLa France : Renault se lance logiquement avec le produit qui marche, le SUV, avec son Koleos, le Captur, et la Kadjar (cf photo). Pour sa promotion, le groupe au losange mise sur la très populaire actrice Fan Bingbing. Renault promet aussi de briller « demain » dans l’EV. Enfin, quoiqu’arrivé en Chine parmi les premiers, fin des années ‘80, PSA a souffert d’erreurs de départ, qui furent surtout celles de la direction parisienne de l’époque. PSA n’a que 3,4% du marché et vendait 730.000 voitures en 2015 – score moyen, mais c’est 80.000 de plus qu’en France ! Et le groupe de Sochaux espère atteindre les 1,7 million en 2020. En attendant, il brille avec le retour de sa C6 en version semi-luxe. 

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