Taiwan : Le périlleux voyage du Président Emmanuel Macron en Chine

Le périlleux voyage du Président Emmanuel Macron en Chine

Le déplacement du président français Emmanuel Macron en République populaire de Chine s’annonçait périlleux. Il est délicat pour un président en exercice, confronté à la verticale du pouvoir liée au fonctionnement régalien des institutions de la cinquième République, de se rendre dans un pays étranger quand il est soumis au niveau national à une critique acerbe, parfois méritée mais souvent partiale. Particulièrement quand il se rend dans un pays gouverné d’une main de fer par un dirigeant tel que Xi Jinping qui concentre l’ensemble des pouvoirs et qui projette une image de stabilité et de puissance d’autant plus enviable qu’on omet d’en voir les ombres et aspérités grandissantes.

Pour rappel, sans être exhaustif : l’emprisonnement arbitraire des avocats défenseurs des droits de l’Homme, la mise au pas liberticide d’Hong-Kong, la « gestion » des Ouïghours du Xinjiang qualifiée par l’Assemblée nationale de « génocidaire », les menaces militaires sur Taïwan, les tensions multiples sur toutes les lignes de frontières (en Inde, en mer de Chine du Sud : Philippines, Indonésie et Vietnam), le soutien au régime des Talibans, à la Corée du Nord, « l’amitié sans limite » avec Vladimir Poutine renouvelée après sa guerre de conquête contre un Etat souverain, les pratiques commerciales déloyales et la surpêche pratiquée illégalement tout autour du globe…

La visite de la « petite France » (67 millions d’habitants, la somme des trois villes : Chongqing, Shanghai et Pékin) dans la « grande Chine » se fait aujourd’hui à partir d’une telle position d’asymétrie (déficit commercial abyssal de plus de cinquante milliards d’euros, ayant crû de 40% en 5 ans) que toute velléité de pouvoir y parler « d’égal à égal » pour établir un « dialogue franc » (omettant l’ensemble des points précités) entre « partenaires responsables » relève d’une illusion d’optique malheureuse dont témoignent ces phrases : « La question qui nous est posée à nous Européens est la suivante : avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Quel est le rythme auquel la Chine elle-même veut aller ? Veut-elle avoir une approche offensive et agressive ? Le risque est celui d’une stratégie autoréalisatrice du numéro un et du numéro deux sur ce sujet. Nous Européens, nous devons nous réveiller. »

Les déclarations du président Macron constituent une imprudence stratégique qu’il serait vain de vouloir personnaliser. Ce que le président dit témoigne de la manière dont il est entouré et révèle d’une certaine vision de la France : une puissance moyenne qui n’a plus les moyens militaires, économiques et humains de ses ambitions, mais s’accroche au rêve gaullien d’une souveraineté établie dans l’équilibre entre grandes puissances. Si ce n’est que sous De Gaulle, en 1960, la France était la troisième puissance mondiale alors qu’elle est, en 2022 (en PIB à parité du pouvoir d’achat), la 10ème, derrière l’Inde et l’Indonésie…

Si les remarques du président Macron ont suscité l’ire de l’ensemble des alliés de la France, c’est par leur timing et leur contexte. Alors que la présence de la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen projetait une image d’unité, les déclarations du président français révèlent l’abîme qui sépare les pays de l’Union. En effet, depuis 2020, les pays de l’Est (Slovénie, Lituanie, République Tchèque, Pologne…) se sont graduellement rapprochés de Taïwan et éloignés de la Chine, tandis que la guerre en Ukraine les a encore plus liés à l’OTAN et aux Etats-Unis.

Ce que ces remarques montrent, c’est aussi l’empreinte totale du « récit chinois ». Le rapport établi par la présidence entre l’union volontaire d’Etats souverains et la volonté de soumission militaire d’un territoire déjà autonome en est le symbole : « En tant qu’Européens, notre préoccupation est notre unité. Les Chinois aussi sont préoccupés par leur unité, et Taïwan, de leur point de vue, en est une composante. » La présidence s’exprime comme si Taïwan était une « province » en cours de « sécession » alors que l’archipel n’a jamais été gouverné par la République populaire.

Plus que l’ignorance de la réalité de la séparation des régimes depuis 1945 des deux côtés du détroit de Formose, cela indique la force des canaux de transmission du récit chinois au cœur du pouvoir français. Cela est d’autant plus déconcertant que le récit chinois se fait aujourd’hui sur la base d’un rejet de l’Occident réduit à un statut de « puissance impérialiste », comme si la Chine n’avait pas profité de l’aide au développement occidental, de l’entrée à l’OMC, de l’ouverture des marchés européens, des transferts de technologies, comme si la Chine n’était pas elle-même l’Empire le plus peuplé et le plus persistant (des Hans à nos jours).

Ainsi, en mettant dos-à-dos Chine et Etats-Unis, en affirmant que Taïwan ne concerne pas la France, le président Macron omet juste une « petite chose » : la différence politique nommée démocratie.

Par Jean-Yves Heurtebise

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