Petit Peuple : Pékin, le banquier Zhang, dindon de la farce

Un jour d’août 2012 à Pékin, en grands uniformes, les généraux Li Wanyong (54 ans), Zhao Dongming (50 ans) et Han Guozhao (60 ans) passèrent au bureau du banquier Zhang, l’air solennel. 

Ils étaient Commandant, Commissaire politique et Chef d’état-major d’une Commission du fonds de construction et de développement de l’APL, l’Armée populaire de libération.

En cours de création, leur future banque d’Etat devrait écouler dans le privé des firmes militaires variées, usines textiles, élevages, flottes de taxi ou de batellerie – toutes ayant en commun de perdre de l’argent faute d’une gestion professionnelle. Les titres de propriété étaient en règle, proprement enregistrés avec leurs rutilants tampons écarlates, tout ce qu’il y a de plus légal. 

« La banque militaire, expliqua le Commissaire politique, fera de l’argent en vendant ces actifs ». Mais pour démarrer, il faut du cash et l’armée n’en a pas. « Le cash, remarqua-t-il en boutade, il est dans les banques ! ». A l’état major, ils avaient cherché quelle banque contacter, parmi les plus sérieuses et honorables. Et c’est sur celle du camarade Zhang qu’ils avaient jeté leur dévolu, vu ses performances, et surtout vu les excellentes références de l’homme à sa tête !

Il leur fallait donc une mise de départ. Mais on a rien sans rien : en leur consentant ce modeste prêt, Zhang s’assurait le poste de Président de l’entité. « Qu’en pensez-vous, citoyen ? », conclut le Chef d’état-major d’un ton un peu bourru…

Le banquier, à ces mots, ne se tint plus de joie. C’était le jour de gloire, et en plus, celui de la fortune ! La triplette de gradés lui promettait des conférences de presse pour publier les actifs à remettre. Les acheteurs se presseraient au guichet. Zhang toucherait son cachet de Président, et en sus, sa part des ventes.

Aussi, c’est le sourire aux lèvres qu’il livra les 500.000 yuans réclamés au titre des bureaux du Comité préparatoire : mobilier, téléphones, PC… Un demi-million, ce n’était pas une affaire. 

En septembre, ils frappèrent plus fort : il leur fallait 3 millions de yuans pour « acheter 50 véhicules ». Là, Mr. Zhang tiqua un peu. Mais le trio lui fournit des réponses convaincantes : c’était pour les vendeurs qui devaient distribuer les catalogues à travers la Chine. « Et puis, lui apprit le Commissaire politique, le prenant par le bras en aparté, une fois l’affaire dans le sac », Zhang recevrait « trois villas au cœur de la capitale, dans le quartier militaire ». C’était l’argument imparable, et Mr. Zhang s’exécuta donc, sans ergoter davantage.

En octobre, ils revinrent. Et cette fois, leur exigence manqua de désorbiter les yeux du financier : 10 millions, pas un de moins, pour les conférences de presse ! Exaspéré et inquiet, Zhang voulut cette fois leur opposer une sèche et définitive fin de non recevoir. Mais patiemment, comme à un enfant, le Chef d’état-major lui remontra que ces présentations en province étaient la clé de voute du système : sans elles, point de ventes, et dès lors, on perdait tout, jusqu’aux fonds déjà avancés. 

A cette perspective, Zhang sentit la sueur froide perler à ses tempes. Heureusement alors, le Commandant arriva à point pour le subjuguer d’une merveilleuse dernière nouvelle : une fois les ventes parachevées, pour ses services rendus à la nation, Zhang se verrait décerner une retraite d’amiral ! De ce fait, dans l’heure, un Zhang ébloui fit décaisser la somme. Sous les yeux des employés médusés, les 3 officiers ressortirent de l’agence, ployant sous d’énormes sacs de coupures roses.

Puis le financier attendit la première conférence…qui ne vint jamais ! A chacun de ses appels angoissés, les officiers se mirent aux abonnés absents, ou bien quand il les attrapait au bout du fil, ils lui firent des réponses dilatoires sonnant toujours plus faux… 

En novembre, il dut finalement se rendre à l’évidence : il n’avait plus qu’à alerter ses supérieurs. Sachant flairer une carambouille quand elle en rencontrait une, la police mit sans retard sa brigade anti-fraude sur le coup. Il ne fallut que quelques jours pour retrouver les « généraux », les faire coffrer, récupérant une partie du magot. Ils purent alors vérifier qu’il n’y avait pas eu plus de Commission du fonds de l’APL que de généraux ! 

Li Wanyong, le chef d’orchestre de l’escroquerie, ne fit pas trop de manières pour admettre que quelques années avant, dans son Anhui natal, il avait déjà purgé trois ans à l’ombre pour une arnaque de la même eau. 

Devant les juges, un Li décidément affabulateur jusqu’au bout, apparut en pyjama à rayures sur un fauteuil roulant, des tubulures dans les trous de nez reliées à une bouteille d’oxygène (cf photo). Depuis, dans le box des accusés, les trois hommes s’invectivent et se renvoient la balle. 

Au box des victimes se trouve le banquier Zhang, enfin, « l’ex-banquier Zhang », puisque à l’annonce de sa négligence, ses patrons l’ont mis à pied pour faute professionnelle grave. Sous le feu roulant des questions des magistrats, il provoque bien involontairement, par ses réponses, les éclats de rire et lazzis. In petto, il doit bien reconnaître qu’il a été le dindon de la farce : c’est par sa cupidité et sa vanité que le trio a pu lui « jeter de la poudre aux yeux, puis s’envoler avec la caisse » (携款潜逃, xié kuǎn qián táo) !

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