Petit Peuple : Hangzhou – Le simulateur

Ce lundi 15 octobre à Hangzhou (Zhejiang), au commissariat de Wenxin, l’arrivée de Cao Wenxuan, escorté de l’inspecteur qui venait de le cueillir, fit lever les bras au ciel au planton, lui tirant un soupir : « vous encore ! ». C’était la 5ème fois en 15 jours qu’il voyait revenir ce « client » et désormais, il ne le savait que trop, il ne pouvait rien faire ! 

Le scénario était invariable. Sur le coup de midi, sur une artère bondée ou dans un parc, ce vieillard octogénaire (né en 1933 à Linquan, Anhui, et résident là-bas) se laissait tomber à terre. Une fois, sûr que nul ne l’observait, il s’y allongeait, avant de pousser des cris d’orfraie en simulant spasmes et douleurs indicibles. Une fois un attroupement constitué (ce qui ne manquait jamais d’advenir), Cao redoublait de jérémiades. Il expliquait qu’il était en fugue de chez son fils et sa bru, pour échapper à toutes sortes de traitements dégradants. Parfois, il inventait : il était ancien combattant, vieux briscard. 

De la sorte, il arrachait des larmes à ses spectateurs. Certains lui offraient trois petits sous, d’autres une canette de coca ou un paquet de chips, ou appelaient la police, pour la prévenir de cette terrible injustice. C’était d’ailleurs pour cela que, rejetant toute offre d’accueil ou d’aide sérieuse et lourde (qui l’aurait fait immanquablement repérer), il s’arrangeait invariablement pour s’éclipser, le show une fois terminé.

Par contre, si l’inspecteur arrivait à temps et le prenait sur le fait, c’est parfaitement à l’aise et innocent qu’il se laissait embarquer. Rien dans la loi n’interdisait de « se faire tomber ». Et qui pouvait prouver que ces douleurs, cause de l’attroupement sur la voie publique, étaient feintes ? Il n’avait même pas mendié, juste accepté les oboles des autres. Et puis proprette et convenable, sa tenue le mettait dans une autre classe que les clochards de la ville…

Ailleurs, cependant, il était connu comme le loup blanc : affabulateur, il sévissait depuis 9 ans dans Hangzhou, perfectionnant chaque fois un scénario porté au stade « d’art », qui lui avait valu sur internet le sobriquet de « vieux frère chuteur » (lǎo shuāi gē, 老衰哥). 
Au reste, de ses histoires, presque tout est faux, précise le centre d’aide sociale de Linquan. Certes, Cao n’est pas en bon terme avec le fils qui l’héberge, mais pas non plus maltraité. Il a des revenus, et n’a jamais fait l’armée. C’est en somme un homme « normal », assure le psychiatre après la batterie de tests qu’il lui a infligé. 

C’est aussi un rusé ! S’il choisit de sévir dans la province d’à-côté, c’est pour compliquer son rapatriement : les règlements obligent les ronds-de-cuir à ne payer le billet que jusqu’à la frontière provinciale. Mais avant de pouvoir le coller dans le bus ou le train, ils doivent subir les colères homériques de Cao : sous aucun prétexte, il ne veut revenir. Et quand on lui demande pourquoi il s’obstine à une pratique si insensée, sa réponse fuse, simple et joyeuse : « parce que chez moi, je m’ennuie » – que voulez-vous répondre à cela ? L’autorité espère alors qu’avec sa notoriété qui croît sans cesse, ceux capables de gober ses bobards vont se raréfier. Sur internet, nombreux témoignent, pour avertir les autres de ne pas se laisser duper. Ainsi, peut-être un jour, quand le vieux fou simulera la prochaine chute, nul ne se détournera pour lui. Alors, Cao Wenxuan en sera pour ses frais : « tel sera pris celui qui croyait prendre » (littéralement,« son piège se refermera sur lui-même » – 作茧自缚, zuò jiǎn zì fù).

Disons-le tout net, cet espoir nous semble illusoire. Avertir tous les Chinois de l’innocente escroquerie est impossible. Et surtout à 80 ans, il n’arrêtera pas. Il aurait tout à perdre, s’il acceptait de détruire ce monde fantastique qu’il s’est créé, plus beau que la réalité. Les gens adorent ce genre de happening. Ils aiment son acteur. Pour se plier à la morale sociale, Cao devrait retourner dans les murs solitaires et gris qu’on lui réserve, comme à tous les Chinois du 3ème âge ? Mourir en silence, comme un chien ? Tout en appelant cela « la vie normale » ? Très peu pour lui ! 

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
15 de Votes
Ecrire un commentaire