Le Vent de la Chine Numéro 37

du 11 au 17 novembre 2012

Editorial : XVIII. Congrès — Hu Jintao fait le grand écart

C’est dans un Palais du Peuple sécurisé à la Fort Knox (chien renifleur, fouilles, scanners et cameras à reconnaissance faciale) que Hu Jintao ouvrit (08/11) le XVIII. Congrès du Parti communiste chinois, dans une ambiance électrique. Quelques tenues folkloriques ne suffisaient pas à égayer la foule des deux-pièces anthracite, pas plus que les trilles de la fanfare en kaki. Le 1er Secrétaire sortant, affrontait un parti déchiré, en crise identitaire suite aux scandales à rallonge depuis la chute de Bo Xilai, l’ex-« roi » de Chongqing déchu en février. 

Traditionnellement, ce discours du n°1 aux 2300 édiles sert à tracer la ligne idéologique du quinquennat à venir. Mais vu les circonstances, Hu devait aussi donner des arguments qui satisfasse les factions rivales : jeunes loups réformistes, diplômés des universités et conservateurs (vieux gardes rouges). 

Pour ces derniers, il évoqua 11 fois le « marxisme », 6 fois Mao (frustrant les espoirs de ceux qui croyaient à une démaoïsation imminente), 8 fois Jiang Zemin ou son fumeux slogan de « triple représentation ». Côté réforme, il cita 12 fois sa propre « société harmonieuse », 17 fois sa « croissance axée sur les sciences », 22 fois « l’écologie » (sujet qui entre ainsi dans la vulgate socialiste), 29 « démocratie », 31 « loi » ou « Etat de droit ». En même temps, comme pour ravaler la façade d’unité entre « petits princes » et « populistes », il invoquait ses 2 mantras fédérateurs : le « socialisme à la chinoise » (41 fois), le « développement » (82 fois) et le bon vieux « enrichissez-vous » de Deng Xiaoping ! 

De façon atypique, Hu s’est gardé de triomphalisme, se contentant de rappeler le PIB à 7301 milliards de $, passé du 6ème au second rang mondial en cinq ans. Il aurait pu préciser, comme le fit la presse, le bond en avant de prospérité réalisé en 10 ans, la création de plus de 2millions de lits d’hôpitaux (+50%), le décuplement des entrées au cinéma (10 milliards € de recettes) ou le passage des « smartphones » de 0 à 356 millions, soit 1 pour 4 habitants. 

L’objectif de Hu était ailleurs : sonner l’alerte et annoncer un tournant. Face à la corruption qui ronge vivant ce parti géant, il s’écria, dans un silence de mort dans la salle : « faute de savoir endiguer le fléau, le Parti risque sa propre perte, et avec elle, celle de l’Etat qu’il dirige ». 

A l’avenir, le Parti devra « contrôler étroitement le comportement de ses membres, contre la corruption, la dégénérescence et les situations dangereuses ». Autant dire que Bo Xilai, pour son procès prochain, a des soucis à se faire. 

D’autre part, des réformes sont annoncées, sous le règne de son successeur Xi Jinping : favoriser « l’économie non publique », lui donner « l’accès égal aux facteurs de production selon la loi » (c’est-à-dire au crédit et au foncier), et partager « rationnellement le profit national »…Hu parle aussi de « dissocier les rôles du gouvernement et des organisations sociales (entendez, des ONG), dont les droits et responsabilités seront clairement définis ». Si cela se faisait, ce serait une vraie révolution car en 60 ans de pouvoir, le PCC a toujours jalousement interdit aux associations privées, même charitables, d’exister légalement ou de collecter des fonds, afin de préserver son monopole. 

Mais en même temps, Hu parlait aussi de…renforcer l’économie d’Etat, les groupes géants et déjà hyper privilégiés. De même, le président sortant se garde bien de promettre de l’autonomie ou des transferts de compétence hors du Parti. 

Autrement dit, par ce discours-chant du cygne, Hu Jintao ne fait rien d’autre que ce qu’il a toujours fait : énumérer des possibles, tout en laissant à son successeur la responsabilité de les réaliser ou non. Lui léguant au passage ce parti divisé, sans voie clairement tracée. 

Un détail ne trompe pas : directement à son côté, au podium, Jiang somnolait, à une place statutairement réservée à un membre du Comité Permanent, ce qu’il n’est plus depuis 2002 – une manière atavique pour le régime de rappeler qu’ici, les relations rapprochées comptent plus que les postes officiels !


Politique : XVIII. Congrès : en surface, le bateau tangue !

Analyser la politique chinoise par les temps qui courent c’est, en citant Voltaire, « peser des œufs de mouche dans des balances en toiles d’araignées », évaluer 100 bruits qui se suivent et se contredisent, fuites authentiques ou écrans de fumée… 

La semaine dernière (cf VdlC n°36), nous relations qu’en 2 mois, quatre lieutenants de Hu Jintao s’étaient vus retirer leur promotion au Comité Permanent, sous prétexte de scandales remués par leurs adversaires. Le dernier en date, Li Yuanchao, était accusé d’avoir falsifié un sondage interne sur la popularité des candidats aux charges suprêmes. Or, à la veille du Congrès, toutes sources le confirment : les expulsés sont de retour, à nouveau « futuribles ». 

Le 07/11, Hu Jintao et Xi Jinping, l’actuel et l’imminent numéro 1, mettent au débat une motion commune qui, si adoptée, pourrait changer l’échiquier et la règle du jeu du système socialiste. Arrêtons-nous un instant : en 2007, Xi était choisi comme n°1 contre la volonté de Hu (qui soutenait Li Keqiang, son dauphin). Xi et Hu sont donc techniquement rivaux, même pour la désignation future du successeur de Xi en 2022 – c’est là tout l’enjeu de la prise de contrôle de la CMC (la Commission Nationale Centrale, l’organe militaire) par Hu, ces dernières semaines.

Or, si Hu et Xi proposent une motion, c’est qu’une alliance s’est nouée : par raison d’Etat et/ou « raison de Parti », pour arracher ce dernier à la spirale dangereuse où l’entraîne son népotisme et son affairisme… Ils proposent que les 2300 délégués élisent le Comité Central avec 40% de candidats de plus que de sièges (soit 300 candidats), et que le Comité élise le Politburo avec 20% en plus (soit 30 candidats). 
Seul le Comité Permanent resterait entièrement coopté. 

Sur le plan pratique, cette ouverture du jeu écarterait du Politburo les candidats à la réputation la plus faible, du genre de ceux qui montent sans se préoccuper de l’opinion. Aussi, cette proposition de démocratie interne permet de mieux comprendre la colère de certains, en voyant tomber les résultats du sondage secret : si vote il y a pour le Politburo, Liu Yun-shan, grand chef de la propagande, risquerait des déconvenues ! 
Sur le plan politique, la motion Hu-Xi permettrait de céder quelque chose à l’opinion, et de redorer le blason : de faire quelque chose de concret pour le « bonheur du peuple », selon le thème de la campagne en cours. 

L’ouverture irait dans les deux sens : 
① les réformateurs les plus engagés comme Wang Yang, de Canton, auraient une chance d’être repêchés.
② des défenseurs de Bo Xilai pourraient s’agréger à l’organe exécutif, quoique adversaires de Hu sur ce point. Ainsi, les ailes du Parti étant représentées, l’appareil gagnerait en sérénité. 

Une nouvelle ouverture « à la Deng » qui pourrait relancer le Parti pour 20 ou 30 ans.
Cela dit, gardons-nous de rêver : ce n’est qu’une motion, et des anciens comme Jiang Zemin ou Li Peng ont toujours loisir de la torpiller par un veto : 慢慢来, « wait and see » !


Diplomatie : Succès éclatant de la décennie Hu Jintao : l’expansion dans le monde

Discrètement vanté par Hu Jintao devant le XVIII. Congrès, le bilan de « sa » décennie présente pourtant des succès phénoménaux. L’avancée qui résume toutes les autres est ce PIB sextuplé (7301 milliards de $ en 2011). Attirés par cette prospérité, de plus en plus d’Etats et leurs institutions, cherchent à communiquer avec la société chinoise par le biais des microblogs (Weibo) : plus de 10 pays entretiennent 165 microblogs en chinois, notamment les USA (23 sites) et le Royaume-Uni, dont le site culturel revendique 954.000 abonnés (la France en maintient deux). 

La Chine exprime d’autre part sa puissance émergente en technologie : avec ses missions spatiales ou son radiotélescope à Shanghai, un des plus grands du monde (Ø=65m). Elle s’impose en constructeur militaire de classe mondiale, produisant chasseur (aéroporté J-15, furtif J-31), porte-avions, ou sous-marin nucléaire. Elle comble rapidement son retard face à l’Occident, et en tire du prestige – ombré il est vrai par les inquiétudes des voisins asiatiques, qu’alarment ses tentatives maladroites d’expansion en mer de Chine.

Sextuplés en 10 ans (à 3842MM$ en 2011), ses échanges commerciaux redessinent les alliances planétaires. Le tiers-monde y trouve la chance d’un nouveau départ. Les échanges sino-africains ont atteint 160milliards de $ en 2011. Les vieilles règles de l’aide au développement explosent – finies les préconditions « démocratiques » à l’aide aux PVD. D’ailleurs, ces 50 pays commencent à exiger de la Chine (en même parfois obtiennent), en échange de leur pétrole ou de leur minerai, davantage de valorisation sur leur sol, ou un accès plus large pour leurs produits sur le marché chinois. Du coup, le 01/11, Pékin coupait 95% de ses tarifs douaniers aux produits angolais…Autre corde à l’arc chinois en Afrique : l’agronomie. Ayant augmenté du quart sa récolte en grain en 10 ans (571 millions de tonnes en 2011), la Chine est à présent en mesure d’offrir aux partenaires un « package » de crédits, d’industries et d’agriculture – la perspective peut-être, d’éradiquer la faim !

L’Amérique latine trouve aussi avec la Chine un partenaire qui le libère d’un siècle de monopole américain : Pékin importe en masse le soja du Brésil qui cette année, dépasse les USA comme 1er fournisseur (26,5 millions t contre 23,1 millions t pour les USA, de janv. à septembre).

Avec les Etats-Unis et l’Europe, la Chine commerce bien sûr, mais rachète aussi des actifs : port du Pirée, port de Naples, vignobles français…Elle soutient l’Euro par l’achat de bons du trésor (nationaux et BCE). 

Au Canada, la CNOOC (China National Off-shore Oil Corp) veut acquérir pour 15milliards de $ le pétrolier Nexen : si Ottawa accepte, ce sera une percée, pour un rachat d’un tel montant.

Suite à tous ces échanges, le yuan passe du rang de 35ème monnaie en 2010, à celui de 14ème en juin 2012. 

La Chine accélère aussi partout les discussions de traités commerciaux. Justement, au sommet Sino-Asean ce mois-ci à Phnom Penh, Wen Jiabao s’apprête à relancer son projet d’une Asie libre-échangiste à 16 pays sans les USA, qui vise à tuer dans l’œuf le projet concurrent TPP (Trans Pacific Partnership) d’Obama, qui prétend à plus ou moins la même chose…sans la Chine – bras de fer sans complexe, symbole de la montée en puissance chinoise, qui eût été impensable 10 ans en arrière !


Diplomatie : Barack Obama – Xi Jinping, les grandes espérances

Xi Jinping a pu libérer un soupir de soulagement suite à la réélection d’Obama, voyant en lui un atout à son propre avenir.
Pour débloquer le train de réformes de fond que Xi Jinping médite, il lui faudra dépasser les objections des anciens, et quel meilleur levier pour cela, qu’une alliance renforcée avec les USA, sous forme de lourdes concessions mutuelles : géostratégiques (Taiwan), commerciales (services), et technologiques (énergies renouvelables). C’est ce qu’offrait Xi à Obama, lors de son voyage aux USA en février. 

Un yuan à son niveau maximum témoignait d’ailleurs du soutien discret de la Chine à « son » candidat, en ôtant à son adversaire son argument principal antichinois. 

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Depuis 2 ans, suite à la percée de l’APL, l’armée chinoise, en mer de Chine, Obama fait revenir l’US Navy, reprenant ainsi (sous prétexte d’assister la défense des Etats riverains) une zone d’influence perdue 20 plus tôt sous G. W. Bush Senior. 

Sur l’autre rivage d’Asie du Sud-Est, la Chine voyait aussi remise en cause sa vieille relation de protectorat. Inquiète de sa présence excessive sur son sol, la Birmanie refroidissait l’alliance chinoise et libérait Aung San Suu Kyi. Or, voici que 9 jours après sa réélection, Obama se rendra au Cambodge (17-20/11 – Sommet de l’Asean) et en Birmanie. Il vient encourager Napyidaw et son dirigeant, le Général Thein Sein, dans sa marche à la démocratie, mais aussi dans sa distanciation d’avec Pékin…D’où une forte irritation à attendre en Chine et un fort défi à relever!


Politique : Corruption – l’alarme et le réveil ?

Cai Mingzhao, porte-parole du PCC au XVIII. Congrès, déclarait le 07/11 que le scandale Bo Xilai avait appris à la Chine une « leçon extrêmement profonde ». Le lendemain, Hu Jintao face au Congrès, rappelait que la lutte pour « l’intégrité politique », était un « engagement à long terme du Parti ». 

Était-ce encore une parole en l’air ? Pas forcément. 

L’appareil s’efforce de ramener les « mauvaises habitudes » des cadres (au moins les petits et moyens) à un niveau compatible avec la stabilité du pays. Pour ce faire, de nouveaux moyens apparaissent, telle la campagne coup de poing « bon moment » : durant la semaine de fête nationale (30/09-08/10), les aéroports et ports de 32 villes, et les postes frontières vers HK, Macao et le Vietnam, écrémèrent les fonctionnaires « nus », ceux tentant de quitter le pays sans famille (en « mission ») et presque sans bagage, tandis que leurs femmes et enfants sortaient du pays par des itinéraires différents – leurs valises bourrées de fortunes détournées. 

Menée par Zhou Yongkang, le pape des polices, et Li Zhilun, vice-ministre de la Supervision, l’interconnection des intranet de la police, des douanes, des ministères et des banques permit de serrer 115 cadres corrompus, avec 5 millions de $ en cash et 122 millions de $ en titres. En sus, furent récupérés des voitures de luxe, 5 kg de platine pur et des peintures hors de prix par Qi Baishi, Xu Beihong et Fu Baoshi… Selon cette info postée sur internet anonymement : attrapé à Dalian, un vice-chef préféra se suicider au cyanure…


Automobile : Auto : les constructeurs chinois en quête d’une nouvelle voie

Les beaux jours de l’automobile en Chine appartiennent au passé. Après une croissance turbo jusqu’en 2010 (+32%), les ventes se sont tassées en 2011 (+6,67%) et 2012 (+4,31% jusqu’à sept.). Les plus touchés sont les constructeurs locaux : faute d’avoir anticipé le recul, leurs ventes ont dégringolé. 

Selon la récente enquête d’Alix-Partners, 16 des 30 groupes locaux étudiés n’atteignaient pas les 75% d’utilisation des chaînes (le seuil de de rentabilité) – contre 1 pour 19, côté JV étrangères. Il faut se rendre à l’évidence : le marché est saturé et l’industrie locale en mauvaise passe, tel BYD ayant perdu 98% de ses profits, et 18% en nombre d’unités écoulées.

L’atomisation du marché devient intenable : parmi 1.300 constructeurs (tous véhicules), 25% sont criblés de dettes et repêchés en permanence par les provinces (par jeu de commandes, subsides, licences renouvelées). Aussi Pékin s’apprête à faire le grand nettoyage. Ceux qui produiront moins de 1.000 unités/an durant deux ans, seront invités à « restructurer », et s’ils n’atteignent pas l’objectif sous deux ans, perdront leur licence. 

Wang Yuchun, vice-DG chez FAW (First Auto Works), en attend la mort des usines obsolètes et le « regroupement des ressources » : un ballon d’oxygène pour des maisons comme la sienne, partenaire de Volkswagen, Toyota ou Mazda – ce qui ne l’a empêché de perdre 38,8 millions d’€ (janv.-sept.), suite à la guerre des prix entretenue par les groupes à l’agonie. En tout cas, il faut agir : selon la NDRC (National Development and Reform Commission), les renforcements d’outils annoncés par les 12 principaux groupes, porteront la capacité à 30 millions soit 2,5 fois le marché.

Courbe maléfique : l’explosion du trafic cause l’engorgement des voies et force les mairies à préparer des mesures anti-trafic encore plus drastiques. Pékin, où les immatriculations (soumises à loterie) plafonnent à 20.000/mois, teste l’idée d’une circulation alternée suivant les jours pairs ou impairs comme lors des JO de 2008. Toutefois, l’objection des experts n’est que trop plausible : les riches achèteront (ou ont déjà) une seconde voiture pour contourner la loi, aggravant ainsi les « embarras de Pékin ».

Le salut viendra-t-il du haut de gamme
Chery (la « QQ ») reçoit (29/10) le feu vert pour une JV avec Jaguar Land-Rover (filiale de l’indien Tata). BAIC– Beijing Automotive Industry Corp- (n°5 national – 1,52 million de voitures en 2011 – partenaire de Hyundai et Mercedes) est en quête de nouveaux partenariats plus « tendance », avec des griffes comme le britannique Aston Martin.

L’électrique reste aussi un fer au chaud, malgré le retard d’un programme national qui espérait immatriculer 500.000 voitures d’ici 2011 (échéance reportée à 2015). À Shanghai, SAIC (Shanghai Automotive Industry Corp) espère vendre l’an prochain 1000 Roewe E50 à 220.000¥, bénéficiant alors de 60.000¥ de prime d’Etat et de 40.000¥ de la mairie – laquelle envisage aussi la gratuité d’immatriculation aux voitures sous cette propulsion. BYD aussi est aidé, grâce aux primes d’Etat et aux formules de leasing et de crédit de la China Development Bank. BYD vise les firmes de taxis électriques, y compris à Londres, où moyennant le passage des tests de sécurité et l’installation d’un réseau de recharge, 50 mini taxis « E6 » rejoindront en 2013 la flotte Green Tomato Cars. 

Les problèmes de ce mode de traction demeurent toutefois : l’autonomie (max. 300 km chez BYD, 100 km chez les autres) et l’absence de stations de recharge, faute d’intervention de l’Etat…


Petit Peuple : Hangzhou – Le simulateur

Ce lundi 15 octobre à Hangzhou (Zhejiang), au commissariat de Wenxin, l’arrivée de Cao Wenxuan, escorté de l’inspecteur qui venait de le cueillir, fit lever les bras au ciel au planton, lui tirant un soupir : « vous encore ! ». C’était la 5ème fois en 15 jours qu’il voyait revenir ce « client » et désormais, il ne le savait que trop, il ne pouvait rien faire ! 

Le scénario était invariable. Sur le coup de midi, sur une artère bondée ou dans un parc, ce vieillard octogénaire (né en 1933 à Linquan, Anhui, et résident là-bas) se laissait tomber à terre. Une fois, sûr que nul ne l’observait, il s’y allongeait, avant de pousser des cris d’orfraie en simulant spasmes et douleurs indicibles. Une fois un attroupement constitué (ce qui ne manquait jamais d’advenir), Cao redoublait de jérémiades. Il expliquait qu’il était en fugue de chez son fils et sa bru, pour échapper à toutes sortes de traitements dégradants. Parfois, il inventait : il était ancien combattant, vieux briscard. 

De la sorte, il arrachait des larmes à ses spectateurs. Certains lui offraient trois petits sous, d’autres une canette de coca ou un paquet de chips, ou appelaient la police, pour la prévenir de cette terrible injustice. C’était d’ailleurs pour cela que, rejetant toute offre d’accueil ou d’aide sérieuse et lourde (qui l’aurait fait immanquablement repérer), il s’arrangeait invariablement pour s’éclipser, le show une fois terminé.

Par contre, si l’inspecteur arrivait à temps et le prenait sur le fait, c’est parfaitement à l’aise et innocent qu’il se laissait embarquer. Rien dans la loi n’interdisait de « se faire tomber ». Et qui pouvait prouver que ces douleurs, cause de l’attroupement sur la voie publique, étaient feintes ? Il n’avait même pas mendié, juste accepté les oboles des autres. Et puis proprette et convenable, sa tenue le mettait dans une autre classe que les clochards de la ville…

Ailleurs, cependant, il était connu comme le loup blanc : affabulateur, il sévissait depuis 9 ans dans Hangzhou, perfectionnant chaque fois un scénario porté au stade « d’art », qui lui avait valu sur internet le sobriquet de « vieux frère chuteur » (lǎo shuāi gē, 老衰哥). 
Au reste, de ses histoires, presque tout est faux, précise le centre d’aide sociale de Linquan. Certes, Cao n’est pas en bon terme avec le fils qui l’héberge, mais pas non plus maltraité. Il a des revenus, et n’a jamais fait l’armée. C’est en somme un homme « normal », assure le psychiatre après la batterie de tests qu’il lui a infligé. 

C’est aussi un rusé ! S’il choisit de sévir dans la province d’à-côté, c’est pour compliquer son rapatriement : les règlements obligent les ronds-de-cuir à ne payer le billet que jusqu’à la frontière provinciale. Mais avant de pouvoir le coller dans le bus ou le train, ils doivent subir les colères homériques de Cao : sous aucun prétexte, il ne veut revenir. Et quand on lui demande pourquoi il s’obstine à une pratique si insensée, sa réponse fuse, simple et joyeuse : « parce que chez moi, je m’ennuie » – que voulez-vous répondre à cela ? L’autorité espère alors qu’avec sa notoriété qui croît sans cesse, ceux capables de gober ses bobards vont se raréfier. Sur internet, nombreux témoignent, pour avertir les autres de ne pas se laisser duper. Ainsi, peut-être un jour, quand le vieux fou simulera la prochaine chute, nul ne se détournera pour lui. Alors, Cao Wenxuan en sera pour ses frais : « tel sera pris celui qui croyait prendre » (littéralement,« son piège se refermera sur lui-même » – 作茧自缚, zuò jiǎn zì fù).

Disons-le tout net, cet espoir nous semble illusoire. Avertir tous les Chinois de l’innocente escroquerie est impossible. Et surtout à 80 ans, il n’arrêtera pas. Il aurait tout à perdre, s’il acceptait de détruire ce monde fantastique qu’il s’est créé, plus beau que la réalité. Les gens adorent ce genre de happening. Ils aiment son acteur. Pour se plier à la morale sociale, Cao devrait retourner dans les murs solitaires et gris qu’on lui réserve, comme à tous les Chinois du 3ème âge ? Mourir en silence, comme un chien ? Tout en appelant cela « la vie normale » ? Très peu pour lui ! 


Rendez-vous : Rendez-vous de la semaine du 12 au 18 novembre 2012
Rendez-vous de la semaine du 12 au 18 novembre 2012

11-13 novembre Canton : WWM Asia, Convention internationale sur les vins et spiritueux

14-16 nov. Canton : INTERWINE China (tous les 2 ans)

14-16 nov. Shanghai : FHC, Salon de l’hôtellerie, de l’alimentation et de la boisson

13-18 nov. Zhuhai : Salon aéronautique et spatial (tous les 2 ans)

16-21 nov. Shenzhen : Foire industrielle

16-21 nov. Shenzhen : Elexcon, Salon Hi-tech de l’industrie électronique