Petit Peuple : Wuhan – Huang, privé d’enfance

A Wuhan, Huang Yibo, 13 ans, se comporte comme s’il en avait 60, et quoique collégien, adore arborer des postures historiques à la De Gaulle ou Mao.

Sa caste d’origine le prédisposait évidemment à telle destinée, avec un père haut gradé dans l’administration de l’hygiène alimentaire et une mère dans un groupe industriel de l’armée, l’un et l’autre cadre du Parti, il va sans dire. Sous ce bain concentré de morale post-révolutionnaire, il ne fallut au bébé Huang que 24 mois pour lâcher les dessins animés pour le journal de la CCTV, et sept ans pour avaler chaque jour son Quotidien du peuple, complété pour faire bon poids par le Cankaoxiaoxi, l’indigeste Digest des meilleurs articles du pays, normalement réservé aux apparatchiks.

Toujours premier de sa classe, il fut du 1er wagon d’écoliers invités à porter le foulard rouge des Jeunes Pionniers. Dans l’organisation de masse, il gravissait les marches à une vitesse olympienne, pour compter après peu d’années parmi les 16 marmots au top, détenteurs du brassard à 5 bâtons : il était devenu le général en chef adjoint de l’armée des 2 millions de mômes de la métropole du Yangtzé.

En chemin, il rafla assez vite breloques et diplômes, étant élu parmi les « 100 meilleurs jeunes chinois », les « 10 enfants à la meilleure piété filiale », les « Jeunes pionniers impeccables» de Wuhan, et bien d’autres.

Tandis que ses copains et copines sortent au café internet pour une mémorable partie de Tomb Raiders, et entrent dans l’âge des peines de coeur, Huang réfléchit impavide aux priorités sociales du XII. Plan ou à la campagne « rouge » qui fait rage à Chongqing. Les résultats de ses précieuses cogitations, il les cristallise dans des articles, dont il a déjà publié une centaine dans divers media pour jeunes. Et les 3000 yuans qu’il a reçu pour sa peine, il s’est empressé d’aller les remettre aux vieillards nécessiteux dans leurs asiles et de s’y faire photographier en plein acte de solidarité sociale. La presse abonde de témoignages : tel le jeune Gandhi ou le jeune Jésus Christ, il rivalise en érudition et en dialectique avec les leaders et savants de la ville.

Mais mi-avril, quand il a ouvert son blog, son monde a explosé. D’abord par l’imbattable modestie de son petit site, sobrement intitulé « d’une largeur d’esprit du ciel jusqu’à la Terre ». Puis par son objectif avoué, « promouvoir la renaissance de la nation et restaurer les fastes des Han et des Tang » – rien que cela.

Sans parler de « LA » photo : sur fonds d’étoiles et de jeunes pionniers, dans son bureau de général en chef, Huang Yibo étudiait sérieusement un document politique, sur la juste ligne à faire observer par les enfants sous ses ordres… C’en était trop : en quelques semaines, le blog reçut 1,2millions de clics et plus de 1000 commentaires, plus indignés qu’admiratifs. Où étaient le football, le roller, les 400 coups ?

Ce gamin, n’était-ce pas une image paroxystique de l’idéal du Parti tel que vu par lui-même ? En aucun cas il n’était un exemple à suivre pour la vraie jeunesse. Les uns dénonçaient l’arrogance naïve. D’autres, la mystification de parents vivant par procuration et d’autres encore, une manipulation venue de plus haut, pour soutenir un leader dans le chambardement national des promotions en cours.

Un bloggeur au moins exprima une pitié sincère pour ce jeune poussé dans ce piège du « lǎo qì héng qiū » (老气横秋, « jouer l’air de vieillesse dans l’automne de la vie ») : contraint à jouer aux vieux, servir de mascotte, sans se rendre compte qu’à ce marché de dupe, c’était ses plus belles années, sa vie entière peut-être qu’on lui confisquait.

Face au tollé général, ses parents finirent par faire fermer le blog le 03/05 – mais le mal était fait – depuis longtemps.

 

 

 

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