A la loupe : La ville assiégée par ses déchets

Au port de Ningbo-Zhenhai (Zhejiang), les navires doivent suivre un chenal erratique et ne trouvent plus d’amarrage, faute de fond. C’est une suite imprévue du «stimulus» de 400MM² de 2008. En 2010, la ville a abattu assez de bâtisses pour générer 33Mt de moellons, dont seuls 10% ont été déposés en sites légaux, à 45¥/t. Le reste a «amerri», bravant les amendes pour assurer 15¥/t d’économie aux firmes de construction indélicates.

La scène se reproduit autour de toutes les villes. Par photo aérienne, 7000 cônes d’ordures en décomposition ont été révélés autour d’une métropole laissée anonyme par un média craignant des rétorsions: problème colossal, hérité de la lame de fond d’urbanisation. Les villes chinoises qui logeaient 31% du pays en 1999, en abritent aujourd’hui 49%, et 18 de plus. Or aujourd’hui, le citadin génère 1kg d’ordures/jour, dont 70% non traitées: 7MMt empilées en collines nauséabondes! Seuls 30% sont incinérés ou recyclés. Avec 20M d’habitants chacun, Pékin et Shanghai produisent 7Mt/an, Canton 4,5Mt.

A ce bilan doivent s’ajouter 1,34 milliards de tonnes de déchets industriels. Pour l’avenir, la situation va empirer. A l’ère des supermarchés et des emballages alimentaires, il ne faudra que 20 ans pour que chaque chinois rejoigne l’américain, à 2kg de déchets/jour.

Or, face à la lame de fond d’ordures, l’administration impréparée n’a créé que quelques dizaines d’incinérateurs—pour 23% de l’humanité.

L’heure est à la sensibilisation, comme à Shanghai où 3700 sites pratiquent la collecte sélective par type de déchet (jaune=verre, orange= dangereux, bleu= papier et plastique, vert= aliment). Après 10 ans, l’expérience est décevante. Seuls 10% des citoyens, apathiques, coopèrent. Les villes cherchent la solution : campagnes d’information, amende pour les récalcitrants—mais Pékin vient de reculer provisoirement, vu l’accueil négatif de la population à l’enquête d’acceptabilité. Comme alternative, elle envisage de transférer le tri aux compagnies de services des résidences.

La plus forte réticence va aux projets d’incinérateurs, comme à Pékin-Sujiatuo (1800t/j, investissement de 200M²) ou à Panyu(Canton). Craignant les fumées de dioxine, les communautés se coalisent pour chasser ces outils «ailleurs».

A Panyu, la ville envisage une solution étrange à l’oeil occidental, genre «militaire» ou «hit-parade inversé». Ayant pressenti cinq sites, elle les met au vote sur internet : dès l’été, le chantier démarrera (pour entrée en service en 2014), sur le site ayant reçu la plus faible opposition.

Au plan national, la Chine veut faire recycler d’ici 2015 70% des ordures urbaines. La stratégie consiste à étendre aux 668 métropoles, le plan expérimental mené depuis 2006 sur 55 d’entre elles moyennant 267M$ d’investissement sur 181 centres de tri, l’ouverture de 36 marchés régionaux de ferrailleurs, le tout ayant porté en cinq ans le recyclage de 40 à 70%. A tâtons (pour éviter les fraudes), Pékin prépare aussi une fiscalité préférentielle à ce secteur à faible rendement, mais d’intérêt vital pour les villes.

Enfin, on l’a compris, ce qui manque le plus, est un management fort, et surtout un mécanisme de marché suffisant, s’appuyant sur des groupes étrangers experts comme Veolia Environnement. Il se pourrait aussi que manque une conscience ou volonté politique suffisantes dans les sphères dirigeantes. Ce thème du déchet, peu attractif, n’apparaissant guère jusqu’à présent dans les discours ou dans la presse comme une priorité nationale. Une mission d’urgence en plus pour la prochaine équipe au pouvoir, dans 18 mois.

 

 

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