Le Vent de la Chine Numéro 15

du 24 avril au 7 mai 2011

Editorial : Pâques, et le grand tournant

En Chine comme ailleurs, le climat social suit souvent celui des saisons : à Pâques, 复活节 (Fuhuojie), le pays se débat sous une sécheresse, tension autant climatique que sociale et politique. L’aridité frappe autant les campagnes que la croissance. Dans les deux cas, la Chine doit se préparer pour passer au développement durable, et mettre en harmonie sa production, ses besoins, et les ressources de la Terre.

Manquent à la fois l’eau pour les cultures, les crédits et le sol pour l’immobilier, les ouvriers, l’énergie, les matières 1ères et même le marché (local et d’export) pour l’industrie. Face au défi géant, l’État lance (18/04) sa plus forte offensive depuis 2005 pour aider l’économie à franchir le grand tournant sans casse, juguler l’inflation (5,4% en mars) et relancer la consommation.

Yang Zhiming, Vice-ministre du travail édicte (18/04) une hausse moyenne des salaires de 15%/an (100% d’ici 2015), sans oublier les bas salaires (13%/an aux salaires min.). Puis le bureau de l’ANP discute (21-23/04) le nouveau salaire imposable à 3000¥, proposé par le Conseil d’Etat : il aurait réduit de 50M la cohorte des imposables, à 12%. Mais en une fronde rarissime, l’ANP repousse sa décision à juin : trop timide, la mesure n’aurait fait, par rapport au coût de la vie dans les grandes villes, que compenser (très provisoirement) l’inflation et remettre à les pendules à l’heure de 5 ans en arrière.

Pour casser l’inflation (5,3% en mars), l’État veut drainer le marais du crédit, distribué sans compter depuis 2009 aux provinces sous forme de stimulus : le 18 avril, arrive la 4ème hausse des réserves bancaires (0,5%) – mais comme 50% des fonds en ce pays circulent hors banques, l’efficacité semble aléatoire.

Autre front de l’inflation, l’immobilier : depuis mars, Pékin tente de contrôler l’octroi et les prix des terres à bâtir. On voit les débuts d’un cadastre national en ligne, devant relayer ceux des provinces pour permettre dès 2015 d’éplucher les transactions et prévenir les confiscations abusives. Mais des experts, tel Niu Fengrui, de la CASS (Académie des sciences sociales) doutent de la capacité de l’outil à enrayer les dérives: les cadres contournent le système en mettant à prix gonflés les terres aux enchères publiques. Idem, l’ANP discute d’une loi contre les violences des «chengguan», agents municipaux chargés des évictions. Mais les chances que l’assemblée l’adopte sont diaphanes : à travers leurs membres, les provinces tiennent le Parlement. Et pourtant, le rythme des spoliations s’emballe: les contrôles de l’an 2010 ont dévoilé 34200 cas, et 50.000 ha confisqués. De ces surfaces, seules 20% furent récupérées : en taxes et en amendes, les cadres et notables fraudeurs ont payé 18 milliards de ¥ —mais gardé leur butin.

En ce climat trouble, la bataille de l’inflation n’est donc pas gagnée. Certes, les cours des denrées se tiennent et à Pékin et Shanghai, les ventes de biens baissent en argent de 50%, en nombre de 66% : Président de Soho China, Pan Shiyi voit déjà les promoteurs baisser leurs prix sous «2 à 3 mois», une fois leurs réserves financières épuisées. Mais Jiang Yunfeng, chef de l’Institut de recherche CIA voit au contraire les prix remonter, avec la raréfaction des sols, face à la soif générale d’accès à la propriété.

La crise déstabilise et crée des tensions: faillites dans le privé (telle celle de Zhejiang Glass, 7MM¥ de dettes) ; contrefaçon qui explose (43000 plaintes en 2010, +40%), en même temps que les tentatives d’extorsion d’administrations sur les firmes. L’appareil perd en tolérance, vis-à-vis des Églises notamment: celle lamaïste, avec l’interdit de sortie pour les 2500 moines du monastère de Kirti (Sichuan), celle catholique (irritée par l’ordination d’un évêque apostat), celle protestante – la paroisse de Shouwang en lutte, après son interdiction de réunion… Bon temps pour l’État pour manier la prudence et plus que jamais, selon l’ex-pression de Deng Xiaoping « traverser la rivière en tâtant les pierres » !

Mais justement, les temps ont changé. Aujourd’hui, le gué est inondé par l’eau de 1000 conflits sociaux et vieilles contradictions accumulées, empêchant le pouvoir de sonder. Ne lui laissant que le choix de s’arrêter, ou de passer à l’aveugle. Et ce n’est pas son moindre paradoxe, de donner l’impression de chercher à faire les deux à la fois: bloquant sur les réformes, et multipliant les exutoires technocratiques à la poursuite d’une re-prise de la consommation. Ce qui ressemble à un mirage qui, comme chacun sait, recule devant vos pas, avant de s’évanouir en plein désert !

 

 


Temps fort : Chemins de fer chinois—l’arrêt sur signal d’alarme

« Il faut accélérer le changement du modèle de développement des chemins de fer… vers une approche plus scientifique et ordonnée » : à Sanya le 16/04, le Président Hu Jintao prononçait ce bilan laconique et critique de l’industrie ferroviaire chinoise, qui confirmait implicitement la chute de Liu Zhijun l’ex-patron du Ministère, et plus encore celle de Zhang Shugang son ingénieur chef, qui risque les pires sanctions pour ses années de corruption effrénée.

Sur ce secteur dans la tourmente, les mesures de redressement s’accumulent depuis 10 jours. Le ralentissement des trains frappera au 1er juillet : de 350km/h à 300 (vitesse réservée désormais à 8 lignes « stratégiques » Est-Ouest et Nord-Sud), de 300km/h à 200 pour les Intercity, et le futur Xi’an-Urumqi, le reste à 120km/h. Le 15/04, une campagne d’inspection de 10 jours démarre sur la sécurité des lignes, pour évacuer les dépôts dangereux à proximité des ouvrages, et les activités intruses, (telles les porcheries et les petits commerces squattant sous les viaducs).

Après 8 ans de croissance ferroviaire tous azimuts, l’État semble avoir réagi à la dérive du pouvoir solitaire de Liu sur ses 2 millions d’employés et ses budgets en billions (1012) de yuans. La dette du ministère est estimée à 1,8 billion de Yuan (56% des actifs, et 4,5% de la dette publique), et ses intérêts, à 100MMY/an.

L’absence de rentabilité du TGV est totale- pour des millions d’usagers potentiels, les heures de transport épargnées ne valent le prix du ticket, au nouveau tarif exorbitant. Ainsi sur la ligne Pékin-Tianjin, la billetterie ne couvrirait même pas les intérêts de l’emprunt. Pour assainir cette dette, l’État devra renflouer.

Construit en un temps record, à partir de technologies importées et de nombre de paris non validés, ce vaste réseau de 8358km («le plus long du monde») est peu fiable et perclus de limitations « provisoires » de vitesse, comme sur la ligne Shijiazhuang-Taiyuan aux rails qui se gondolent en été, ayant été soudés en hiver. Ou comme sur ces ponts et ces traverses de béton, coulés sans les additifs d’élasticité, nécessaires pour la haute vitesse.

La vitesse réduite permet aussi de redémocratiser les tarifs, et réduire la consommation en électricité (qui double à 350km/h, sur celle de 200km/h), ainsi que l’usure d’un matériel dont le cycle de vie se restreint dramatiquement au-delà des 300km/h initiaux.

La chute du ministre éclaire au passage un système d’adjudication dévoyé qui écartait toute firme étrangère depuis 2009. Tandis que Mme Ding Shumiao (actuellement en prison) recevait les gros contrats de Liu directement, moyennant rétrocession d’une commission clandestine de 3%. Sur la ligne Shanghai-Pékin qui ouvrira en juin 2011, l’Audit national trouve 28M$, voire 36M$ de malversations.

Le résultat est cet endettement et cette absence de sécurité. De même, les rêves d’export (Russie, USA, Brésil, Asie) souffriront -moins en matériel roulant qu’en pose de rails et en signalisation, secteurs les plus en retard.

Par les actions en cours, les autorités prouvent qu’elles ont pris conscience des lourds dangers d’un programme volontariste et aventuriste. « Mais», précise toutefois notre témoin, « elles ne sont pas encore prêtes à en tirer les conséquences, jusqu’à s’ouvrir à l’étranger pour rendre au secteur sa fiabilité, moyennant un partage du marché ».

 

 


Pol : Kadhafi, hao bu hao ?

Sur la guerre civile libyenne, Pékin occulte subtilement son profond agacement envers Kadhafi et prend parti pour lui : par crainte des tendances libertaires qui secouent le monde arabe, voire dans l’espoir que le dictateur gagne et remette en selle les 50 grands projets chinois sur son sol.

Mais ce parti pris vient de connaître un solide bémol, exprimé sur l’internet par E. Shahrour, chef du bureau pékinois de la chaîne Al Jazeera, en un coup de gueule en mandarin, que la censure n’a pas coupé. Sous le titre accrocheur de «100.000 questions du peuple arabe aux media chinois», le correspondant exprime sa frustration face à une couverture dans la presse continentale, «traduction simultanée de la TV kadhafiste». Le résultat dépasse toutes les attentes. En 72heures, 150.000 lecteurs sont passés par son blog, 10.000 l’ont cité ou commenté, permettant une rare bouffée d’ex-pression d’une opinion anti-Jamahiriya. Comme si Pékin s’interrogeait sur la pertinence de continuer à chanter les louanges de l’encombrant chantre vert de la Zenga-Zenga. 

Zhang Wen – journaliste en vue depuis qu’il a proposé publiquement sur son blog le « lâchage » de la Corée du Nord – éreinte légèrement ses collègues envoyés spéciaux : «mettez des journalistes dans un hôtel, avec carte blanche au restaurant et ban sur les interviews libres, et c’est ce que ça donne ». Puis constatant l’absence de toute réaction d’en haut, même les hussards rouges du Global Times commencent à s’enhardir, tendant le micro aux habitants de Benghazi: « Kadhafi, hao bu hao » (Kadhafi, il est bien, ou quoi » ?

 

 


Argent : L’Europe sevrée de Traditional Chinese Medicine

Pour les potards chinois, ce fut un mauvais 1er avril, leurs TCM (Traditional Chinese Medicine) ou remèdes phytopharmaceutiques se retrouvant bannis de l’Union Européenne au titre d’une directive de 2004, faute de l’agrément d’un des 27 États membres.

Il faut bien l’admettre, pour ces labos, c’était «mission impossible», vu les conditions draconiennes : tisanes ou dragées devaient justifier d’un cycle commercial de 30 ans, dont 15 en Union Européenne, et leur molécule devait être connue et immuable, ce qui supposait un brevet à 1M¥. L’Union Européenne, à 10MM², est le plus grand marché du monde pour les médicaments à base de plantes, (40%), mais ce ne sera pas pour la Chine, dont les plantes cueillies sont moins concentrées et plus polluées que celles d’Europe cultivées en milieu contrôlé.

Un laboratoire au moins espère passer à travers le crible : Foci, groupe vétéran, de Lanzhou (Gansu). Le remède présenté est connu, extrait d’une seule plante, donc plus aisément analysable: une dragée d’angélique, stimulant la digestion. Zhu Zurong, directeur général, a astucieusement choisi de tenter la certification en Suède, réputée «moins stricte». Au demeurant, de l’avis même des professionnels chinois, le mal n’est pas trop grand, le marché européen marginal étant pour la Chine qui exporte surtout chez ses voisins. Mais son interprofession, et des associations européennes de médecine «douce» préparent des plaintes devant des instances, telles la Cour Suprême britannique à Londres, et l’OMC, (l’Organisation mondiale du commerce)—plus pour le principe, et pour les 50.000 praticiens chinois (estimés) en Europe, bientôt en rupture de stock !

 

 


A la loupe : Salon de l’Auto de Shanghai— ‘big is beautiful’

Les yeux fermés sur la crise, le 14ème Salon de l’auto de Shanghai (20-28/04) s’est ouvert, avide de luxe et de grosse cylindrée, exprimant la fortune grandissante des nouveaux possédants. Au Salon, la Phantom de RollsRoyce (filiale BMW) est facturée 9M¥ !

Ce salon du 1er pays producteur et usager d’automobiles rassemble 2000 firmes de 20 pays, 1100 voitures (19 en 1ères mondiales) et attend 700.000 visiteurs sur ses 230.000m² de travées.

La tendance est nette : les designers chinois reprennent la barre, avec des berlines aux arrière larges et sièges moelleux (pour les patrons avec chauffeurs). Des marques apparaissent, tel Baojun (palefroi), dernière JV de General Motors qui caracole, vendant 2,35 millions d’unités en 2010. Dès 2015, il veut s’assurer 5M, moyennant 1,5MM$ d’investissement/an.

En 2010, 18M de véhicules, (dont 11M de privés), se sont vendus. 2011 fera 10 à 15% de mieux, et le potentiel reste immense, avec 58 véhicules par 1000 habitants, 1/10 d’en France.

L’industrie nippone est en convalescence, suite au séisme de Fukushima qui aurait fait reculer la production de 0,8M d’autos dans l’archipel, 25.000 en Chine, 55.000 en Europe et 68.000 aux USA. Défendue par son PDG Carlos Ghosn (juste sorti du scandale de la fausse affaire d’espionnage chez Renault), Nissan présentait sa nouvelle Tiida.

Avec sa concept-car Tiandi, Volvo fait sa sortie comme marque chinoise (rachetée en 2010 par Geely), et revendique un nouveau look « voluptueux».

Dans le haut de gamme, Daimler confirme sa croissance très rapide, et s’appuyant sur son usine pékinoise, prétend sextupler ses ventes d’ici 2015, à 300.000 unités.

PSA poursuit sa longue marche pour décoller de ses 3,4% du marché, bien trop maigres après 20 ans de présence chinoise. Il sort sa DS5 (remake du modèle mythique), la 508 Peugeot, et un concept SUV de son centre de design aux 450 ingénieurs, son cheval de bataille à Shanghai, pour orchestrer d’ici cinq ans la remontée à 8% du marché, et «700.000 voitures».

Grand « présent-absent » à Shanghai : l’EV électrique que tous les groupes montrent mais que nul ne vend— faute d’une batterie puissante/fiable et de recharge rapide. Avec BYD, très avancé en technologie, Daimler travaille à un minicar EV peu cher, dont ils espèrent inonder le marché. Mais BYD a le handicap d’être privé, mal vue à Pékin qui n’a d’yeux que pour les groupes d’État !

Agacé de ne pouvoir rattraper l’étranger en voiture à essence (en qualité et en ventes), Pékin tente de prendre la maîtrise mondiale de l’-EV, créneau d’avenir. Pour ce faire,comptant sur son marché comme tremplin, il va offrir 15MM$ à ce secteur d’ici 2015, dont 9200$ de prime par achat. L’étranger attend avec malaise la parution en mai du règlement-cadre décennal : il devrait édicter l’obligation de JV minoritaires, et le transfert d’une des 3 technologies « coeur »: batterie, moteur ou gestion de l’énergie. Déjà Nissan a tout compris et s’apprête à exporter sa Leaf en Chine, renonçant à l’y produire : pour sauvegarder sa propriété intellectuelle, plus vitale, tout bien pesé, que sa percée sur ce marché !

 

 


A la loupe : La ville assiégée par ses déchets

Au port de Ningbo-Zhenhai (Zhejiang), les navires doivent suivre un chenal erratique et ne trouvent plus d’amarrage, faute de fond. C’est une suite imprévue du «stimulus» de 400MM² de 2008. En 2010, la ville a abattu assez de bâtisses pour générer 33Mt de moellons, dont seuls 10% ont été déposés en sites légaux, à 45¥/t. Le reste a «amerri», bravant les amendes pour assurer 15¥/t d’économie aux firmes de construction indélicates.

La scène se reproduit autour de toutes les villes. Par photo aérienne, 7000 cônes d’ordures en décomposition ont été révélés autour d’une métropole laissée anonyme par un média craignant des rétorsions: problème colossal, hérité de la lame de fond d’urbanisation. Les villes chinoises qui logeaient 31% du pays en 1999, en abritent aujourd’hui 49%, et 18 de plus. Or aujourd’hui, le citadin génère 1kg d’ordures/jour, dont 70% non traitées: 7MMt empilées en collines nauséabondes! Seuls 30% sont incinérés ou recyclés. Avec 20M d’habitants chacun, Pékin et Shanghai produisent 7Mt/an, Canton 4,5Mt.

A ce bilan doivent s’ajouter 1,34 milliards de tonnes de déchets industriels. Pour l’avenir, la situation va empirer. A l’ère des supermarchés et des emballages alimentaires, il ne faudra que 20 ans pour que chaque chinois rejoigne l’américain, à 2kg de déchets/jour.

Or, face à la lame de fond d’ordures, l’administration impréparée n’a créé que quelques dizaines d’incinérateurs—pour 23% de l’humanité.

L’heure est à la sensibilisation, comme à Shanghai où 3700 sites pratiquent la collecte sélective par type de déchet (jaune=verre, orange= dangereux, bleu= papier et plastique, vert= aliment). Après 10 ans, l’expérience est décevante. Seuls 10% des citoyens, apathiques, coopèrent. Les villes cherchent la solution : campagnes d’information, amende pour les récalcitrants—mais Pékin vient de reculer provisoirement, vu l’accueil négatif de la population à l’enquête d’acceptabilité. Comme alternative, elle envisage de transférer le tri aux compagnies de services des résidences.

La plus forte réticence va aux projets d’incinérateurs, comme à Pékin-Sujiatuo (1800t/j, investissement de 200M²) ou à Panyu(Canton). Craignant les fumées de dioxine, les communautés se coalisent pour chasser ces outils «ailleurs».

A Panyu, la ville envisage une solution étrange à l’oeil occidental, genre «militaire» ou «hit-parade inversé». Ayant pressenti cinq sites, elle les met au vote sur internet : dès l’été, le chantier démarrera (pour entrée en service en 2014), sur le site ayant reçu la plus faible opposition.

Au plan national, la Chine veut faire recycler d’ici 2015 70% des ordures urbaines. La stratégie consiste à étendre aux 668 métropoles, le plan expérimental mené depuis 2006 sur 55 d’entre elles moyennant 267M$ d’investissement sur 181 centres de tri, l’ouverture de 36 marchés régionaux de ferrailleurs, le tout ayant porté en cinq ans le recyclage de 40 à 70%. A tâtons (pour éviter les fraudes), Pékin prépare aussi une fiscalité préférentielle à ce secteur à faible rendement, mais d’intérêt vital pour les villes.

Enfin, on l’a compris, ce qui manque le plus, est un management fort, et surtout un mécanisme de marché suffisant, s’appuyant sur des groupes étrangers experts comme Veolia Environnement. Il se pourrait aussi que manque une conscience ou volonté politique suffisantes dans les sphères dirigeantes. Ce thème du déchet, peu attractif, n’apparaissant guère jusqu’à présent dans les discours ou dans la presse comme une priorité nationale. Une mission d’urgence en plus pour la prochaine équipe au pouvoir, dans 18 mois.

 

 


Joint-venture : Nestlé veut Yinlu, et « hier de demain »..

我有,我聪明 (wǒ yǒuwǒ cōngmíng- l’avoir, c’est être fûté) est le slogan d’un spot publicitaire d’un lait aux noix de la marque Yinlu.

Un garçon essaie désespérément d’inviter une fille à une sortie : «maintenant, demain, après-demain, après après-demain, quand tu veux !». La belle prend une gorgée de la boisson miracle, avant de répondre, joueuse : «hier !». Le soupirant fait de même, et tente : « le hier de demain ? » – déclenchant le sourire de la demoiselle, celui du public, et sauvant ses espoirs de conquête.

Si la publicité occupe à présent les feux de la rampe, c’est que Nestlé (18/04) dévoile son ambition de « sortir avec » la firme de Xiamen. Et pour y parvenir, il semble avoir tiré une leçon des déboires de Coca-Cola, interdit en 2009 de reprendre Huiyuan (pour 2,4MM$), un poids lourd des jus de fruits chinois. Le ministère du commerce s’était inquiété de voir émerger un monopole. Si le chiffre d’affaires de Yinlu est bien supérieur à celui de Huiyuan (839 M$ contre 568), sa marque est moins connue, étant implantée dans des provinces et surtout des villes petites et moyennes. En outre, pour ne pas effaroucher la concurrence, Nestlé se propose de ne reprendre que 60% et de laisser la direction au PDG du groupe familial, Chen Qingyuan.

Cette fois donc, les autorités pourraient valider le deal. Après tout, leur refus de 2009 n’avait pas empêché le succès de Minute Maid (Coca-Cola) en Chine. Et le secteur laitier chinois pâtit d’un si grande défiance des consommateurs, après le scandale du lait à la mélamine, qu’une injection d’image suisse dans d’un acteur local n’est peut-être pas une idée si sotte, pour assurer le « hier de demain » .

 

 


Autres : Michael Pettis : La Chine, face à son introuvable rééquilibrage

Par Michael Pettis, avec l’accord de l’auteur

Analyste américain en Chine depuis 9 ans, M. Pettis est passé par le Brésil, Wall Street, l’université Tsinghua (où il enseigne) en passant par…des boites à Jazz, tel le Club D-22 qu’il a créé en 2008 à Pékin pour soutenir les espoirs du genre. Lors d’une conférence pékinoise, Pettis nous livre ses réflexions sur l’économie chinoise, selon lui au bord d’un grand tournant :

« A mes débuts en Chine, j’ai souvent entendu parler d’un ‘modèle économique totalement inédit’. Puis progressivement, j’ai retrouvé des éléments familiers, pour finalement constater qu’il s’agissait d’une variante d’un modèle très ancien qui allait vers un endettement insoutenable. A présent, il y a prise de conscience d’une crise et de l’urgence d’un rééquilibrage, qui s’annonce difficile. En 2009, le professeur Victor Shih a tenté ce que nul n’avait fait avant lui : évaluer la dette des provinces, en se basant sur les données publiées sur leur site internet. Son rapport a provoqué une onde de choc à travers le monde : car la dette était équivalente à celle du niveau central, et en croissance hyperbolique.

Comment évaluer la croissance d’un pays ?

Partout à travers le monde, trois éléments se conjuguent pour assurer la croissance : consommation intérieure, investissement intérieur et l’excédent commercial, qui mesure la consommation de biens chinois à l’étranger. Dans presque toute croissance, ces trois éléments doivent entrer en jeu et garder une forme de rapport entre eux, quel qu’il soit. Or sous cet aspect, la Chine contemporaine présente des comportements étranges et inédits.

Dans les années ’80, les Chinois consommaient 50 à 52% de leur PIB. C’était peu, par rapport à une moyenne mondiale de 60 à 70%. Mais par rapport aux pays d’Asie à très haute épargne et basse consommation, comme le Japon, cela pouvait se concevoir – ils avaient un taux de 60 à 65%, et les «tigres asiatiques» comme Singapour, 50 à 55%. Puis dans les années ’90, la consommation chinoise a baissé doucement : en 2000, on était à 46%, très mauvais chiffre, comparable à celui de la Malaisie (45%), après l’effondrement monétaire de 1997.

Puis la chute s’est accélérée. En 2005, les Chinois n’absorbaient plus que 40% de leur PIB, ce qui était sans précédent. Les dirigeants ont commencé alors à s’inquiéter, prônant une hausse du taux de consommation. Mais la Chine pouvait toujours se reposer sur la demande américaine encore très forte, voire celle de pays d’Europe du Sud, consommant à crédit, comme l’Espagne ou la Grèce. Durant tout ce temps, et aujourd’hui encore, en chiffres bruts, la consommation chinoise ne chutait pas, mais montait de 8% par an. Toutefois le PIB croissait bien plus vite, faisant relativement décliner le marché intérieur. C’est alors que j’ai réalisé que ce déclin était non un handicap, mais un outil de la croissance chinoise. Et que pour sortir de cette spirale, il faudrait abandonner ce modèle de développement !

Suite aux mesures de relance de l’État à l’époque, nous avons tous cru que les dépenses des ménages allaient redémarrer. Mais nous nous sommes tous trompés. En 2009, malgré tous les efforts du pouvoir, la consommation est encore tombée plus bas, à 35,1% : désormais, nous sommes dans le domaine de l’irréel. Du jamais vu ! Pour 2010, les chiffres ne sont pas sortis, mais nous nous attendons à encore moins. L’État est cette fois en plein état d’urgence. Wen Jiabao l’a dit en mars devant le Parlement, abandonnant la priorité immuable à la « croissance », pour plaider cette fois la « stabilité des prix » et la hausse de la consommation en pourcentage du PIB. Ce qu’aucun gouvernement chinois n’avait fait avant lui. Nous venons de voir sortir un plan quinquennal de consommation aux mesures puissantes—hausses de salaires, baisses d’impôts etc. Mais Je crois pouvoir prédire dès maintenant qu’il échouera : d’ici 2013, la consommation n’aura pas remonté, mais probablement encore un peu baissé. 

L’investissement, seule corde à l’arc de la croissance ?

Tant que la Chine sous consommait en épargnant, il fallait bien ailleurs au monde d’autres régions pour sur consommer en s’endettant- les USA, et les Européens du Sud. A présent, ces zones sont obligées assez rapidement de réduire leur dette. Pour B. Obama, c’est un objectif stratégique. Quant aux Européens du Sud, ils n’ont pas le choix, car ils ne trouveront nulle part des influx financiers nets pour compenser leurs dettes, hormis les plans de sauvetage de l’Union Européenne et de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique).

En résumé, en Chine, la consommation est en recul, et l’export se ferme : il ne reste plus qu’une corde à l’arc de la croissance chinoise, l’investissement intérieur. Mais le problème est qu’une croissance basée sur cette ressource, ne marche qu’un temps limité.

Bien des pays ont connu dans le passé une croissance fulgurante, via l’investissement : le Brésil, l’URSS de naguère, ou le Japon, qui à son apogée en 1997, avait conquis 17% du marché mondial. Or en 2010, il a été doublé par la Chine, et ne pèse plus que 8%. Les petits Tigres d’Asie du Sud-Est eux aussi ont connu une croissance folle, qui fut aussi brisée dans l’oeuf par la crise de 1997, dans la plupart des cas, suivie par une «décennie perdue». Conclusion : une croissance fondée sur le seul investissement peut être très dangereuse. A sa base, on trouve toujours un système financier qui draine l’épargne (générée par des taxes à la consommation) vers divers projets. Tant qu’ils sont viables, cela permet de financer des infrastructures bénéfiques mais non bénéficiaires, comme le métro, qui génère d’autres croissances. Ce modèle de croissance rapide est excellent pour des pays sans infrastructure ni base industrielle, tant que ces projets rapportent financièrement plus que leurs coûts.

Pour ce faire, la technique est simple, il faut limiter les canaux où l’argent peut circuler. En Chine, n’existe que le dépôt bancaire. Les banques sont donc assurées de crouler sous l’épargne, qu’elles prêtent à un taux extrêmement bas, fixé par le Conseil d’État, à des projets le plus souvent étatiques. La masse monétaire augmente chaque année à un rythme considéré ailleurs comme malsain, il y a donc pléthore. Deux autres conditions favorables sont réservées aux entrepreneurs : le « crédit socialisé », à savoir la garantie par l’État, implicite ou explicite de remboursement—donc à risque zéro pour la banque et pour l’entrepreneur. Ainsi, le maire d’une métropole peut multiplier ses autoroutes ou résidences sans se soucier de leur rentabilité, le risque financier étant partagé par l’ensemble de la nation.

La méthode comporte un risque, passé un certain stade: celui de maintenir l’effort d’équipements toujours plus chers et toujours moins utilisés, une fois épuisée la liste des projets viables. Il en résulte une croissance forte sur le papier, mais un gâchis en réalité, où la valeur créée est inférieure à la dépense, et où la dette augmente. A un moment, la pompe à croissance va s’inverser sans que cela puisse se voir : fausse croissance, et dette réelle.

Quant au taux d’intérêt, plus il est bas, plus l’emprunteur est subventionné, lequel peut alors oser s’aventurer dans des projets qu’il éviterait s’il devait payer le vrai prix. La subvention est payée par l’épargnant qui voit son patrimoine s’amenuiser, et doit consommer moins. La banque est donc un puissant système de transfert de l’épargne des particuliers vers les entrepreneurs. Les grands groupes publics, tous bénéficiaires, sont tous déficitaires, hors subventions et avantages discrétionnaires…

Des « taxes cachées » :

Les racines de cette épargne chinoise sont mal comprises: «morale confucéenne» pour les uns, « faiblesse de la couverture sociale » pour les autres. Mais ces pistes, souvent citées, ne tiennent pas la route si l’on compare les différentes lectures du confucianisme d’une part, les comportements d’épargne des pays à couverture sociale faible et forte de l’autre. La raison ultime de ce taux d’épargne apparemment si élevé, tient à un choix de l’État : celui d’une série de taxes invisibles.

La 1ère est le taux de change trop bas, l’équivalent d’une taxe à l’import, privilégiant les biens made in China. Il en ressort un surcoût dû à l’élimination d’une concurrence, et un transfert de ressources du revenu des ménages vers les industries locales. La 2de taxe vient de la dissociation entre salaires et productivité, notable depuis 2000. En 11 ans, la productivité a triplé, mais les salaires n’ont que doublé, la différence étant une subvention cachée à l’employeur. Enfin, la 3ème taxe, la plus lourde et la moins comprise, est le taux d’intérêt. S’il est négatif, le pouvoir d’achat de l’épargnant s’érode, le forçant à consommer moins. En conditions normales, le taux d’intérêt reflète la croissance – pour la Chine, il devrait donc être de 14%. Mais pour l’épargnant chinois, il est de 6%. La différence (8%) est une taxe cachée à l’épargnant, la raison principale de la faiblesse de sa consommation.

L’impossible remède

La solution consiste à augmenter salaires et taux d’intérêts : rendre au travailleur une part supérieure de sa valeur produite, et offrir aux entrepreneurs une concurrence par des coûts non distordus, permettant d’éliminer les mauvais projets. Il s’agit aussi de renforcer le marché intérieur pour compenser le recul de l’export, remplacer le consommateur perdu à l’Ouest, par un autre local. Le risque, si l’on fait trop vite, est de déclencher l’inflation, et de perdre des deux côtés. Pour augmenter les taux d’intérêts sans détraquer le système, il faut 12 ans au moins. Or, avec la progression de la dette, il ne semble pas que la Chine ait ces 12 ans. Pour retrouver l’équilibre, elle doit réduire vite les mauvais investissements, et les ponctions sur le citoyen. Il se peut que le point critique ait été dépassé il y a 10 ans où le rapport infrastructures / productivité, était l’un des meilleurs au monde. Aujourd’hui, il est un des plus déséquilibrés, car en se dotant d’infrastructures comparables à celles du Japon, sa productivité n’est que du dixième, ce qui prédit, pour longtemps, une sous-utilisation de tous ces outils inadaptés.

Le fond du problème tient à ceci : historiquement aucun État n’a jamais réussi à rééquilibrer son économie en consommant davantage. Tous ont été amenés à réduire leur croissance du PIB -tel le Japon, redescendu comme on a vu de 17% du PIB mondial à 8% en 14 ans. Les suites du processus s’avèrent plutôt encourageantes pour la Chine. Après le «bust» de 1997, la population nippone, docile, ne s’est pas révoltée, et n’a pas non plus baissé sa consommation, quoique l’investissement ait fortement baissé. Si la Chine rééquilibre son couple PIB/consommation, elle y survivra – sauf sous deux cas de figures extrêmes : en cas de guerre monétaire avec l’Occident, faute de parvenir à s’entendre sur des règles nouvelles au G20, et en cas d’échec de sa bataille contre l’inflation.

La croissance réelle de 2011 devrait atteindre 9%. Après, on ne sait plus. Xi Jinping, Li Keqiang, la future direction, sont très soucieux, conscients d’avoir peu de temps pour réagir, à leur arrivée au pouvoir en 2012. Auront-ils carte blanche? Un consensus au sommet ? Les factions internes au Parti restent très puissantes. Si la nouvelle équipe rencontre un blocage à son plan de rééquilibrage, elle devra peut-être attendre 2 à 3 ans de plus avant de pouvoir débuter le processus – avec d’ici là une dette bien supérieure, et des torrents sociaux bien plus tumultueux ! » (fin)

 

 

 

 


Petit Peuple : Wenchang : l’iconoclaste malgré lui

Le souci de Yang Yan, contremaître du groupe immobilier Yilong, était cette statue sur la plage de Wenchang (Hainan), avant le chantier d’un hôtel 5 étoiles. Les masures étaient rasées au bull. Il ne restait plus que ces 9,9m de hauteur de marbre qui rutilait à quelques mètres des rouleaux de la mer, attendant le 1er béton.

C’était d’autant plus agaçant que le monolithe érigé en 2009 par Kangsheng, firme homophone du chef des services secrets de Mao, était sans licence. Mais c’était quand même un peu sacrilège, de faire disparaître un monument à la gloire du Grand Timonier !

Yang Yan avait décidé de déplacer la statue à 40km. Le 19/02, l’opération logistique débuta: escouade de maçons, filins, crics, masses… Et soudain, ce fut la catastrophe : tandis que les manoeuvres terrorisés s’enfuyaient, volée de moineaux, le Timonier se retrouva par terre. Et comme pour « Ajouter l’insulte au crime », (tòng shàng jiārǔ, 痛上加 辱), ils avaient tout laissé en plan, sans ramasser ni charger les morceaux dans le camion voisin, ce qui aurait fait disparaître l’objet du délit et laissé aux responsables le temps de s’organiser.

Comment un tel icono-clasme inouï dans les anales du pays, put-il arriver ? Yang Yan a-t-il simplement réagi en promoteur immobilier, démolissant d’abord, pour réfléchir ensuite ?

A-t-il voulu (comme l’en soupçonne Gao Yu, journaliste taiwanais) «retirer les braises de sous la marmite », et Mao de la mémoire collective, histoire de lancer après 35 ans un débat sur son héritage ? Sur le père fondateur de la RP Chine, la Chine en est restée à la vieille formule de Deng, « 70% de bien et 30% de négatif». Si Gao Yu a raison, le contremaître n’aurait pensé qu’à servir son pays, en réveillant la mémoire publique sur ce passé encore si sensible?

Une 3ème explication existe, la plus plausible: Yang aurait voulu se défiler du lourd fardeau de responsabilité. Aux ouvriers au garde-à-vous, il a crié une liste d’ ordres vagues avant de disparaître, laissant aux autres la faute d’un accident inévitable, vu la complexité de la manoeuvre, bien supérieure au savoir faire de ces paysans-gâche-ciment.

Les jours suivants, l’image de Mao profané suscita une bouffée de rage en cercles concentriques à travers le pays. Les fauteurs étaient réactionnaires et subversifs. Leur «cruauté extrême», causant une « souffrance éternelle infligée au coeur du peuple », appelait un châtiment exemplaire.

Ce type de plainte était à attendre. Moins prévisibles furent d’autres voix se félicitant de l’incident. Dix ans plus tôt, ce genre d’avis aurait valu un bon stage en camp à ses auteurs, histoire de les châtier de leur témérité. «De son vivant», claironnait l’un, «Mao lui aussi a fait briser les effigies de l’Empereur Jaune, de Confucius et autres généraux antiques: chacun son tour!» «Je n’aime pas ce type» (sic), faisait l’autre en contrepoint, «et la perte de sa statue me laisse de ‘marbre(re-sic). Mais que des nostalgiques aillent dérailler de la sorte, vraiment, ils sont victimes d’un lavage de cerveau »… Au-dessus de la mêlée s’entendaient des voix oecuméniques : il ne s’agissait que de travaux de chantier, pas la peine d’aller chercher de la subversion là-dedans. Si des sanctions devaient suivre, il fallait les faire selon la loi, point c’est tout.

En fin de compte, la mairie somma le groupe de faire son autocritique. Ce qu’il s’empressa de faire sur internet, tandis que Yang Yan offrait à reconstruire la statue là où il l’avait dit.

C’est sans doute ainsi que l’histoire trouvera sa fin, compensant les maoïstes et enterrant l’offense. Rien ne nous empêche d’ailleurs d’imaginer que c’était dès le départ la solution imaginée par les patrons de Yilong, fines mouches: sortie de secours, que se ménagent toujours les leaders chinois, stratèges dans l’âme !

 

 


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4-7 mai, Shanghai : EPTEE / IFAT, CWS, Salons de l’eau, du recyclage, des déchets

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5-9 mai, Pékin : Healthcare Industry, Salon de l’industrie de la santé

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