Pour la Corporation des Trois Gorges, le 26/10 récompensa 17 ans d’efforts. Après les échecs de 2008 et 2009, le barrage le plus puissant du monde atteignait ses 175m de hauteur d’eau (22MMm3). Cao Guangjing, Président du groupe annonça que les 26 turbines de 700Mw/an tournaient enfin à plein régime, et la croisière Chongqing-Yichang ne prenait plus que 4 jours au lieu de 6jours… Le niveau serait gardé jusqu’à fin décembre, temps de tests pour valider le design de l’ouvrage. L’investissement de 23MM$ trouvait enfin son sens !
Le «Hic», c’est que moins d’une heure après avoir atteint le niveau fatal, les ingénieurs relâchaient discrètement les vannes. La hâte à orchestrer la décrue était l’aveu d’une nervosité, et d’une immaturité de l’ouvrage, face au cahier des charges fixé 20 ans plus tôt. Selon des experts anonymes, les 47 jours de montée en eau en avance sur la saison, résultaient d’un ordre politique pour justifier le choix de pères du barrage tel Li Peng, 1er ministre d’alors, face aux sceptiques même au sommet de l’Etat, d’avis que le barrage ne peut, ni ne doit, accepter une telle hauteur d’eau.
Le 1er risque était celui de crues, en cas de fortes pluies autour du réservoir, qui était plein. Idem la hauteur réduite gênait le passage des navires, tel celui de Wanxian limité à 30m. L’envasement accéléré dans le bassin (40Mt/an), ne laissait que 5m de fond par endroit, minimum nécessaire à la navigation.
En aval, les chutes de falaise se multipliaient, provoquant quelques jours plus tôt des mini raz-de-marée. Autre risque nouveau : décanté dans le bassin, le flux trop clair, «affamé» (sic) de sédiments, érode le lit en aval. Le résultat, dit cet institut sichuanais, sera une sape de 5m sur 1000km d’ici 2050, aux conséquences potentiellement cataclysmiques. Pour les prévenir, des travaux aux coûts immenses seraient à prévoir. Cité par le quotidien SCMP, Yang Yong, géologue sichuanais estime enfin que le climat ayant changé en 20 ans, et d’autres grands barrages en amont devant réduire le cubage, les Trois Gorges risquent de devenir inaptes à la génération électrique: «il ne faudra pas longtemps, dit-il, pour que nous ayons du mal à maintenir les 155m de hauteur d’eau minimale».
Cela dit, le problème de l’eau en Chine ne s’arrête pas au Yangtzé.
A Zhengzhou (Henan), lors d’un meeting sur l’épargne d’eau, le 7/10, le vice ministre Hu Siyi dévoile l’impact du changement climatique et de la recrudescence des pompages : de 1980 à 2000, par rapport à 1956-’79, le bassin du Fleuve Jaune (+ les rivières Hai, Huai et Liao), a perdu 6% en pluie et 17% en cubage. L’objectif d’épargne d’eau au XII. Plan est de -30%, par 10.000¥ de PIB. Mais selon une étude sino-américaine de 2009, pour contraindre le fermier à modifier sa consommation, il faudrait une hausse de 150% de son prix—politiquement d’autant moins pensable, que le besoin chinois en grain est incompressible. Le paysan est d’ailleurs le pollueur n°1, du fait de l’excès d’engrais. Selon China Economic Quarterly, 60% des rivières et des lacs de Chine, et 90% des tables aquifères urbaines de surface, sont inaptes à la consommation.
Au XII. Plan, l’Etat prévoit 150MM$ sur 5 ans en centrales de retraitement, et toujours plus de JV à 49% pour des groupes experts étrangers tels Veolia ou Suez-Environnement… Retour sur investissement garanti par l’Etat : 8 à 12%.
De tout cela, il faut attendre la concentration des 2500 compagnies chinoises de distribution d’eau, et de très fortes hausses des tarifs à l’usager, aujourd’hui 10 fois inférieurs à ceux d’Europe. Signe avant-coureur d’un nouvel âge où l’eau, comme d’autres services publics, n’est plus un don de l’Etat socialiste, ni une denrée illimitée et sans valeur…
Sommaire N° 35