Le Vent de la Chine Numéro 35

du 1 au 7 novembre 2010

Editorial : La politique chinoise, en trois pas

[1] Neuf jours après la clôture d’un Comité Central enterrant six mois d’espoirs de réforme politique, le XII. Plan (2011-2015) est publié, avec pour priorité le vieux fil rouge de l’ère de Hu Jintao : l’amélioration du cadre de vie rural, l’urbanisation (pour loger 900M de citadins d’ici 2020 selon la Banque mondiale), l’accès à la santé, l’éducation, les services.

D’ici 2015, Pékin veut implanter des chaînes commerciales dans tous les chefs-lieux de canton et dans 90% des «villages». La réduction des écarts de richesse débute par une réforme prochaine de la taxation du foncier: 0,6%/an sur tout second appart. En environnement, l’autre pilier du Plan, l’Etat veut rendre obligatoires les quotas d’émissions de CO2 et populariser les bourses de crédits carbone.

[2] Le report d’exercices aéronavals USA-Corée du Sud traduit une accalmie dans les rapports sino-américains : concession de B. Obama, qui tente de s’entendre avec la Chine pour éliminer le vieux contentieux du yuan trop bas, et du jeu de la BPdC, la banque centrale, sur le marché des changes pour le maintenir bloqué sur le dollar.

Un double marathon diplomatique a lieu, mondial ET bilatéral : face à trois sommets régionaux ou mondiaux en cours, les deux pays se retrouvent après les deux 1ers pour poursuivre les palabres. T. Geithner, grand argentier américain rencontre le vice 1er Wang Qishan à Qingdao (24/10) quelques heures après le G20-Finance de Gyeongju (Corée du Sud). H. Clinton se pose à Hainan le 30/10, le temps de voir Dai Bingguo, Conseiller d’Etat après l’ASEAN de Hanoi.

De ces palabres Sino-US, semble émerger un consensus pour limiter les excédents de comptes courants à 4% des PIB, souhait de T. Geithner. Pékin n’y est pas opposé -même si une faction du G20-Finance menée par l’Inde, rejette ce «carcan chiffré». Tout ceci pourrait aboutir à un accord au G20 des chefs d’Etat à Séoul ( 11-12-/11). Chine et USA disputeraient alors la vedette à N. Sarkozy, le futur président en exercice du G20, qui tente d’arracher au sommet une refonte du FMI (cf p.2).

[3] Après Hainan, H. Clinton poursuit son périple vers six pays d’Asie du Sud-Est et du Pacifique, juste avant la visite du président américain dans quatre pays de la zone, dont Japon et Inde – pas par hasard. Inquiets de la montée en puissance navale de la Chine, les USA et ces pays se rapprochent. L’annonce par Pékin (27/10) d’un renfort de sa flotte de 36 bâtiments « pour défendre ses droits » ne fait rien pour les rassurer.

Face au Japon, 60 jours après l’incident autour des îles Diaoyu-Senkaku (4/09), la tension dure. La presse chinoise ressasse sa «souveraineté inaliénable», et des manifestations sporadiques éclatent (Chongqing, 27/10)… Du coup, les voisins réarment et plébiscitent le retour de la 6. Flotte US (VdlC n°34).

Le plus brûlant revirement est celui du Japon. Ayant mis fin en 2009 à 65 ans de pouvoir du LDP, Naoto Kan (Parti Démocratique) devenait 1er ministre, prônant réconciliation et amitié avec Pékin. Mais après la douche froide de l’automne, ayant perdu toutes illusions, il se résigne à défendre l’alliance américaine, le réarmement, le redéploiement d’investissements vers l’Asie du Sud-Est et l’Inde (corridor Delhi-Mumbai).

Tout aussi soucieuse, l’Inde envoie (24/10) son 1er ministre M. Singh à Tokyo, espérant «faire du Japon un bouclier d’Asie contre l’expansion chinoise» et créer avec lui un circuit de terres rares évitant la Chine. A Hanoi, Seiji Maehara et Yang Jiechi les ministres des Affaires étrangères se voyaient, se promettaient d’arranger les choses. Dans les heures suivantes, un échange était annoncé entre leurs 1ers ministres… puis il capotait, rejeté par une Chine aux nerfs à fleur de peau, dénonçant un article malheureux dans la presse nippone…

On voit donc se confirmer ces deux tendances contradictoires : la Chine qui s’isole en exprimant sa force (les USA en profitent pour faire leur «come back»), et la Chine négociant avec Washington d’un côté, la France de l’autre, une réforme de la finance mondiale… Dans les deux cas, les USA sont gagnants, et retrouvent un rôle d’arbitre militaire et financier en Asie, dont ils avaient depuis longtemps fait leur deuil !

 

 


A la loupe : Population : La grande envolée des nids vides

A en croire l’assurance britannique BUPA, 30% des Chinois dépriment à l’idée de vieillir. Et selon Jing Jun, chercheur à l’université Tsinghua, les suicides de septuagénaires ont plus que doublé en 20 ans, à 33/100.000 en 2002-2008. Partout à travers les villes, des personnes âgées, avec tabouret et ciseaux, offrent une coupe de cheveux à une poignée de yuans: leur «retraite» ! Encore, ceux-là sont organisés. D’autres vivent dans l’indigence. Ainsi, alors que son vieillissement est annoncé, la Chine n’y est pas préparée!

En 2009, les sexagénaires et au-delà sont 167M dont la moitié sans pension: 12,5% de la population, qui sera 31% en 2050, à plus de 400M. C’est au village que la crise est le plus aigu: avec l’exode des jeunes vers la ville, ils sont 70% dont 81% sans pension. Et s’ils ont poulailler et potager, ils ont aussi les jeunes petits-enfants à charge.

La part matérielle de leur misère est claire : absence de pension (ils ne sont que 15M à cotiser, contre 325M en ville), d’hôpital ou centre d’accueil. Les enfants restent à charge pour 10% d’entre eux en permanence, 30% par intermittence, selon un sondage de la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales) à Canton.

Mais leur plus grande souffrance semble être morale, liée au syndrome du «nid vide». 62% des vieux vivent seuls en ville.4 8% d’entre eux reçoivent leur fils en visite une fois/ semaine, 28% une fois/mois, 24% une fois/an. 75% déplorent l’absence de soutien affectif de l’enfant, exprimant une sorte de réserve à se parler -même parmi les familles réunies: un grand-père dans cette situation déclare avoir été 2 mois malade, alité sans que le fils s’en aperçoive.

La Chine est fortement sous-équipée. Pour ses 2,6M de 60 ans et +, Pékin n’a que 30.000 lits et 90.000 demandes : on meurt souvent avant d’y arriver. Le pays ne compte que 30.000 diplômés en gériatrie (il en faudrait 10M), 38000 homes et 2,4M de lits, face aux 28M d’impotents qui devraient être admis en priorité…

Mais des débuts de solutions apparaissent. Sous le stimulus du ministre de la santé Chen Zhu, 20.000 centres d’assistance légale se bâtissent, et 40.000 écoles de formation gériatrique. Pékin en 2010, recrute 3000 assistantes sociales, pour plus que doubler les 2000 déjà en place.

L’assurance la plus sure, pour qui peut payer: investir dans plusieurs appartements et vivre des loyers. Shanghai, la ville qui vieillit le plus vite, est la plus avancée, avec des centres d’accueils offrant 2 repas chauds par jour à 8¥/pièce, en cantine ou livrés, fournissant aussi un exam médical quotidien et des activités. Les vieillards atteints d’Alzheimer sont équipés de GPS permettant de les retrouver (à 1000¥ l’appareil, au frais de la famille). La ville est aussi en train d’ouvrir un centre de recherche gériatrique, pour préparer un avenir à 20 ans de là, où ses 3M de sexagénaires auront doublé, et leur proportion dans la population urbaine aura passé de 20% à 30 à 35%, selon la croissance de la métropole d’ici là.

C’est la terrifiante pyramide inversée, la tendance « 4-2-1 » : d’ici 2050, un jeune devra financer, par son travail, les pensions de quatre vieillards. Pour y faire face, le ministère et la Commission nationale du vieillissement étudient les systèmes d’Europe, pour s’inspirer des plus performants : le modèle français, nous dit-on, a le vent en poupe !

 

 


Joint-venture : Hu Jintao à Paris : business et tapis vert

Avant de se rendre au G20 de Séoul, Hu Jintao fait un crochet par… Paris puis Lisbonne (4-7/11), en une visite d’Etat préparée de longue date, après 24 mois de froid enterrés lors d’une visite à Pékin de Nicolas Sarkozy en avril.

L’essentiel tournera autour de la réforme des finances mondiales, également le sujet n°1 d’un Sommet à Bruxelles (27/10), qui vient d’instituer une discipline budgétaire plus crédible entre les 27 États-Membres. Tout en négociant gros avec le partenaire américain (cf édito),

Pékin prend au sérieux l’initiative française pour stabiliser les cours des changes et des matières 1ères, et sa proposition d’une taxe internationale sur les transactions. Les deux pays ont fort à y gagner. La France pourrait rapprocher le yuan d’un futur rôle de monnaie de réserve. La Chine pourrait aider Sarkozy à repolir son image.

Indépendamment de la grande politique, les affaires ne sont pas loin :

Airbus vendra peut-être, pour 16MM$, 150 appareils (A320, A330, A350), nécessaires pour boucler le doublement de la flotte civile chinoise à 5000 appareils sous le XII. Plan.

Areva vendra peut-être deux, voire quatre autres réacteurs nucléaires EPR de 3ème génération, au-delà des deux déjà signés.

Tout ceci, dans le cadre de partenariats d’Etat et de transferts technologiques sur les énergies renouvelables, les transports, la protection de l’environnement…

 

 


A la loupe : La résistible raréfaction des terres rares

Depuis juillet, les échanges sino-mondiaux vivent une mini-tempête sur le marché des terres rares, quand Pékin a édicté la coupure de 72% de ses exports, s’imposant un plafond de production de 89.200m3. C’est que l’empire du Milieu détenait 97% du marché de cette matière aux 17 métaux, tel neodymium ou terbium, dite «vitamine de l’industrie», nécessaire à une gamme surprenante d’articles, tels aimants, pots catalytiques, radars… Aussi un vent d’angoisse passe par les capitales et les groupes, du Japon à l’Allemagne où R. Bruederle, le ministre de l’économie, dénonce le «protectionnisme» de la Chine.

Cela ne date pas d’hier. Comme les USA le font depuis 10 ans, Pékin veut conserver ses réserves, mieux les valoriser et donner priorité d’accès à ses nationaux.

L’année 2004 connaissait un précédent instructif, quand la Chine, avouant une pénurie en charbon à coke, prétendait restreindre l’export dont elle était leader mondial. Charbon à coke et terres rares avaient en commun une forte pollution, un faible prix, et constituaient de ce fait, un genre de subvention indirecte à l’étranger : que la Chine voulait supprimer, causant des réactions nerveuses des pays riches l’accusant de ne pas jouer le jeu de l’OMC (l’organisation mondiale du commerce).

Dès 2005, la Chine tentait de reprendre le contrôle d’une industrie des terres rares atomisée, surtout en Mongolie Intérieure, qui se disputait les marchés en vendant à perte. Durant des années, Pékin échouait, ces PME publiques étant protégées localement. Jusqu’au moment où, à force de fermer par milliers les usines et mines périmées, il put organiser la formation de quelques dizaines de cartels.

Dès lors, tout en consolidant la concentration vers 3 à 5 consortiums, il annonçait la suite du plan : le raffinage local des métaux rares, la mise en place d’un stockage et d’un marché à terme, avec contrats échangés en bourse. Cette idée devient aujourd’hui concevable, avec l’explosion des prix qui se poursuit, tel celui du cerium (additif du verre) décuplé en un an à 60$/kg, ou du samarium (médicament anticancéreux, lasers) septuplé à 35$/kg.

Curieusement, la Chine multiplie les messages contradictoires.

Selon la rumeur, cette rupture des livraisons est une sanction à la fois envers le Japon, suite à la crise des Diaoyu-Senkaku, et envers les USA, suite à leur enquête sur un protectionnisme chinois dans les industries environnementales. Mais Pékin dément tout : avoir interrompu ses livraisons, et exploiter cet export comme levier politique. C’est que l’OMC interdit à la Chine les quotas à l’export de matière 1ères. Washington « enquête », H. Clinton demande des explications à Hanoi, et Pékin multiplie les apaisements, promettant de rouvrir le robinet…

La suite du film, la solution est évidente : un retour pour les nations industrielles à des sources diversifiées. Molycorp (Californie) et Lynas (Australie), les anciens leaders, prétendent revenir, et sous deux ans satisfaire deux tiers de la demande non-chinoise. Le ministre allemand est moins optimiste, qui s’attend à 10 ans d’efforts pour remplacer la Chine par la Mongolie, l’Afrique ou le Groenland.

Enfin, pour ramener ce « drôle de drame » à ses vraies proportions, signalons, d’après Lynas, la valeur en 2010 de ce marché en pleine explosion : 7,8MM$, soit… une semaine de vente des hypermarchés Wal-Mart… Pas de quoi tant s’émouvoir, pour ces terres rares !

 

 


Pol : Les soupirs de l’astronaute Bolden

Charles Bolden, astronaute, Patron de la NASA vient d’achever une rare visite (24-28/10) du centre chinois d’entraînement et de recherche des «taïkonautes» et de la base de Jiuquan. Il en est ressorti lèvres cousues, sans suite à annoncer.

Bolden n’avait pas le choix. Le 15/10, il avait reçu une lettre de quatre sénateurs républicains du comité budgétaire de la Nasa (ses patrons financiers) l’enjoignant de ne pas discuter en Chine de missions conjointes. Contrairement à B. Obama qui les évoquait à Pékin en novembre.

Orpheline de sa navette spatiale dès 2011, la Nasa guigne les «lifts» peu chers de la fusée Long March F, pour ses rotations vers la station orbitale internationale. La Chine elle, aurait encore beaucoup à apprendre de la NASA. Mais côté Sénat, on ne lui pardonne ni le détournement (allégué) de technologie militaire en 2006, sur un satellite commercial américain lancé depuis la Chine, ni la destruction l’année suivante d’un de ses propres satellites pour tester sa capacité en «guerre des étoiles».

‘ Aussi, en attendant mieux, la Chine coopère toujours plus avec l’agence européenne ESA et la Russie, et accélère son programme : le lancement en 2011 de deux vaisseaux inhabités, Shenzhou-8 et Tiangong-1 pour se familiariser avec la technique de l’arrimage, puis d’ici 2020, l’alunissage d’une cabine habitée, et l’équipement d’un labo sur orbite permanente, de taille «assez grande». De quoi faire soupirer la Nasa entière, dont le programme lunaire Constellation vient d’être annulé, faute de budget.

 

 


Temps fort : Chronique d’un manque d’eau annoncé

Pour la Corporation des Trois Gorges, le 26/10 récompensa 17 ans d’efforts. Après les échecs de 2008 et 2009, le barrage le plus puissant du monde atteignait ses 175m de hauteur d’eau (22MMm3). Cao Guangjing, Président du groupe annonça que les 26 turbines de 700Mw/an tournaient enfin à plein régime, et la croisière Chongqing-Yichang ne prenait plus que 4 jours au lieu de 6jours… Le niveau serait gardé jusqu’à fin décembre, temps de tests pour valider le design de l’ouvrage. L’investissement de 23MM$ trouvait enfin son sens !

Le «Hic», c’est que moins d’une heure après avoir atteint le niveau fatal, les ingénieurs relâchaient discrètement les vannes. La hâte à orchestrer la décrue était l’aveu d’une nervosité, et d’une immaturité de l’ouvrage, face au cahier des charges fixé 20 ans plus tôt. Selon des experts anonymes, les 47 jours de montée en eau en avance sur la saison, résultaient d’un ordre politique pour justifier le choix de pères du barrage tel Li Peng, 1er ministre d’alors, face aux sceptiques même au sommet de l’Etat, d’avis que le barrage ne peut, ni ne doit, accepter une telle hauteur d’eau.

Le 1er risque était celui de crues, en cas de fortes pluies autour du réservoir, qui était plein. Idem la hauteur réduite gênait le passage des navires, tel celui de Wanxian limité à 30m. L’envasement accéléré dans le bassin (40Mt/an), ne laissait que 5m de fond par endroit, minimum nécessaire à la navigation.

En aval, les chutes de falaise se multipliaient, provoquant quelques jours plus tôt des mini raz-de-marée. Autre risque nouveau : décanté dans le bassin, le flux trop clair, «affamé» (sic) de sédiments, érode le lit en aval. Le résultat, dit cet institut sichuanais, sera une sape de 5m sur 1000km d’ici 2050, aux conséquences potentiellement cataclysmiques. Pour les prévenir, des travaux aux coûts immenses seraient à prévoir. Cité par le quotidien SCMP, Yang Yong, géologue sichuanais estime enfin que le climat ayant changé en 20 ans, et d’autres grands barrages en amont devant réduire le cubage, les Trois Gorges risquent de devenir inaptes à la génération électrique: «il ne faudra pas longtemps, dit-il, pour que nous ayons du mal à maintenir les 155m de hauteur d’eau minimale».

Cela dit, le problème de l’eau en Chine ne s’arrête pas au Yangtzé.

A Zhengzhou (Henan), lors d’un meeting sur l’épargne d’eau, le 7/10, le vice ministre Hu Siyi dévoile l’impact du changement climatique et de la recrudescence des pompages : de 1980 à 2000, par rapport à 1956-’79, le bassin du Fleuve Jaune (+ les rivières Hai, Huai et Liao), a perdu 6% en pluie et 17% en cubage. L’objectif d’épargne d’eau au XII. Plan est de -30%, par 10.000¥ de PIB. Mais selon une étude sino-américaine de 2009, pour contraindre le fermier à modifier sa consommation, il faudrait une hausse de 150% de son prix—politiquement d’autant moins pensable, que le besoin chinois en grain est incompressible. Le paysan est d’ailleurs le pollueur n°1, du fait de l’excès d’engrais. Selon China Economic Quarterly, 60% des rivières et des lacs de Chine, et 90% des tables aquifères urbaines de surface, sont inaptes à la consommation.

Au XII. Plan, l’Etat prévoit 150MM$ sur 5 ans en centrales de retraitement, et toujours plus de JV à 49% pour des groupes experts étrangers tels Veolia ou Suez-Environnement… Retour sur investissement garanti par l’Etat : 8 à 12%.

De tout cela, il faut attendre la concentration des 2500 compagnies chinoises de distribution d’eau, et de très fortes hausses des tarifs à l’usager, aujourd’hui 10 fois inférieurs à ceux d’Europe. Signe avant-coureur d’un nouvel âge où l’eau, comme d’autres services publics, n’est plus un don de l’Etat socialiste, ni une denrée illimitée et sans valeur…

 

 


Petit Peuple : Bailinsi : le cloître des destins croisés

L’aventure qui suit a de troublantes analogies avec celle de Liu Zhiyu, le génie des mathématiques qui vient de se faire moine (VdlC 34), plutôt que de jouir de la corne d’abondance que le monde s’apprêtait à déverser sur lui.

C’était en 2006. Avec Li, ami pékinois, nous étions partis en tournée autour de Shijiazhuang, à la recherche de sites, tels la citadelle de Zhengding (dont Xi Jinping, futur maître du pays, fut secrétaire du Parti en ’82), du vieux pont de Zhaozhou de 1400 ans, ou des monts Cangyan, base d’un monastère sur un canyon à pic, envahi de verdure et d’un torrent furieux en contrebas.

Une étape de notre périple était la pagode octogonale de Bailin de 1330 (dynastie Yuan) au lieu dit du Bois des cyprès. Sur place, autour de la gracieuse tour à 7 niveaux, un cloître nous attendait, actif, prospère, bruissant des pas des hôtes, des frères guidant leur marche, ou leur formation spirituelle. Détruit durant les années noires ’60-’70 (comme celui de Longquan à Haidian et comme de centaines d’autres), le sanctuaire venait d’être restauré à sa gloire d’antan, aux frais de l’Etat qui y avait réinstallé cette communauté bouddhiste.

Parcourant ces cours et pavillons chamarrés de pourpre, de fresques et de doré, je fus rejoint par un Li débordant d’enthousiasme, vu la nouvelle qu’il portait. Le prieur du sanctuaire ne serait autre que «Wang Dan», l’étudiant en philosophie, leader au printemps de Pékin en 1989, aux côtés de Wuer’Kaixi, dit le trompe-la-mort, la passionaria Chailing, voire Liu Xiaobo, le petit prof de fac, futur plus célèbre prisonnier du pays et prix Nobel de la Paix.

Après le 4 juin, Wang Dan avait été classé l’un des «ennemis publics». Capturé à Canton alors qu’il tentait de gagner Hong Kong, il avait purgé quatre ans, puis deux autres avant d’être expulsé aux USA à l’aube d’une visite du Président Clinton. La rumeur lui prêtait des études de 3ème cycle entre Harvard et Oxford. Mais Li et d’autres juraient qu’il était de retour, suite à un deal secret avec le régime, pour se retirer dans les ordres à Bailin !

Si Wang était bien devenu à 37 ans le prieur du lieu, c’était un signe irréfutable que le Parti avait décidé, discrètement et sans perdre la face, de tourner cette triste page: de rechercher la réconciliation avec sa société.

A ma prière, un frère nous mena à une salle d’études. Nous n’attendîmes que cinq minutes avant de voir un bonze athlétique, lunetté, nous saluer d’un mince sourire, s’enquérant de l’objet de notre démarche.

La conversation fut brève: « je ne suis pas Wang Dan », coupa-t-il court immédiatement. Quand je sus le fin mot de l’histoire, quelques jours plus tard, la confusion de Li apparut logique. Six ans seulement séparaient les deux hommes. Wang Dan et Shi Minghai -nom du prieur— étaient tous deux des anciens de la faculté de philosophie de Beida. Shi étant né en 1963, Wang en 1969 était un «bizuth» à Beida quand éclatèrent les temps instables. Ce qui ne l’avait pas empêché d’y jouer le rôle fulgurant que l’on sait.

Cet après-midi dans la salle d’étude, le prieur et moi restions comme sonnés, en quête d’un moyen pour sortir de cette situation gênante. Moi, d’avoir provoqué le quiproquo, et lui de se retrouver confronté à un passé auquel il avait depuis belle lurette voulu tourner le dos.

Au passage, la scène éclairait sur l’attitude double et trouble du régime, face à son passé. En rouvrant le cloître et en le finançant, il corrigeait sa persécution des religions 40 ans avant. Mais en privant Wang Dan de sa nationalité et en le bannissant à vie, il persistait à justifier le drame d’une nuit 20 ans en arrière, fantôme aigrissant ses rapports avec sa jeunesse et le monde.

Nous quittâmes Shi Minghai, le priant de nous excuser d’avoir troublé sa sérénité. Le voyant regagner à pas feutrés son univers de repos de l’âme, j’eus l’image fugace de Shi et Wang, ces deux garçons aux destins opposés.

Celui-ci vivait dans un harmonieux confort, pour avoir joué selon les règles. Celui là était exilé, réprouvé pour avoir obéi à sa conscience : deux frères de la pensée, propulsés aux antipodes par leur morale personnelle, chacun cloîtré dans «son coin sous le ciel» (天各一方, Tīan gè yī fāng).

 

 


Rendez-vous : Visite du Président Hu Jintao en France et au Portugal

 

2-5 novembre, Pékin : Salon de la sécurité publique et de la sécurité

2-6 novembre Shanghai : CIIF, Foire industrielle internationale de Shanghai

4-6 novembre Shanghai : Salon du design intérieur contemporain et de la maison

4-7 nov. : Visite du Président Hu Jintao en France et au Portugal