Petit Peuple : Huangtai – entre soi

Pour des frères, demeurer ensemble une fois adulte n’est pas un choix anodin, mais change tout dans la vie. Au lieu d’être d’abord «soi » et de faire sa vie en cherchant son chemin, on est avant tout « les autres », le groupe.

C’est ce qui arrive à cette maisonnée de Huangtai (Henan), célèbre dans la province par sa taille, mais surtout par son volume. Sur quatre générations, 25 hommes, femmes et enfants y cohabitent, sous le regard bienveillant de madame Wang, 103 ans, tête de la pyramide. Dans la 3ème génération, cinq frères dont 4 mariés forment l’âme du clan. Chez les Wang, tout se décide ensemble, suivant une organisation sociale aussi minutieuse que contraignante.

Tout se passe sous l’autorité bénigne de l’aïeule, à qui rien n’échappe depuis son fauteuil à bascule de rotin dans la cour (par beau temps) : elle arbitre les couples en bisbille, conseille les ados quand plane le vague à l’âme, et tous viennent la consulter un jour ou l’autre. Dans les conseils de famille, sa parole est terminale. D’une santé de fer, elle attribue sa longévité à l’harmonie de la sphère autour d’elle.

Seule partie de la vie qui échappe à l’attraction du clan : le travail. Le matin, les adultes quittent la cour carrée pour se rendre, qui à son administration, qui à son lycée, qui à sa caserne ou qui à son magasin. A la fin du mois, selon leur situation, ils remettent toute ou partie de leurs salaires dans un pot commun : tout, pour ceux qui n’ont aucune charge d’âme, comme Wang Lei le célibataire, n°2 (55ans), et le couple du benjamin, sans enfant. La gestion du compte collectif revient au cadet.

Epargnant tout, vivant à moindre frais en collectivité, les Wang se retrouvent naturellement maîtres d’un pouvoir d’investissement inaccessible au commun des mortels. Ceci leur a permis d’ouvrir leur superette, une des principales du village, dont les épouses n°3 et n°5 tiennent la caisse et la maintenance, et la n°1, l’approvisionnement.

Les dîners se prennent à une seule gargantuesque tablée. C’est l’épouse n°1 (encore elle) qui trime aux fourneaux, avec les provisions rapportés par son mari (fin connaisseur des adresses au meilleur rapport qualité-prix).

Pour les dépenses courantes du style ‘achat d’un pantalon‘, ‘sortie au cinéma’ ou ‘au restaurant‘, chacun se sert dans la caisse commune sans en référer aux autres. Toute dépense plus sérieuse, comme l’achat d’une moto ou d’une voiture, des études au lycée ou à l’université, se négocie en conseil. Mais le cas n’est pas fréquent. On vit, dit Wang Lei en toute frugalité, ni vacances à la mer, ni achat d’appartement. Quant à entretenir une danseuse, on n’y pense pas même. Pour les congés, on loue chaque année un bus à 25 places et on monte à Zhengzhou la capitale provinciale faire une discrète nouba à la fête des lanternes.

Même à Huangtai, la prospérité arrive. S’apercevant que la mère-grand n’avait jamais vu Pékin, une sortie a été organisée en octobre dernier pour lui offrir, ainsi qu’aux autres anciens de la maisonnée une première lampée des lumières de la ville, Cité Interdite et Grande Muraille…

Pour expliquer le mystère de leur mode de vie tellement hors du temps, les Wang invoquent tantôt la misère de leur jeunesse 50 ans en arrière, tantôt le besoin d’assurer, dans cette province encore fort retardée et sans sécurité sociale, une assurance-retraite à chacun de ses membres.

Mais au fond, avoue Wang Lei, le véritable ligament clanique, la foi éperdue dans le bonheur du groupe, c’est d’un précepte antique qu’ils les tirent: 百善孝为先 (bai shan xiao wei xian),  « pratiquer la piété filiale ».

Par cet adage comme par leur mode de vie, sans donner de leçon à personne, les Wang de Huangtai s’inscrivent tranquillement en faux contre l’idéal de la société moderne, l’enrichissement individuel. Ils lui préfèrent leur règle venue droit de Confucius, plus de 2.000 ans en arrière : la loi familiale, garante (tant qu’ils s’y plient) de bonheur et d’harmonie.

 

 

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