Editorial : Google—le coup de poker

Le 13/01, Google lâche un pavé dans la mare de l’internet chinois: la censure ne lui convenant plus, il exige de négocier et changer de règles du jeu ou bien de quitter le pays après quatre ans d’efforts pour s’y implanter, durant lesquels il avait gagné un tiers du marché de la recherche en ligne, 120millions de clients. Sans retard, le groupe de Mountain View annonce qu’il désactive ses logiciels censeurs obligatoires sur Google.cn.

Derrière le coup de poker, on devine une frayeur, et une colère. Google dénonce une attaque d’envergure constatée mi décembre, «ciblée et sophistiquée» de Chine, qui a permis de percer les défenses de son serveur local. Étaient visés (sans succès d’après lui) les comptes de ses clients dissidents. Au moins 20 autres groupes étrangers ont été victimes d’une effraction similaire, dont Yahoo (qui confirme) .

Selon d’autres sources, ce piratage raffiné pouvait permettre de s’approprier toute l’avance mondiale de Google, ses logiciels, même encore non exploités, des millions de lignes de code. Si cela est vrai, Google a ici une raison majeure quoique tacite à vouloir s’en aller : protéger son existence. Pour l’instant, il n’avoue qu’une raison éthique, sans doute importante aux yeux de ses fondateurs mais sans lien direct avec l’attaque de décembre : la clause de conscience, son refus de se faire l’outil d’un régime hostile à son idéal d’information libre et de démocratie sur la toile.

Plus terre à terre, d’autres analystes réduisent la démarche à un coup marketing, au maquillage habile du départ d’un marché où il échoue. Le leader en Chine, c’est Baidu, groupe de droit privé, poulain de l’Etat (66% des recettes de recherche en ligne). Par le passé, Baidu a été protégé d’innombrables plaintes locales et étrangères pour piratage alors que Google s’est retrouvé victime de tracasseries, accusé de complaisance envers les sites de pornographie. Ces observateurs notent que dès 2009, Kai-fu Lee, Président de Google.cn quittait, estimant que Google«n’y croyait plus» – il n’était d’ailleurs pas remplacé. Enfin, selon eux, avec les 2% de son chiffre global qu’il tirait du pays l’an dernier (300M$), Google pouvait partir sans regrets.

Ce dernier argument est le moins évident. Car en quittant, Google met à risque un marché stratégique pour son téléphone androïde rival d’iPhone, et pour son système d’exploitation Chrome qui va concurrencer Windows. D’ici 2020, il se sera fermé50% de la toile mondiale : un marché de 700M d’internautes qui, devenu richissime, ricochera en Occident en y rachetant de nombreux groupes. Or, de cette dynamique écrasante, Google sera absent.

La Chine elle aussi, a à perdre : celui d’un appauvrissement conceptuel de son internet. Mais le choix est il délibéré : Yahoo a cédé sa branche locale en 2009, Twitter, Facebook et d’autres sont censurés. Le régime semble en train de mener la tentative ambitieuse d’un internet sous contrôle total mais disposant de toutes ses fonctionnalités. Sous cet angle, une nouvelle guerre froide technologique pourrait se profiler. Si la Chine réussit son pari, le nouvel internet muselé sera attractif pour tous les régimes autoritaires du globe.

Un autre risque pour la Chine, est celui d’une plainte des USA contre la Chine auprès de l’OMC pour «protectionnisme déguisé». Quelques jours avant sa bombe, Eric Schmidt, un des patrons de Google dînait avec Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, concertant les actions. Quelques soient les désirs respectifs d’éviter les frictions, cette affaire va compliquer les relations sino-américaines : en avant-goût, le FBI vient de publier un rapport décrivant une armée de 180.000 «hackers» dont 30.000 militaires et 150.000 correspondants, ayant lancé l’an dernier 90.000 attaques contre le seul Pentagone.

Les 1ères réactions du pouvoir socialiste, de façon prévisible, ont consisté en une fin de non-recevoir, mais embarrassée. Dès le 14/01, un porte-parole exonérait Pékin de toute responsabilité dans d’éventuels actes de hacking de Google, la Chine «interdisant légalement les attaques en ligne». La République populaire acceptait sur son sol les compagnies globales de l’internet, «pourvu qu’elles se conforment aux lois imposant des restrictions à leur contenu». Le principe de la censure était « nécessaire à la stabilité sociale ». Dans ces conditions, les jours de Google en Chine semblent bel et bien comptés.

A ceci près que Google n’est pas seul, mais soutenu par son pays, et -immense surprise- par toute la presse locale et l’opinion, qui traitent Google en héros. A la tentative en cours de verrouillage de l’internet, comment réagira cette Chine de la base? Verra-t-on une migration des sites chinois vers l’étranger et une multiplication des internautes surfant sous proxys ? On assiste en tout cas à un tournant abrupt dans l’histoire de la toile planétaire, en pleine déchirure.

 

 

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