Petit Peuple : Wuhan—la décision de Mei Nansheng

Mei Nansheng restera-il dans les ordres ? La Chine des stades n’a que cette question en tête. Par le choix qu’il vient de faire, cet homme de 44 ans incarne les désespoirs de millions de fans du ballon rond chinois, face à ses échecs répétés. A leurs yeux de patriotes, la situation est horrible: après avoir su en 20 ans retrouver une place d’honneur en tous domaines (artistique, spatial, industriel ou olympique), la Chine échoue piteusement sur le gazon du foot ! Face aux autres Onze, on voit bien ce qui manque à leurs joueurs, le sens du jeu, personnel et d’équipe, mais surtout, l’affirmation de soi, brimée par un système où l’Etat-Parti, despote éclairé, se mêle de tout—de la vie des clubs, comme de celle des gens ! 

A Wuhan (Hubei), il ne fallut que 40 ans à Mei Nansheng pour s’imposer en chantre et pitre naturel du football chinois. Poussé par ses parents, il han-te depuis l’âge de 5 ans les vestiaires de son club. 6ème et dernier fils, il n’en fit jamais qu’à sa tête. Quantités négligeables, ses quatre soeurs, lui passaient ses lubies. Ainsi, dès l’adolescence, son monde était masculin, patriote et ludique: celui du foot. Comme d’autres vont à l’ église, Mei ne manquait pas un match, gras-double de 110kg peinturluré, le front ceint de son bandana rouge de «la Chine qui gagne» et d’un mirliton de fer fait de ses propres mains.

Avec une telle aura, il finit par être plus célèbre que son club lui-même, et dès ’98, pour son mariage (au stade, bien sûr), il attirait 30.000 supporters!

10 ans après, tout bascule.  En août aux JO, l’équipe nationale se fait éliminer sans gloire. En octobre, suite à une rixe de terrain, la star du «11» wuhanais se fait suspendre pour 8 matches et son club, ruiné, décide de boycotter la super league. Ce qui aurait été un suicide, même s’il n’a plus rien à perdre, mais l’ANF, l’autorité de tutelle l’interdit.

C’est alors que Mei, dramatiquement, se fait tonsurer, adopte la vie monastique, et la Chine se perd en conjectures. Car pour justifier son départ du monde profane, Mei prétend avoir « perdu ses deux fils» (le onze national et Guangqu, son club municipal), sans un seul regard pour Meimei, sa fille de huit ans en chair et en os, et sa femme qui depuis 10 ans, subit tout de lui. D’ailleurs, le prieur bouddhiste est très net sur la question : intégrer Mei, oui, mais uniquement après divorce…  Le choix même du monastère confirme l’esprit macho du personnage : il n’est autre que Shaolin (Henan), celui des moines-boxeurs, le fondateur mythique, 1500 ans plus tôt, de la confrérie des bandits d’honneur. Shaolin est aussi l’adepte d’un sport dont Mei s’est jusqu’alors toujours dispensé, préférant la fête des gradins à l’enfer de la cendrée.

Mais la décision de Mei Nansheng comporte une  facette, plus intime et cachée. Quand le 2/10, les dirigeants du Guangqu sont venus le supplier de s’entremettre auprès de l’ANF pour le sauver, Mei a refusé, par peur de passer pour dissident. Sa dérobade a été mal vécue des autres supporters, l’appelant désormais 缩头乌龟 suō tóu wū guī : la tortue qui planque sa tête. Ayant perdu la face, il se fait moine, moins pour retrouver la paix, que sauver son honneur.

Puis, comme toute chose publique en Chine, l’affaire tourne à la politique. Bastion anachronique, l’ANF défend son monopole, son existence, pour empêcher les clubs de prendre leur pouvoir, via une fédération élue—accessoirement, leur part des pactoles liés aux droits de retransmission des matchs.  Aussi, si à l’avenir, Mei quitte son cloître, il faudrait chercher, la trace du deus ex-machina, pour effacer, dans l’esprit des masses, la marque indélébile d’échec du ballon rond !

 

 

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