Petit Peuple : Baotou—le hurleur perd la boule

Pour tordre le cou à leur timidité congénitale, les citadins chinois usent d’un moyen antique que l’on peut observer à l’aube dans les parcs : seuls, ils hurlent tout leur saoul, tentant de retrouver le cri primal. Comme s’ils dénonçaient la promiscuité de la, cause de leur faiblesse, en laminant leur personnalité et audace. La pratique, en tout cas, est efficace : elle déconnecte le court-circuit de la peur et rend confiance en soi, par les retrouvailles avec l’instinct!

Natif d’Urumqi, à force d’assiduité tardive toutes les nuits, Li Yang avait durement conquis sa place en fac d’anglais à Lanzhou (Gansu). Mais souffrant de ce complexe d’infériorité, il n’obtenait après deux ans, que de piteux résultats. Souvent, ce pauvre boutonneux avait pensé baisser les bras, et c’est naturellement qu’il en vint à cette thérapie du hurlement. Mais il y apporta une variante  qui prouva son génie et fit sa fortune : sur sa colline face au campus, il se mit non à meugler, rugir ou bramer, mais à déclamer à tue-tête des répliques dans la langue de Shakespeare.

Le résultat dépassa ses plus folles espérances. Aux partiels suivants, de bon dernier de sa promotion, il passa major ! Son triomphe le fit réfléchir. Il raffina l’exercice : trois ans après, il avait déposé « crazy english », sa méthode pédagogique originale, experte en prononciation, conversation et traduction simultanée.

Dès’90 à Xi’an, au 9e étage d’une tour de bureaux (désertés par ses occupants aux nerfs à fleur de peau), il créa ses cours de français, d’allemand et japonais crié. Puis il enfila les triomphes. Il fut animateur vedette d’une radio anglophone à Canton, invité aux USA comme interprète du gouvernement, et partout célébré comme symbole du dépassement de soi. Il était l’homme qui avait osé jeter sa peau d’âne de minable bourré de complexes, pour revêtir celle de l’idole à qui tout réussit…

Puis il quitta la fonction publique en 1994 pour créer son institut privé d’anglais en Chine, et de chinois en dehors. Il se produisit gratuitement dans les lycées, mais à prix d’or dans les corporations chinoises, nippones ou coréennes – elles aussi, comme tout le monde en quête d’un remède à la timidité.

 Au dernier décompte, ses groupies dépassent les 40M, dont 1,5M de volontaires des futurs Jeux Olympiques. Avec A. Samaranch comme consultant dans sa firme, il a aussi un pied à Lausanne, auprès du CIO, aux huiles duquel il fait hurler de quoi soutenir une conversation simple durant les Jeux…

Mais voilà qu’une ombre arrive, qui gâche tout le tableau: cette photo publiée en septembre sur son blog, où il fait faire le kowtow par les 3000 élèves d’ un lycée de Baotou (Mongolie intérieure), côte à côte, genoux et fronts dans la poussière. 

Le gourou explique que c’est lui qui a ordonné aux enfants de l’honorer de la sorte. Il le fait dans un esprit messianique, qu’on taxerait de réactionnaire en d’autres lieux : pour combattre la disparition de la morale et réimplanter dans les lycées, un confucianisme qui se meurt.

En Chine pas plus qu’ailleurs, ce genre de message ne passe aisément : presse, parents, enseignants crient au fou. Un peu tard, ils découvrent que le déblocage de la timidité a relâché une crue arrogante du moi débridé, pour déboucher sur la mégalomanie.

L’opinion, sur le Li Yang nouveau, est claire : s’être affranchi du culte de Mao pour tomber dans le 顶礼膜拜 ding li mo bai (deux formes trop déférentes de la prosternation), c’est n’avoir rien appris, ni rien gagné du tout !

 

 

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