Santé : Tollé médicamenteux pour génériques défaillants

Tollé médicamenteux pour génériques défaillants

« Les antihypertenseurs ne baissent pas la tension artérielle, les anesthésiques n’endorment pas les patients et les laxatifs n’accélèrent pas le transit intestinal (麻药不睡、血压不降、泻药不泻) ». C’est le constat sans appel de Zheng Minhua, chef du service de chirurgie générale de l’hôpital Ruijin à Shanghai. Tout comme lui, plusieurs experts de Pékin et Shanghai ont récemment remis en cause l’efficacité de certains médicaments génériques fournis aux hôpitaux publics dans le cadre du système national d’achats centralisés (国家组织药品集中采购). « J’avais l’habitude d’utiliser des anesthésiques de marque ou importés, dont je pouvais calculer la durée des effets avec précision, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui », témoigne le Dr Zheng. 

Cette situation a poussé 20 membres de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) de Shanghai, à soumettre conjointement le 17 janvier une motion visant à « protéger le droit des patients à choisir leurs médicaments », quitte à payer un supplément. De telles explosions de vigilance publique sont inhabituelles dans un pays où les autorités contrôlent strictement les critiques à l’encontre du gouvernement.

Au cœur de la polémique : le système d’achats centralisés. Instauré par Pékin en 2018 dans le cadre d’un plan ambitieux de réforme du système de santé, il a permis de remplacer des médicaments brevetés par des géants pharmaceutiques mondiaux comme AstraZeneca, Pfizer et Sanofi, par des génériques produits par des groupes chinois, souvent à une fraction du prix original (jusqu’à 70% de réduction lors du dernier cycle d’approvisionnement).

Ce programme a permis à Pékin d’économiser 440 milliards de yuans au cours de ses cinq premières années, en partie utilisés pour (mieux) rembourser les patients bénéficiant de thérapies innovantes coûteuses, y compris celles développées par des grands groupes pharmaceutiques internationaux qui ont dû revoir complètement leur stratégie sur le marché chinois.

Lors de l’introduction de ce système d’achats, le public avait salué les efforts du gouvernement pour rendre les soins accessibles à tous. Sauf qu’aujourd’hui, de plus en plus de médecins et de patients expriment leurs doutes sur la qualité des génériques sélectionnés, bien que leurs fabricants affichent des tests d’efficacité équivalents à ceux des médicaments de marque.

« À quoi bon payer l’assurance médicale publique si les médicaments ne fonctionnent plus ? », s’indigne un utilisateur sur Weibo. « Comment les hauts cadres du Parti obtiennent-ils leurs médicaments ? » interroge un autre, affichant une suspicion généralisée selon laquelle les élites du Parti communiste bénéficieraient de privilèges inaccessibles aux citoyens lambdas.

Compte tenu des antécédents de la Chine en matière de scandales alimentaires et pharmaceutiques (lait à la mélamime en 2008, vaccins frelatés en 2010…), ces révélations touchent une corde sensible auprès de la population. Face à l’ampleur du tollé, l’Administration nationale de la sécurité des soins de santé (NHSA), responsable du système d’assurance maladie du pays, a annoncé avant le Nouvel An chinois qu’elle enquêterait sur la question des médicaments génériques et la fiabilité des tests.

En effet, des soupçons de fraude ont émergé, notamment lorsque des médecins ont remarqué que les données cliniques de certains génériques étaient identiques à celles des médicaments d’origine. « Même les données à deux décimales près sont exactement les mêmes », écrit le Dr Xia Zhimin, ancien rédacteur en chef adjoint de Dingxiangyuan, un forum en ligne populaire auprès des professionnels de la santé. Face à ces révélations embarrassantes, le gouvernement a censuré certaines informations et restreint l’accès aux bases de données officielles, tout en expliquant que la duplication des données était due à « une erreur d’édition ».

Reste à voir si ce scandale influencera la manière dont les autorités géreront le prochain cycle d’achats centralisés, prévu un peu plus tard dans l’année. Sans remettre en cause le bien fondé du système, il apparaît que la mise en concurrence (extrême) des groupes pharmaceutiques autour du prix, se fasse au détriment de la qualité des médicaments proposés. Pour y remédier, certains experts préconisent d’accroître les contrôles des sites de production et de sanctionner plus sévèrement les entreprises qui ne respectent pas les normes réglementaires.

La Chine revient de loin : 20 ans plus tôt, en 2005, Zheng Xiaoyu, l’ex-directeur de l’Administration de l’alimentation et des médicaments (SFDA), était condamné à mort pour avoir touché des pots-de-vin de compagnies pharmaceutiques voulant obtenir des autorisations de mise sur le marché. Ces pratiques avaient causé le décès de plus d’une centaine de personnes en Chine et au Panama, après l’ingestion d’un sirop contre la toux qui contenait… de l’antigel.

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