Les Deux Assemblées, la fibre patriotique

Les Deux Assemblées, la fibre patriotique

Depuis 27 ans, les deux Assemblées (CCPPC et ANP) ne s’étaient plus ouvertes dans une atmosphère aussi pesante, entre campagne anti-corruption (qui entre dans sa 4ème année), grèves et manifestations à foison (contre licenciements, faillites et coupes salariales), et drames sociaux incessants, tel l’assassinat d’une juge, le 26 février en banlieue de Pékin, par un homme mécontent des modalités de son divorce.

En de tels moments, la censure ne suffit plus : place aux nouvelles souriantes dans la presse, pour rendre le moral au peuple, et aux édiles la chance de débats dans un climat serein.

Il y a la loi sur la violence au foyer votée en décembre, en vigueur depuis le 1er mars. Depuis lors, quand un conjoint battu appelle le commissariat, celui-ci est tenu d’envoyer une patrouille, sans plus se retrancher derrière l’excuse qu’il s’agirait d’une « affaire de famille ». En cas de violence avérée, la police doit « avertir » le coupable et prévenir le juge, qui peut sous 72h, voire 24h (selon gravité), lui interdire l’accès au foyer, sans préjudice d’autres poursuites. L’avertissement est aussi transmis à l’employeur, mettant ainsi de facto les collègues au courant – et compromettant l’honneur et la carrière du conjoint violent, l’incitant ainsi à réfléchir à son comportement. De cette loi, la justice attend une forte baisse d’un fléau qui sévit sur 25% des foyers chinois (taux comparable au taux à celui de l’UE), jusqu’à 200 millions de femmes, mais aussi 30 millions d’hommes. ANP et CCPPC pourront affiner les détails de la loi concernant la formation des policiers face aux scènes de ménage, ou la multiplication des foyers d’accueil…

L’âge de la retraite va être repoussé à 65 ans. Il est aujourd’hui de 60 ans pour les hommes, et 50 à 55 ans pour les femmes—ce qui explique le faible montant des pensions, surtout pour les femmes. Ce déficit en heures prestées par ces travailleurs, cause aux fonds de pension un risque, désormais proche, de défaut de paiement. Mais les années prestées à l’avenir permettront aux fonds de pension de se recapitaliser et d’investir : les seuls avoirs en bourse des fonds privés (hors secteur public) doivent selon les sources, franchir 600 milliards de $ en 2020. Le nouvel âge de la retraite pour tous, de 65 ans, n’adviendra que graduellement, d’ici 2045 – délai imprescriptible pour chaque tranche d’âge, pour allonger sa vie active dans l’équité, équilibrant durée et prestations supplémentaires. 

Autre expression patriotique, le pays prépare pour novembre le 150ème anniversaire de la naissance de Sun Yat-sen, père de la Chine moderne, qui enterra la dynastie Qing en 1911. Xiu Fujin, édile à la CCPPC et vice-président du CRKC (Comité révolutionnaire du Kuo-Min-Tang chinois, un des 8 mini-partis non communistes tolérés par le régime), propose que le costume « Mao », en réalité popularisé par Sun Yat-sen, soit élevé à la dignité de « tenue nationale ».

Face à l’instabilité qui hante le Xinjiang, ayant causé des dizaines d’attentats et centaines de morts depuis 10 ans, Pékin émet une initiative inattendue : combattre couteaux et bombes artisanales par… lefolklore ! Armée et police resteront en pointe de la lutte antiterroriste, avocats et cadres du Parti viendront animer discours et causeries aux villages, mais « les masses de toutes ethnies » seront aussi invitées à se joindre à des concerts, bals et pièces de théâtre de rue. Un « rôle moteur » doit être « dévolu à la culture… en des activités de propagande culturelle … pour divertir les foules, et les instruire en même temps ». Récente, la directive ne précise pas l’agenda des festivités. 

Toutes ces initiatives s’inscrivent clairement dans une perspective de crise, avec en filigrane, un risque de fin d’état de grâce pour le Président Xi Jinping. Pour la combattre, la presse recense précieusement les situations où le Président fut vu versant des larmes, démontrant ainsi sa capacité émotive. Depuis les années ‘60, il l’aurait fait au moins quatre fois…

Apparaissent aussi sur les ondes une vague de nouvelles chansons, peu spontanées, soulignant les mérites du chef de l’Etat. Hu Xiaoming, chanteur, et Tang Jianyun, auteur-compositeur (obscurs jusqu’à hier) n’y vont pas par quatre chemins : « si tu te maries, prends quelqu’un comme Xi Dada (oncle Xi), un homme décidé dans ses actes et sérieux à la tâche », qui « pourfend les Mouches autant que les Tigres et ne lâche jamais prise, plein d’héroïsme et d’esprit indomptable, qui sans peur de l’inconnu et des difficultés, insiste toujours et va de l’avant ». Un autre groupe, sous le nom de scène des « Vieux ados », va plus loin : « Xi Dada, idole des hommes, mari idéal des femmes… Nous t’aimons, t’aimons, jusqu’à la fin des temps ». 

Avec cette vague de chants et de poèmes, les thuriféraires du chef de l’Etat franchissent une limite qui n’avait plus été atteinte depuis l’ère de Mao. Jiang Zemin, Président de 1989 à 2002, avait fait l’objet d’odes citées par notre confrère du South China Morning Post, le dépeignant en « leader héritier du passé et éclaireur de l’avenir », mais sans citer son nom, et sans ce degré d’attachement passionné. L’avenir dira si la rue chinoise est aujourd’hui prête à se plier à l’engouement qu’avaient reçu les campagnes de culte du Grand Timonier, 50 ans en arrière.

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