Diplomatie : Un sommet « 17+1 » en petite forme

Un sommet « 17+1 » en petite forme

Le forum « 17+1 », réunissant la Chine et 17 pays d’Europe Centrale et de l’Est (dont 12 membres de l’Union Européenne), n’avait plus fait parler de lui depuis 2019. Cette année-là, la Grèce annonçait rejoindre l’initiative, au grand dam de Bruxelles qui la considère comme un moyen pour Pékin de jouer sur les divisions intra-européennes. Ne s’embarrassant pas de cette désapprobation, la Chine faisait savoir dans la foulée que le Président Xi Jinping lui-même participerait désormais aux prochains sommets, au lieu du Premier ministre Li Keqiang. Retardée depuis avril 2020 pour cause de pandémie, la 9ème édition du forum, qui devait se tenir à Pékin, a finalement eu lieu virtuellement le 9 février (cf photo). Organisé à la hâte à l’initiative de la Chine, le sommet n’a été officiellement confirmé par Pékin que le jour même.

Pourquoi un tel empressement ? Enhardie par l’accord global d’investissement (AGI) conclu avec Bruxelles le 30 décembrequi doit encore convaincre le Parlement Européen avant d’être ratifié -, la Chine était désireuse de reprendre l’initiative auprès de ces 17 pays avant que la nouvelle administration Biden ne le fasse. Le message envoyé par Pékin à Washington est clair : les relations entre la Chine et l’Europe sont sur de solides rails. La Chine vient d’ailleurs de supplanter les États-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’UE en 2020, avec des échanges de biens s’élevant à 586 milliards d’€ (contre 555 milliards avec les États-Unis).

Parmi l’assemblée virtuelle se trouvait le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, qui a cité la prise de contrôle du port du Pirée par le géant du transport maritime chinois Cosco comme « un exemple de coopération mutuellement bénéfique », et a garanti aux futurs touristes chinois détenteurs d’un certificat de vaccination l’accès à son pays « sans d’autres restrictions ».
Le Président tchèque Milos Zeman, un supporter du forum dès ses premiers jours, a également répondu présent, après avoir menacé de boycotter le sommet l’an dernier.
Bien sûr, le Président serbe Aleksandar Vucic n’aurait en aucun cas raté ce rendez-vous. En mars 2020, il s’était fait remarquer en embrassant le drapeau chinois à l’arrivée d’un avion-cargo chargé de masques. Depuis lors, le dirigeant serbe attend avec impatience la visite officielle promise par son homologue chinois. Entretemps, la Serbie a reçu un million de doses de vaccins Sinopharm, faisant du pays slave de 7 millions d’habitants la première nation européenne à passer commande en Chine.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, a également participé au sommet, heureux d’accueillir en sa capitale Budapest un campus de l’université shanghaienne Fudan. Las d’attendre des vaccins de la part de l’UE, le gouvernement hongrois a également décidé de se fournir en Chine, sans que les vaccins chinois n’aient reçu le feu vert de l’Agence européenne du médicament qui attend toujours les résultats détaillés de leurs essais cliniques. D’autres pays se sont également montrés intéressés par les vaccins chinois : la Macédoine du Nord, le Monténégro et la République Tchèque. S’engouffrant dans la brèche, le Président chinois n’a pas manqué de réitérer lors du forum son offre d’approvisionnement à tout pays en faisant la demande – et cela même alors que le programme chinois de vaccination prend du retard, Pékin ayant envoyé plus de doses à l’étranger (46 millions) qu’il n’en a injecté à ses propres citoyens (40,52 millions au 9 février).

Malgré ces soutiens enthousiastes, le sommet enregistre sa plus faible participation de chefs d’État depuis sa création en 2012, les dirigeants estonien, lituanien, letton, roumain, slovène et bulgaresoit un tiers des participants européens – préférant snober le sommet. « Nous préférons avoir recours au format « 27+1 » et s’aligner sur les politiques communes européennes pour s’adresser à la Chine », a déclaré la porte-parole de la nouvelle Première ministre estonienne. La rumeur voudrait même que certains membres envisagent de se retirer du forum.

En effet, l’engouement des débuts a fait place à une certaine frustration chez plusieurs partenaires, déçus que les investissements promis ne se soient pas matérialisés, les firmes chinoises réalisant que la région n’est peut-être pas si attractive, ou que l’environnement réglementaire européen est plus compliqué que prévu. Les projets phares, qui auraient pu faire gagner en image à la Chine, ont été reportés ou simplement abandonnés. C’est le cas de la ligne ferroviaire Budapest-Belgrade (Hongrie-Serbie), et des centrales nucléaires de Cernavoda (Roumanie) et de Dukovany (République Tchèque).

Sous l’angle commercial, le seuil des 100 milliards de $ d’échanges – dépassé l’an dernier – a été atteint avec cinq ans de retard par rapport à ce qui avait été annoncé en 2012. Même si le commerce bilatéral entre Chine et les 17 a doublé durant les neuf dernières années, il consiste majoritairement en des exportations chinoises, le déficit commercial en faveur de la Chine ne cessant de s’accroître.

Conscient de ce mécontentement, le Président chinois s’est engagé à acheter aux 17 pour 170 milliards de $ de biens sur les cinq prochaines années. Cette promesse reviendrait à une augmentation de 12% par an. C’est près de quatre points de plus que le rythme de croissance des échanges durant l’année 2020 (8,4%), et davantage que dans le reste de la zone européenne (4,9%). Xi Jinping ajoutait que le commerce bilatéral de produits agricoles avec les 17 sera amené à augmenter de 50%, espérant ainsi réduire la dépendance de son pays vis-à-vis des États-Unis en ce domaine.

Mais ces nouveaux engagements commerciaux seront-ils suffisants aux yeux des 17 pour retrouver la bonne volonté d’antan ? Rien n’est moins sûr. Certains pays scrutent déjà tous les aspects de leurs relations avec la Chine sous un spectre plus sécuritaire. Dans ce contexte, les récentes pressions américaines pour que ces pays européens excluent de leur réseau 5G les opérateurs télécoms chinois, semblent avoir porté leurs fruits : au moins 11 pays sur 17 se sont alignés sur Washington. Sous cette lumière, le format « 17+1 » ne parait pas nécessairement gravé dans la roche…

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