Petit Peuple : Zunyi (Guizhou) – Un mariage culotté (1ère partie)

Zunyi (Guizhou) – Un mariage culotté (1ère partie)

Au début des années 40 à Zunyi (Guizhou), les Pan et les Luo, riches propriétaires de rizières et de vergers de cette province méridionale pauvre et enclavée, avaient eu un conflit sérieux de voisinage.

En juillet 1942, au verger des Pan, les trois manguiers ployaient sous les fruits gorgés de soleil, prêts pour la cueillette. Mais quand à l’aube, hommes et femmes étaient arrivés pour prendre les fruits, les arbres étaient nus – ils avaient été récoltés à la faveur de la nuit et personne n’avait rien entendu. Les voleurs avaient été bien renseignés, comme auraient pu l’avoir été des gens du voisinage. Aussi les soupçons s’étaient portés sur les voisins Luo, seuls au village à disposer d’un charriot sur pneus nécessaire pour embarquer silencieusement ces centaines de kilos de mangues, sans le grincement inévitable des roues cerclées de fer des charrettes sur les cailloux. Le père Pan avait donc porté plainte. Le juge avait confronté accusés et plaignants et dépêché une escouade pour fouiller la ferme des Luo. Mais aucune preuve n’étant ressortie, le juge avait clos l’affaire sans suite.

Quelques mois plus tard, l’affaire s’était envenimée, quand les Pan avait découvert que le plus beau de ses arbres fruitiers dépérissait : des trous taraudés dans le tronc avaient permis d’instiller du poison dans l’arbre, qu’il avait fallu abattre. Interrogés, les Luo juraient leurs grands dieux n’avoir rien à faire dans cette histoire. Depuis lors, au village, les clans s’ignoraient ostensiblement, et les Pan toute à l’idée de revanche, « dormaient sur des branchages et ravalaient leur bile » (卧薪尝胆, wò xīn cháng dǎn).

La révolution de 1949 avait un peu arrangé les choses : classées « propriétaires terriens », les deux familles avaient vu leurs terres confisquées, tout comme les trois quart de leurs fermes cédées à leurs ex-valets, lesquels passaient désormais leur temps à espionner leurs anciens patrons, symboles honnis de l’ancien régime. Pour survivre, les deux clans avaient dû s’épauler, dans le travail comme dans la vie privée, cultiver à la force des bras leurs champs collectivisés en « brigade de production » et partager les maigres rations que la révolution leur accordait.

Sous Deng Xiaoping, ils avaient pu récupérer leurs biens et la vie avait connu une embellie. Plus éduqués que les autres (par tradition familiale chérissant livres et études), les Pan comme les Luo avaient sélectionné des cultures de meilleur rapport, fruits et légumes qui parvenaient aux plus fines tables de Canton, Shanghai ou Pékin. Ils s’étaient mis aux orchidées élevées en pots sur leurs toits, dans des serres grillagées pour éviter les vols – le prix d’un seul plant pouvant atteindre des milliers de yuans. Ils présentaient ces fleurs rares dans des concours, gagnant parfois des prix. En 2000, leur prospérité se notait aux Santana de VW-China, aux motos nippones garées devant leurs porches.

Les deux clans vivaient toujours côte à côte, mais toujours pas en bonne entente : gardiens de la tradition, les vieillards n’oubliaient rien, et rappelaient d’année en année les griefs qui les divisaient. En 1995, un garçon était né chez les Pan, du nom de Guoyin, suivi d’une fille chez les Luo en 1998, appelée Feiyuan. Plus pragmatiques que leurs hommes, les femmes pensaient à l’avenir : début 2020, Mme Pan-mère avait rendu une visite extraordinaire à la reine-mère du clan d’en face, pour proposer de marier ces enfants. La réponse était tombée le lendemain : c’était « oui », car les deux clans étaient sur la même longueur d’onde. Il s’agissait là uniquement de renforcer leurs affaires, d’éviter le morcellement des propriétés par héritage, et au contraire de concentrer les terres et le capital pour mieux investir. Le mariage était une affaire trop sérieuse pour éviter de laisser s’en mêler l’amour !

Cependant, vu le passé compliqué des clans, cette union ne se présentait pas sous les meilleurs auspices, sous l’angle précisément des sentiments. Les deux jeunes ne s’étaient jamais parlé, et chacun gardaient du clan d’en face l’image négative ressassée par les anciens. Autant dire que les familles avaient accueilli l’idée de ces noces avec fraicheur, et les conditions imposées par les Luo avaient été drastiques. Sans même parler d’appartement ou de voiture à financer pour le couple (on était à la campagne, et les jeunes occuperaient une chambre libre dans la ferme des Pan), le clan masculin allait devoir financer le banquet, dont les invitations seraient pourtant lancées par les deux branches. La dot de Feiyuan allait se monter à 88 000 yuans, chiffre « propitiatoire » selon le père-Luo, mais ce dernier avec sa femme  en seraient malgré tout les bénéficiaires exclusifs. Ainsi dans cette union, la confiance manquait entièrement, et l’événement heureux ne parvenait pas à la ressusciter : entre ces clans, le demi-siècle de suspicion continuait à régner en maître…

Comment va se passer ce mariage où dès les préparatifs, on se regarde de travers ? On y verra plus clair au prochain numéro !

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1 Commentaire
  1. severy

    Pour égayer quelque peu cette alliance entre pisse-froid, je proposerais de faire subir au couple le supplice de la chêvre (cf. François 1er, avec Fernandel), de faire respirer aux deux familles un bon bol d’hélium et aux patri et matriarques incapables d’oublier les conflits du passé, je recommenderais l’inhalation régulière de protoxyde d’azote parfumé à la violette en prévision du pugilat et des cris déchirants de la mariée lors de la nuit de noces se déroulant entre jeunes gens élevés de façon traditionnelle depuis cinq mil ans en milieu rural. Le lendemain, après avoir digéré quelques tranches de bleu et la soupe aux gnons de la veille, et fait les comptes, la famille de la mariée – que le nouveau mari aura fait brûler d’amour afin de la consommer toute rôtie dans ses bras – , saura si le jeu en valait la chandelle. Ah, quelle belle perspective que l’amour naissant dans un cadre champêtre dont la simple évocation est digne de faire pleurer de bonheur dans leurs clapiers les couples de fonctionnaires du Parti des travailleurs. Hosanna!

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