Santé : Brucellose : une épidémie pendant l’épidémie

En décembre 2019, à Lanzhou (Gansu), une centaine d’employés de l’institut vétérinaire étaient atteints de la brucellose (波状热, bōzhuàngrè). La maladie, très contagieuse mais qui ne se transmet pas entre humains, n’est pas rare en Chine : en 2019, 44 036 cas ont été recensés, souvent dans des régions pastorales comme la Mongolie-intérieure. Elle se contracte essentiellement au contact de moutons, chèvres et bovins. D’après le centre des maladies infectieuses (CDC) américain, la brucellose est aussi l’infection la plus courante dans les laboratoires, particulièrement ceux en dessous du niveau de biosécurité P3, n’étant pas équipés d’un système de ventilation à pression positive.

Carte : Caixin

Après trois semaines d’enquête, l’origine de la contamination à Lanzhou était finalement identifiée : il s’agissait d’une usine de vaccins contre la brucellose, voisine de l’institut vétérinaire qui avait d’abord été suspecté (cf. photo). Cette filiale du groupe China Animal Husbandry Industry aurait utilisé des désinfectants périmés entre le 24 juillet et le 20 août 2019. Suite à ces infections, la firme sanctionnait huit de ses employés et se voyait privée début janvier de ses licences pour produire ce vaccin. L’affaire semblait donc close.

Surprise un an plus tard : le 14 septembre, le centre des maladies infectieuses (CDC) de Lanzhou a révélé que sur 21 847 personnes testées, 4 646 d’entre elles étaient classifiées comme « positives » à cette maladie parfois appelée « fièvre de Malte ». Le bilan de cas « confirmés » s’élèverait lui à 3 245 personnes, toutes vivant à moins d’un kilomètre à la ronde de l’usine. Toutefois, les autorités se veulent rassurantes : les symptômes devraient disparaître au bout de quelques mois, la souche de la bactérie ne posant qu’un risque très faible.

Pas par hasard, le même jour, le magazine Caixin publiait un reportage exclusif sur l’affaire et affirmait que ce bilan aggravé était connu des autorités dès fin février, mais resté confidentiel jusqu’à présent… Pour les victimes, la fenêtre d’opportunité pour soigner la maladie est déjà passée : la plupart des patients ont ignoré leurs symptômes (fièvre, douleurs musculaires, maux de tête, fatigue…) les premiers mois, soupçonnant une simple grippe. Puis, en pleine crise de Covid-19, les médecins ont été réticents à les diagnostiquer de la maladie et à leur prescrire les traitements nécessaires, racontent certaines victimes. Aujourd’hui, la moitié des 40 résidents interviewés par Caixin affirment toujours souffrir de la maladie, alors que seulement deux d’entre eux ont été formellement diagnostiqués par les médecins. Les familles s’inquiètent pour leur avenir, et particulièrement pour leurs enfants, la maladie pouvant se manifester de manière chronique pendant des années et causer des séquelles à vie comme l’infertilité. Malgré un dédommagement financier prévu pour le mois prochain, dont le montant est tenu secret, plusieurs élèves de l’institut vétérinaire ont envisagé de porter plainte devant la justice. Un jeu qui n’en vaut pas la chandelle selon un avocat : la bataille serait longue et la compensation pas si élevée…

Une affaire similaire a eu lieu en 2011, au sein d’une école vétérinaire de l’université agricole de Harbin (Heilongjiang). 27 employés et stagiaires ont été contaminés lors d’une séance de dissection en décembre 2010, durant laquelle le professeur n’avait pas requis le port de gants. Trois mois plus tard, les victimes présentaient des symptômes de la maladie. Chacune d’entre elles a reçu 61 000 yuans, tandis que le doyen et le secrétaire du parti de l’école ont été démis de leurs fonctions…

Le lendemain des révélations de Caixin, la « brucellose de Lanzhou » se classait parmi les premiers sujets de recherche sur Weibo, avec 48 millions de vues. Les efforts du magazine y étaient loués : « Où se cachent aujourd’hui les ultras nationalistes qui ont insulté Fang Fang et son journal ? Venez essayer d’attaquer Caixin cette fois » ! Surtout, les internautes réclamaient plus de transparence : « L’accident a eu lieu il y a plus d’un an, mais depuis lors, l’affaire a été passée sous silence par les autorités, les médias et le milieu médical. Dévoiler aujourd’hui les chiffres sous la pression médiatique n’est pas suffisant. Il est nécessaire de révéler le montant du dédommagement promis et de punir sévèrement les responsables. Qu’est-ce qui est le plus important : la vie de la population ou les intérêts de quelques-uns ? ». Une plainte qui fait bien sûr écho aux trois premières semaines de janvier à Wuhan, où les autorités locales et certains experts ont tenté de minimiser l’épidémie de Covid-19. Et force est de constater que de Wuhan à Lanzhou, les vieux réflexes ont la vie dure…

Mise à jour : au 6 novembre 2020, 6620 cas de brucellose ont été recensés. 8 cadres ont été sanctionnés. Le maigre dédommagement promis aux victimes (1500 yuans) suscite la colère des internautes.

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