Le Vent de la Chine Numéro 32 (2020)

du 20 septembre au 3 octobre 2020

Editorial : Nouvelle donne pour le secteur privé

Pour mettre en œuvre sa nouvelle stratégie de « circulation duale », donnant la priorité au marché domestique, et relancer son économie qui a lourdement souffert du Covid-19, la Chine a besoin de la participation active de son secteur privé, représentant 60% de l’économie et plus de 80% des emplois. Pour s’en assurer, le Président Xi Jinping a transmis ses instructions le 16 septembre au Front Uni, le département chargé d’accroître l’influence du Parti en Chine et à l’étranger.

Le principe est simple, avec le secteur privé ce sera donnant-donnant : « vous nous aidez à accomplir nos objectifs (avancées à l’international, lutte contre la pauvreté…) et vous aurez notre soutien et notre protection contre les sanctions étrangères ». Le Parti s’attend donc à davantage de patriotisme de la part de ses entrepreneurs. Fin 2018, le Parti avait déjà établi des cellules au sein de 90% des groupes privés. On peut donc prédire que ces entités deviendront plus actives à l’avenir sous l’action du Front Uni. « Les entrepreneurs doivent s’identifier politiquement, intellectuellement et émotionnellement au Parti », précise la directive. Il s’agit aussi d’associer davantage de professionnels à l’élaboration des politiques et de s’assurer de leur expertise dans des moments-clés ou en cas de crise… Les entreprises qui joueront pleinement le jeu se verront accorder un soutien sans faille, digne d’une entreprise d’État. Cette directive vise donc à rassurer le secteur privé, à qui le secteur public ravit jusqu’à présent toutes les priorités et tous les privilèges. Mais pas sûr que les patrons se réjouissent de voir leur pouvoir décisionnel ainsi noyauté…

Selon certains internautes aux accents nationalistes, cette directive était nécessaire : « Ces ‘Janus’ à double visage [les jeunes entrepreneurs chinois de la tech] sont moins attachés à leur mère patrie qu’à leur succès à l’international. Ces instructions sont donc un rappel à l’ordre de rester fidèles au Parti, de la même manière que les médias d’Etat le sont ».

Difficile de ne pas faire le rapprochement avec les mésaventures de ByteDance aux États-Unis. Contraint à la vente par Washington, Pékin mettait TikTok sous sa protection le 28 août en soumettant ses algorithmes à l’octroi d’une licence d’export. Ce faisant, le gouvernement chinois s’accordait le pouvoir de bloquer toute transaction… Depuis lors, un accord a été conclu entre TikTok et Oracle, approuvé par le Président américain, mais Pékin ne compte pas donner sa bénédiction.

Cependant, en offrant la protection du gouvernement à ces firmes privées en échange d’une fidélité aveugle, Pékin leur complique un peu plus la tâche : le monde entier a déjà du mal à croire que ces entreprises sont en mesure de refuser de coopérer avec le gouvernement comme l’impose la loi de renseignement national (2017), mais il leur sera encore plus difficile d’affirmer qu’elles n’agissent pas pour le compte de Pékin après la publication de cette directive. Alors, la Chine estime-t-elle aujourd’hui que comme plus aucun pays ne croit à l’indépendance des firmes chinoises, autant jouer franc-jeu ?

Cela rappelle le plan « made in China 2025 » (MIC2025), révélant au grand jour les ambitions chinoises de rattrapage technologique dans des domaines-clés et d’avenir, en forgeant ses propres champions industriels grâce au soutien de l’État. Sous le feu de la critique des pays occidentaux, Pékin avait alors tenté de faire oublier ce programme, ou du moins, ne l’évoquait plus en public… Sans pour autant l’abandonner ! Lors du Parlement en mai dernier, il a été ressuscité sous la forme d’un nouveau plan pour les « infrastructures digitales » doté de 1 400 milliards de $ jusqu’en 2026 (une échéance qui coïncide avec la fin du prochain plan quinquennal). Et comme le soulignait avec une pointe d’ironie Bai Chunli, président de l’Académie chinoise des Sciences (CAS), la liste des technologies sous embargo américain dresse un inventaire des domaines sur lesquels la Chine doit travailler durant la décennie à venir. Plus récemment, le 11 septembre, le ministère de l’Industrie et des technologies et son nouveau ministre Xiao Yaqing, a annoncé soutenir 105 projets de développement industriels pour une enveloppe de 100 milliards de $. Et cela, alors même que l’Union Européenne et les États-Unis ne cessent de réclamer – en vain – la fin des subventions chinoises à ses champions nationaux afin que les firmes étrangères puissent jouer à armes égales. Cette directive à destination du privé pourrait alors renforcer la détermination des partenaires à se défendre contre les pratiques chinoises. Le Canada vient d’ailleurs d’abandonner les négociations d’un accord de libre-échange avec la Chine…

On assiste donc à un changement de la posture chinoise : en réaction à la politique d’endiguement américaine et à la « guerre technologique » que Washington lui mène, Pékin n’estime plus nécessaire de dissimuler ses ambitions, de brouiller les pistes, de sauver les apparences… La Chine se met à jouer cartes sur table. Mais elle le fait car elle n’a pas d’autre choix : cet appel à la fidélité du secteur privé est la seule carte dans sa manche, puisqu’elle ne peut se permettre de lui offrir plus de libertés.


Economie : Les livreurs de repas, victimes des algorithmes

Le 8 septembre, le magazine « People » (人物, rénwù) lançait un pavé dans la marre en dévoilant les conditions de travail inhumaines des livreurs de repas. Le reportage (traduit en anglais ici) est vite devenu viral sur les réseaux sociaux, lu 1 million de fois quelques heures seulement après sa publication sur WeChat.

Ce n’est pas la première fois cette année que le média s’illustre : en mars dernier, il avait publié une interview – rapidement censurée – du Dr Ai Fen, directrice des urgences de l’hôpital central de Wuhan, réprimandée par ses supérieurs pour avoir partagé ses inquiétudes avec ses amis concernant l’émergence d’un nouveau « coronavirus de type SRAS ». 

Cette fois, le magazine a enquêté pendant plus de six mois sur une industrie sans pitié, dominée par deux géants : le leader Meituan (détenu par Tencent), contrôlant 68% du marché grâce à ses 3 millions de livreurs en jaune et noir, suivi de Ele.me (appartenant à Alibaba), détenant 22% du secteur, avec sa flotte en bleu et blanc. En l’espace de quelques années, le secteur est devenu le nouvel eldorado pour les travailleurs migrants, alimenté par le mythe du livreur qui gagne 10 000 yuans par mois. « Un rêve illusoire », d’après Sun Ping (孙萍), chercheuse à l’Académie chinoise des Sciences Sociales (CASS). Seuls 2,15% des livreurs gagneraient plus de 10 000 yuans mensuels, tandis que 53% d’entre eux peinent à subvenir aux besoins de leur famille. En moyenne, un livreur peut effectuer entre 20 et 40 commandes par jour et gagner entre 5 et 8 yuans par livraison.

Typiquement, sur l’une ou l’autre des plateformes, le délai imparti est de 30 minutes entre la commande et l’arrivée au domicile, préparation du repas comprise. Par exemple, si le restaurant met 20 minutes à préparer la commande, le livreur n’aura plus que 10 minutes pour arriver au pas de porte du client. En cas de retard, la moitié de leur commission sera déduite. Dans cette course contre la montre, le trajet est déterminé par des algorithmes diaboliques (« Super Cerveau » 超脑 chez Meituan, « Arche » 方舟 chez Ele.me), ne prenant pas en compte les conditions météo ou de circulation. Les jours de pluie sont à la fois une bénédiction et une malédiction : les commandes affluent, mais les livreurs sont dans l’impossibilité d’arriver à temps, ils sont donc payés deux fois moins par course. Autre paramètre imprévisible : l’attente insoutenable de l’ascenseur, particulièrement longue dans les tours de bureaux vers midi. « La complexité de la réalité dépasse largement les capacités prédictives de l’intelligence artificielle », commente un expert. Pire, un système « d’auto-optimisation » raccourcit progressivement le temps imparti à une même course, créant ainsi un cercle vicieux où les livreurs sont censés rouler toujours plus vite.

Pendant le trajet infernal, ils sont donc contraints à slalomer entre les voitures, à rouler à contresens ou à griller les feux rouges, tout en veillant à ne pas renverser leur précieuse cargaison. Une plainte d’un client peut les priver d’une journée de salaire. « Si je respectais le code de la route, je serais obligé d’accepter deux fois moins de commandes », évalue un livreur. « Les accidents de la route sont tellement courants pour nous… Mais du moment que le repas est intact, les blessures ne sont pas si graves », témoigne l’un d’entre eux. A Shanghai, les six premiers mois de 2019, deux accidents impliquant des livreurs ont eu lieu chaque jour, conduisant à un décès chaque mois. En cas d’accrochage, 62% des livreurs assument eux-mêmes leurs soins ou l’indemnisation de l’autre partie, leurs employeurs ne prenant pas en charge leur assurance. En effet, depuis 2017, Meituan et Ele.me n’embauchent plus directement leurs livreurs, mais font appel à des agences de manière à réduire les coûts. De même, les scooters électriques sont à la charge des livreurs, la plupart préférant économiser en choisissant des modèles bricolés…

En réaction au reportage de « People », Meituan, le n°1 du secteur, a promis d’ajouter 8 minutes supplémentaires au temps de livraison, d’améliorer son algorithme et d’offrir une meilleure couverture sociale et assurance santé à ses livreurs. Ele.me, lui, s’est contenté d’annoncer l’ajout d’une option permettant au client de préciser qu’il peut attendre entre 5 et 10 minutes de plus, et que les livreurs aux bons antécédents ne seront pas sanctionnés en cas de retard. Une proposition qualifiée « d’hypocrite » par le public, accusant la plateforme de rejeter la faute sur le client. Un internaute commentait : « ce ne sont pas les utilisateurs qui exploitent les livreurs, c’est l’algorithme de la plateforme. Ele.me se dégage de ses responsabilités ». Un autre soulignait que si le client consent à un délai supplémentaire, le livreur l’utilisera probablement pour prendre une autre commande plutôt que de conduire prudemment. « Ces mesures ne traitent pas la racine du problème : la réglementation du travail. Les plateformes devraient offrir un revenu correct et une couverture sociale décente à leurs livreurs », notait un autre…

Ce n’est pas la première fois que les conditions de travail de ces travailleurs de « l’économie du numérique » se retrouvent sous les projecteurs, sans aucune amélioration notable jusqu’à présent. Et étant donné la priorité accordée à la relance de l’économie, à la lutte contre le chômage et la pauvreté, il est peu probable de voir des mesures sociales, renchérissant le coût du travail, émerger dans les mois à venir…


Santé : Brucellose : une épidémie pendant l’épidémie

En décembre 2019, à Lanzhou (Gansu), une centaine d’employés de l’institut vétérinaire étaient atteints de la brucellose (波状热, bōzhuàngrè). La maladie, très contagieuse mais qui ne se transmet pas entre humains, n’est pas rare en Chine : en 2019, 44 036 cas ont été recensés, souvent dans des régions pastorales comme la Mongolie-intérieure. Elle se contracte essentiellement au contact de moutons, chèvres et bovins. D’après le centre des maladies infectieuses (CDC) américain, la brucellose est aussi l’infection la plus courante dans les laboratoires, particulièrement ceux en dessous du niveau de biosécurité P3, n’étant pas équipés d’un système de ventilation à pression positive.

Carte : Caixin

Après trois semaines d’enquête, l’origine de la contamination à Lanzhou était finalement identifiée : il s’agissait d’une usine de vaccins contre la brucellose, voisine de l’institut vétérinaire qui avait d’abord été suspecté (cf. photo). Cette filiale du groupe China Animal Husbandry Industry aurait utilisé des désinfectants périmés entre le 24 juillet et le 20 août 2019. Suite à ces infections, la firme sanctionnait huit de ses employés et se voyait privée début janvier de ses licences pour produire ce vaccin. L’affaire semblait donc close.

Surprise un an plus tard : le 14 septembre, le centre des maladies infectieuses (CDC) de Lanzhou a révélé que sur 21 847 personnes testées, 4 646 d’entre elles étaient classifiées comme « positives » à cette maladie parfois appelée « fièvre de Malte ». Le bilan de cas « confirmés » s’élèverait lui à 3 245 personnes, toutes vivant à moins d’un kilomètre à la ronde de l’usine. Toutefois, les autorités se veulent rassurantes : les symptômes devraient disparaître au bout de quelques mois, la souche de la bactérie ne posant qu’un risque très faible.

Pas par hasard, le même jour, le magazine Caixin publiait un reportage exclusif sur l’affaire et affirmait que ce bilan aggravé était connu des autorités dès fin février, mais resté confidentiel jusqu’à présent… Pour les victimes, la fenêtre d’opportunité pour soigner la maladie est déjà passée : la plupart des patients ont ignoré leurs symptômes (fièvre, douleurs musculaires, maux de tête, fatigue…) les premiers mois, soupçonnant une simple grippe. Puis, en pleine crise de Covid-19, les médecins ont été réticents à les diagnostiquer de la maladie et à leur prescrire les traitements nécessaires, racontent certaines victimes. Aujourd’hui, la moitié des 40 résidents interviewés par Caixin affirment toujours souffrir de la maladie, alors que seulement deux d’entre eux ont été formellement diagnostiqués par les médecins. Les familles s’inquiètent pour leur avenir, et particulièrement pour leurs enfants, la maladie pouvant se manifester de manière chronique pendant des années et causer des séquelles à vie comme l’infertilité. Malgré un dédommagement financier prévu pour le mois prochain, dont le montant est tenu secret, plusieurs élèves de l’institut vétérinaire ont envisagé de porter plainte devant la justice. Un jeu qui n’en vaut pas la chandelle selon un avocat : la bataille serait longue et la compensation pas si élevée…

Une affaire similaire a eu lieu en 2011, au sein d’une école vétérinaire de l’université agricole de Harbin (Heilongjiang). 27 employés et stagiaires ont été contaminés lors d’une séance de dissection en décembre 2010, durant laquelle le professeur n’avait pas requis le port de gants. Trois mois plus tard, les victimes présentaient des symptômes de la maladie. Chacune d’entre elles a reçu 61 000 yuans, tandis que le doyen et le secrétaire du parti de l’école ont été démis de leurs fonctions…

Le lendemain des révélations de Caixin, la « brucellose de Lanzhou » se classait parmi les premiers sujets de recherche sur Weibo, avec 48 millions de vues. Les efforts du magazine y étaient loués : « Où se cachent aujourd’hui les ultras nationalistes qui ont insulté Fang Fang et son journal ? Venez essayer d’attaquer Caixin cette fois » ! Surtout, les internautes réclamaient plus de transparence : « L’accident a eu lieu il y a plus d’un an, mais depuis lors, l’affaire a été passée sous silence par les autorités, les médias et le milieu médical. Dévoiler aujourd’hui les chiffres sous la pression médiatique n’est pas suffisant. Il est nécessaire de révéler le montant du dédommagement promis et de punir sévèrement les responsables. Qu’est-ce qui est le plus important : la vie de la population ou les intérêts de quelques-uns ? ». Une plainte qui fait bien sûr écho aux trois premières semaines de janvier à Wuhan, où les autorités locales et certains experts ont tenté de minimiser l’épidémie de Covid-19. Et force est de constater que de Wuhan à Lanzhou, les vieux réflexes ont la vie dure…

Mise à jour : au 6 novembre 2020, 6620 cas de brucellose ont été recensés. 8 cadres ont été sanctionnés. Le maigre dédommagement promis aux victimes (1500 yuans) suscite la colère des internautes.


Culture : « Wuhan, ville close », un journal contre l’oubli
« Wuhan, ville close », un journal contre l’oubli

Au départ, l’écrivaine Fang Fang (方方) n’avait pas l’intention d’écrire un journal. Elle souhaitait simplement consigner ses impressions et son ressenti dans le cadre d’un article qui lui avait été commandé. Pourtant, ses textes, compilés dans « Wuhan, ville close » (éditions Stock, 9 septembre), ont connu un succès retentissant. En Chine bien sûr, où les internautes étaient chaque jour à l’affut de son nouveau billet durant une période où les informations non officielles sur l’épidémie se faisaient rares. Mais aussi dans le monde entier, désireux d’en savoir plus sur ce qu’il se passait réellement à Wuhan – sans savoir qu’il serait à son tour confronté aux mêmes épreuves.

Romancière reconnue, ancienne présidente de l’association des écrivains du Hubei, Wuhanaise de cœur, Wang Fang de son vrai nom, 65 ans, s’est attachée à publier chaque jour entre le 25 janvier et le 25 mars un billet dans lequel elle partage son quotidien, confinée seule chez elle, mais surtout son indignation, le tout ponctué de citations littéraires et de poèmes. Tout au long de son journal, l’auteure partage ses impressions sur des textes qui l’ont marqué durant l’épidémie, mais aussi des commentaires recueillis auprès de ses amis, médecin, policier ou écrivain. Elle relate en détail la pénurie de masques, le personnel médical débordé, la construction des hôpitaux temporaires, le pic de contamination sans cesse retardé, la solidarité entre voisins, l’approvisionnement, la polémique des téléphones portables alignés sur le sol d’un funérarium… Ses 60 billets ont été d’abord publiés sur son compte Weibo avant d’être censurés le jour de la mort du Dr Li Wenliang le 7 février, puis rendus disponibles sur WeChat, via le compte officiel d’une autre écrivaine. Ils ont été également recueillis sur le site de Caixin.

Malgré des descriptions du quotidien parfois un peu longues, la lecture de ce journal est intéressante sous plusieurs aspects. D’abord, car il constitue une trace écrite du vécu des habitants et accomplit ainsi parfaitement sa mission première : faire que personne n’oublie ce qu’il s’est passé à Wuhan. A travers ses billets, le journal se fait aussi le reflet de nos propres expériences épidémiques aux quatre coins du monde, chacun ayant ressenti la colère, l’inquiétude, la tristesse, mais aussi la lassitude et l’ennui durant de longues journées de quarantaine à scruter les nouvelles et le décompte officiel du nombre de nouveaux cas…

Ensuite, la lecture de ce journal offre un regard rétrospectif sur ces 60 jours, permettant de réaliser que les attentes (légitimes) de l’auteure, mais aussi de toute une frange de la population restée silencieuse, ont été déçues…

À plusieurs reprises, Fang Fang suggère qu’un mémorial soit érigé à Wuhan, pourquoi pas au marché de Huanan, ou qu’une stèle soit élevée, sur laquelle serait reproduite la poignante lettre d’adieu du réalisateur Chang Kai, rédigée sur son lit de mort… L’écrivaine espère aussi que les soignants venus en renfort d’autres provinces raconteront ce qu’ils ont vécu à Wuhan, afin de laisser derrière eux un témoignage collectif. Fang Fang propose également aux familles endeuillées de compiler leurs récits sur un même site web… Aucune initiative de ce type n’a émergé jusqu’à présent.

Plus important encore, Fang Fang réclame dès les premiers jours que les responsabilités du hiatus des trois premières semaines de janvier, soient établies. « Nous ne voulons pas de pardon, mais des explications », clame-t-elle. Pourquoi les autorités n’ont-elles pas réagi ? Pourquoi certains experts ont-ils minimisé la dangerosité du virus ? Fang Fang avance un élément de réponse : pendant les deux assemblées politiques de l’année (qui ont eu lieu à Wuhan mi-janvier), les médias ne sont pas autorisés à diffuser de mauvaises nouvelles, et les cadres sont bien trop occupés pour prendre des décisions… Un peu naïvement, Fang Fang suggère donc de reporter à plus tard dans l’année ces réunions, car l’hiver est propice aux contagions. « Le SRAS ne s’était-il pas répandu en 2003 dans des conditions similaires ? », rappelle-t-elle.

Pourtant, au fil du temps, Fang Fang doit se rendre à l’évidence : les appels à établir les responsabilités faiblissent… « La hâte de tourner la page, de se débarrasser des erreurs, de se dérober, est trop forte », commente-t-elle. À ce jour, seul le secrétaire du Parti de la province du Hubei et de la ville de Wuhan ont été démis de leurs fonctions, ainsi qu’une poignée de cadres locaux. Le maire et le gouverneur de la province sont toujours en poste. Et depuis que la Chine a célébré officiellement sa victoire sur le virus le 8 septembre, les probabilités que les autorités rouvrent ce chapitre douloureux sont infimes… Dès le 31 janvier, Fang Fang s’imaginait ce moment : quel genre de victoire pourra-t-on déclarer après une telle catastrophe ? Peut-il vraiment en avoir une après toutes ces personnes « assassinées » par le virus ? « Il n’y aura pas de victoire, anticipait-elle. Juste une fin ».

Pour ses prises de position osées et surtout pour sa décision de publier son journal à l’étranger, Fang Fang sera victime de virulentes attaques d’internautes ultranationalistes. « Si me haïr et m’insulter leur procure de la joie, alors je les aide à obtenir ce qu’ils recherchent », les défie-t-elle. L’apogée de cette cabale prendra la forme d’une lettre d’un prétendu lycéen de 16 ans, à qui la romancière conseillera d’apprendre à penser par lui-même, une démarche qu’elle confie avoir accomplie elle-même à la fin de la révolution culturelle. Fang Fang s’inquiète toutefois pour l’avenir : elle constate avec stupéfaction que, comme de par le passé, il y a de moins en moins de place pour les critiques, uniquement pour les louanges et la soi-disant « énergie positive ». Elle conclut son dernier billet par une mise en garde : « les ultranationalistes sont une catastrophe pour la Chine et son peuple (…) Ce sont eux les véritables virus de notre société ».


Petit Peuple : Bannière du Vieux Barag (Mongolie-Intérieure) : La faute du lycéen Batumenghe (1ère partie)

Par une chaude soirée de mai 1992, avec deux camarades de classe, Batumenghe, Mongol de 17 ans et Bai Yongchun, Han de 19 ans, jouaient au mah-jong avec des amis sous un réverbère de la rue principale de la Bannière du Vieux Barag (陈巴尔虎旗, Mongolie-Intérieure), terre de lande et de prairie aux maigres hardes de moutons et de chevaux. Pour échapper à l’ennui abyssal de la vie en province, les lycéens jouaient… en pariant de l’argent. Ils pouvaient se le permettre, vu la classe sociale de leurs parents, la mère de l’un étant présidente du planning familial local, et le père de l’autre, directeur d’un magasin.

Sur la table de fortune, une bouteille de Wuliangyu, alcool blanc en vogue, avait la bougeotte, happée et lampée au goulot par les jeunes tour à tour. Trois autres flacons vides traînaient à terre. Boissons et jeux d’argent étaient prohibés, surtout chez les mineurs, mais cette « jeunesse dorée » ne craignait pas la loi qui, en tout état de cause, n’avait ici qu’une force relative : « le ciel est haut et l’empereur est loin » (tiāngāo huáng dì yuǎn, 天高皇帝远), et Pékin était à près de 2 000 km par la route. Aussi dès 20h, nos jeunes déjà ivres alignaient, le regard hébété, leurs rangées de tuiles. Batumenghe gagnait à tous les coups, comme en attestait la pile de billets s’élevant devant lui, et les mines des compagnons qui s’allongeaient à chaque partie.

Mais alors qu’il venait de prononcer « 赢了» (yíng le), annonçant sa victoire (une de plus), et commençait à compter les points des perdants, Bai Yongchun explosa, l’accusant d’avoir triché en piochant subrepticement dans la réserve les pions qui lui manquaient. Indigné, Batumenghe se leva et sans un mot, lui flanqua son poing au visage. Ce à quoi Bai Yongchun répliqua en flanquant la table à terre d’un bon coup de pied, envoyant voler le jeu et les billets roses. Aveuglé de rage, Batumenghe sortit alors son cran d’arrêt, et lui porta trois coups à la poitrine et au cou. L’autre chancela, fit quelques pas hagard, et s’effondra. Voir le sang gicler dégrisa instantanément Batumenghe. C’était son copain d’enfance qu’il venait de tuer, son vieux complice des 400 coups. Il découvrait soudain avec effroi cet être inconnu qui sommeillait en lui à son insu, un assassin, distributeur de mort !

Voyant la tournure catastrophique que prenaient les choses, un des joueurs s’était éclipsé. L’autre prit Yongchun par l’épaule, et avec Batumenghe, ils entreprirent de traîner le blessé chez un médecin voisin, sentant pourtant qu’il était déjà trop tard : d’une pâleur extrême, le garçon ne respirait plus. Après un quart d’heure de tentatives de réanimation sans conviction, le docteur ne put que conseiller à l’auteur des faits d’aller se constituer prisonnier. Il lui donnait une heure, avant d’appeler la police.

Au lieu de gagner immédiatement le commissariat, Batumenghe rentra chez lui et tint avec son clan un conseil de guerre qui dura toute la nuit. A l’aube, il alla au commissariat accompagné de sa mère et d’un oncle lointain, qui n’était autre que le secrétaire du Parti. Premier magistrat de la Bannière du Vieux Barag, Dieu le père en cette commune de 7 000 âmes, le cadre n’eut pas besoin de suggérer au chef de la police qu’il s’agissait d’un cas à manier avec doigté – le commissaire le comprit d’emblée. C’était un triste accident, mais en aucun cas prémédité ni volontaire. Surtout, l’auteur des faits était Mongol, d’une minorité ethnique toujours à risque de soulèvement, qu’il fallait très spécialement ménager au nom de la stabilité sociale.

La mère de son côté, assura le commissaire qu’elle allait compenser généreusement la famille pour prévenir toute velléité de déposer une plainte. Pour preuve de sa bonne volonté, discrètement, elle remit à l’officier une enveloppe débordante de billets roses « pour les bonnes œuvres » dit-elle d’un sourire. Pendant toutes ces palabres, le fils restait muet, tête penchée, mais pas l’air si dévasté ou angoissé pour l’avenir, regardant l’assistance sourire en coin…

« Tout de même, osa répliquer le policier embarrassé, il s’agit d’un meurtre en ville, perpétré au vu et su de tous… à cette heure, tout le district est au courant. Une enquête est inévitable ».

– Certes, répliqua le secrétaire d’un ton affable, mais il faut faire cette enquête avec prudence, en prenant son temps pour consolider le dossier et ne pas faire d’erreurs nuisibles à ta carrière. Et je me porte garant que le jeune pendant ce temps, ne s’enfuira pas : pas la peine de l’appréhender ».

Ainsi fut fait : les recherches des inspecteurs durèrent treize mois jusqu’au procès à Hulunbuir, en juin 1993. L’affaire fut rondement menée, et le verdict fut d’une clémence qui surprit plus d’un : eu égard à sa repentance profonde et sincère, exprimée trois fois devant Han Jie la mère du jeune décédé, et vu qu’il était mineur au moment des faits, il en prit pour 15 ans, ce qui était peu en ce pays plutôt adepte de la loi du Talion. A la lecture du verdict, Han Jie éclata en sanglots, tandis que son mari hurlait à l’injustice. D’autant qu’aucun ordre d’incarcération n’était prononcé – le jeune tueur attendait encore la convocation pour sa première nuit de taule. Et puis un dernier détail laissait penser qu’il y avait anguille sous roche : Batumenghe et son clan renonçaient à faire appel !

A présent, que va-t-il se produire ? Vous le saurez, promis, au prochain numéro ! 


Rendez-vous : Semaines du 21 septembre au 25 octobre
Semaines du 21 septembre au 25 octobre

21-23 septembre, Shanghai : China EPower & GPower,Salon chinois international de la génération d’énergie et de l’ingénierie électrique

23-25 septembre, Shenzhen : CIEFair – China International Internet & E-Commerce, Salon international de l’internet et du e-commerce

23 – 25 Septembre, Shenzhen : CILF – China International Logistics and supply chain FairSalon international de la logistique et des transports

23-25 septembre, Chongqing : CAPE – Chongqing Auto Parts ExhibitionSalon chinois international des pièces détachées et des services automobiles, des nouvelles énergies et technologies pour l’automobile

23 – 25 Septembre, Shanghai : CHIC – China International Fashion FairSalon international de la mode

26 septembre – 5 octobre, Pékin : Auto China, Salon international de l’industrie automobile

27-29 septembre, Shanghai: SIEE Expo – Shanghai International Early childhood Education Expo, Salon international de l’éducation et des fournitures pour la petite enfance

28-30 septembre, Shanghai : SIAL, Salon international de l’agroalimentaire

28-30 septembre, Shanghai :CIHIE – China International Healthcare Industry Exhibition, Salon chinois international de l’industrie de la santé

28 – 30 Septembre, Shanghai : China Sport ShowSalon du sport

30 septembre – 3 octobre, Canton : GILE – Guangzhou International Lighting Exhibition, Salon mondial des LED et des technologies d’éclairage

10-12 octobre, Shanghai : CBME – Children Baby Maternity Expo, Salon international de l’enfant, du bébé et de la maternité

10-13 octobre, Shanghai : DMC – Die & Mould China,Salon international des technologies pour les moulistes et les plasturgistes

11-13 octobre, Pékin: AIFE – Asian International Food & Beverage Expo,Salon international de l’agroalimentaire

12-14 octobre, Shanghai : AGROCHEMEX, Salon de la protection contre les maladies des plantes

13-15 octobre, Canton : CIAME – China International Automobile Manufacturing Exposition, Salon chinois de l’automobile et forum mondial de l’innovation, de la technologie, de l’équipement et de l’industrie manufacturière automobile

13-15 octobre, Canton : GAS 2020 – Guangzhou International Gas Application Technology and Equipment Expo,Salon international des technologies et équipements liés au gaz

14-16 octobre, Shanghai : Texcare Asia, Saloninternational de l’industrie de la blanchisserie

15-17 octobre, Yantai : CINE – China International Nuclear Power Industry Expo,Salon chinois international de l’industrie nucléaire

15-18 octobre, Taizhou (Zhejiang) : PEC – China Plastics Exhibition and Conference, Salon professionnel et conférence sur l’industrie du plastique

18-21 octobre, Foshan : CERAMBATH,Salon international de la céramique et des sanitaires

19-22 octobre, Shanghai : CMEF – China Medical Equipment Fair, Salon chinois international des équipements médicaux

20-22 octobre, Shanghai : FBIE – Food & Beverage Import and Export Fair,Salon international pour l’import-export d’aliments et de boissons

21-23 octobre, Shanghai : China Toy Expo,Salon international chinois du jouet et des ressources pédagogiques préscolaires