Petit Peuple : Zaosheng (Henan) – La vraie nature de Li Yurong (2ème partie)

Zaosheng (Henan) – La vraie nature de Li Yurong (2ème partie)

Kidnappée alors qu’elle était jeune femme, Yurong a été mariée de force à Li Wei, pauvre paysan du Henan à 900km de chez elle. 24 ans après, sa fille veut retrouver sa famille…

2010 fut pour Li Xinmei l’année du passage à l’acte pour retrouver le clan, le passé de sa maman. Il était temps : à 19 ans, elle devait penser à se marier, et n’aurait bientôt plus le temps de mener l’enquête. Elle commença par poster, sur des applications QQ dédiées aux proches disparus, des clips de sa mère parlant sa langue. Elle fit chou blanc : personne ne reconnaissait ce dialecte. Même échec, quand elle mit en ligne les vagues souvenirs de sa mère sur tel arbre géant devant sa maison, ou sur la pratique du couteau caché sous l’oreiller, lame vers l’oreille. Toutes les pistes qui lui revinrent s’avérèrent fausses… L’enquête piétinait !

En 2014, Xinmei, qui logeait toujours chez ses parents, se maria, un fils bientôt arriva. Li Wei, son père et le mari de Yurong, tomba malade, se vit diagnostiquer un cancer foudroyant, qui l’emporta en trois mois. En 2017, le fils de Xinmei commit un acte qui désespéra Yurong, en s’asseyant sur l’autel familial : cet acte profanateur et sacrilège risquait de mettre les ancêtres en colère, qui dès lors, allaient faire disparaître tous les indices permettant de la conduire à ses parents… 

Contredisant ces craintes, en septembre 2017, sur son smartphone, Xinmei tomba sur une vidéo intitulée « la langue des Buyei » qui décrivait une minorité du Guizhou : elle crut reconnaître l’idiome de sa mère. Depuis cette province, Huang, l’auteur, lui confirma le 10 septembre que les clips de Yurong étaient bien en Buyei. Puis Yurong identifia formellement les tenues Buyei mises devant ses yeux – c’était bien son peuple ! Mais pour autant, on était encore loin du compte : les Buyei étaient 3 millions, disséminés au Nord, à l’Ouest et au Sud du Guizhou… C’était chercher l’aiguille dans la meule de foin.

Contre toute attente, l’enquête démarra cette fois à toute vapeur, portée par cette communauté mobilisée pour retrouver l’enfant du pays. Dès le lendemain, Huang établit que la langue de Yurong était celle des Buyei de l’Ouest. Le 12 septembre, la TV de Qianxinan, ville Buyei, envoya des photos de villages de cette ethnie, qui déclenchèrent chez Yurong les souvenirs d’un temple au faîte d’une route à 24 tournants. Là, l’enquête se bloqua quelques heures, car aucun temple ni route n’étaient présents au lieu allégué. Mais un vieux téléspectateur confirma que ces deux sites avaient bel et bien existé, avant de disparaître durant la révolution culturelle, peu après le kidnapping de la jeune femme.

Le 13 septembre apporta au dossier que la famille de Yurong devait vivre « près de Shazi ». Un autre témoin crut que Yurong était une certaine « Dezlinz », enlevée 35 ans plus tôt. Elle démentit, mais d’une manière qui disait combien on était proche du but : « Dezlinz n’est pas moi, elle, elle était de Bulujiao », un village évidemment très voisin… Aussi, c’est sans surprise que tomba l’info une heure plus tard : le vrai nom de Yurong était Dezliangz. Son village était identifié, où se trouvaient encore Dezdinz, son père de 88 ans, sa mère de 84 ans, trois frères et une cadette. Le 14 septembre, tous, en pleurs, se parlaient par conférence WeChat ! 

Le 17 octobre, Dezliangz et Xinmei prirent l’avion Zhengzhou-Guiyang. Suivit un interminable périple en tricycle sur des routes de terre en « tôle ondulée ». Plus on se rapprochait, plus la mère se montrait curieusement bougonne, irascible parfois. Il y avait dans son attitude défiante un net scepticisme, une peur d’être déçue, et elle se protégeait en prétendant que tous autour d’elle la trompaient. Plus en profondeur, ce déni interpellait la question de ces 35 ans qui venaient de lui être volés, et de la fin imminente : qu’adviendrait-il ensuite ? Voir ses parents, lui rendrait-il sa jeunesse ? Son passé ?

Et puis ce fut l’arrivée, tout un village de bois sur des falaises rouges, et sa population en grandes tenues brodées. Au milieu d’eux, un petit bout de femme en noir portait un bol de riz et deux baguettes : sa mère, qui voulait la faire manger en guise de bienvenue. Ce geste devait lui faire se remémorer à jamais le chemin vers les siens.

Durant les jours suivants, tant de mystères s’éclaircirent ! Redevenue enfant devant sa mère, Dezliangz échangeait fiévreusement avec elle, rattrapant les années perdues. Le couteau sous l’oreiller, c’était une tradition des Bouyei, pour chasser les cauchemars. Dezliangz était en fait sourde de naissance. Elle venait de se marier lors de son kidnapping, qui résultait d’une trahison d’un époux ne supportant pas son handicap – son père avait été plaider auprès du mari pour qu’il la rende au lieu de la vendre au loin, mais c’était déjà trop tard.

Ici, Dezliangz, en plein bonheur, n’était plus méprisée, mais honorée, et sa langue n’était plus une bizarrerie, mais la norme. Cependant, cette famille restait au bord de la misère : après 12 jours, Xinmei racheta pour toutes deux des billets de retour pour Zhengzhou. Elles repartirent sur bien des larmes, tout en promettant de revenir. Au moins, par ce rapprochement inespéré, c’était tout le sens de sa vie qui était rendu à Dezliangz, avec son nom, un magique sésame. « Bonheur comme malheur n’avaient plus de porte » (祸福无门, huò fú wú mén) : elle était de nouveau maîtresse de son destin !

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1 Commentaire
  1. severy

    Mon cher Eric, tu peux te vanter de m’avoir fait pleurer à chaudes larmes. Ton style sans artifice est particulièrement efficace. Je m’incline respectueusement. Jean

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