
Dans moins de deux semaines, le 24 juillet, se tiendra à Pékin le prochain sommet entre l’Union Européenne et la Chine. Prévu à l’origine à Bruxelles, il a finalement été délocalisé en Chine pour s’accommoder de l’agenda de Xi Jinping, qui n’avait pas l’intention de venir en Europe. Les dirigeants européens ont alors choisi de faire le déplacement en Chine afin d’avoir l’opportunité de rencontrer le leader chinois. En effet, le sommet, qui ne durera qu’un seul jour au lieu de deux, sera présidé par Li Qiang en ce qui concerne les questions économiques, mais Xi devrait être présent pour le banquet.
Initialement organisée pour aplanir à l’avance les différents et préparer le sommet, la tournée du ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, en Europe du 30 juin au 5 juillet, a surtout été marquée par ses propos à Kaja Kallas, la vice-présidente de la Commission européenne en charge des affaires internationales de l’Union, selon lesquels : « Pékin ne souhaitait pas voir la Russie perdre ». En reconnaissant que la Chine ne pouvait accepter de voir la Russie de Poutine perdre la guerre, au moment où se multiplient les rapports pointant vers l’implication du pays dans le conflit, au rebours du discours officiel chinois de non-ingérence, Pékin assume donc sa position.
Un autre point de friction entre la Chine et l’Union est le domaine des terres rares. En réponse aux droits de douane américains, la Chine en a limité les exportations. Alors que les décideurs politiques européens espéraient que les restrictions chinoises toucheraient principalement les entreprises américaines, ils ont constaté que les entreprises européennes ont également dû faire face à de longs retards pour obtenir l’approbation de leurs achats de terres rares par la Chine.
A cela s’ajoute la question du matériel médical qui est devenu un sujet de réel contentieux. Le 20 juin, la Commission européenne a décidé d’exclure les entreprises chinoises des achats publics de dispositifs médicaux de plus de 5 millions d’euros et de n’autoriser pas plus de 50 % d’intrants chinois pour les appels d’offres retenus. Alors que cette décision n’était qu’une mesure de compensation par rapport à une situation où les entreprises européennes n’ont quasiment aucun accès aux marchés publics chinois, la Chine a choisi de rétorquer début juillet en déclarant que les entreprises de l’Union européenne sans opérations en Chine seraient exclues des contrats gouvernementaux de dispositifs médicaux d’une valeur de plus de 45 millions de yuans (6,3 millions de $).
Cela est révélateur de la pratique commerciale chinoise : toute mise en place d’un mécanisme défensif face à une situation de concurrence déloyale subie sera contre-attaquée par un mécanisme d’exclusion encore plus marqué. De sorte que l’Union n’a que le choix ou de subir passivement ou d’être attaqué plus fortement : une pratique commerciale qui semble avoir été aussi adoptée par l’Amérique de Trump.
Enfin, le dernier point de friction récurrent est bien entendu celui des « surcapacités ». Début juillet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a accusé Pékin d’opérer en dehors des règles internationales et d’inonder les marchés mondiaux « de surcapacités subventionnées, non seulement pour stimuler ses propres industries, mais aussi pour étouffer la concurrence internationale ». A cette critique récurrente de l’Union répond l’argument non moins récurrent de la Chine déniant toute « surcapacité » : le terme de « surcapacité » serait « néocolonial » (toute critique de la Chine l’est pour Pékin) ; la Chine a de « grandes capacités » du fait de l’ampleur de son marché, mais pas de surcapacités, c’est-à-dire de surproduction à perte qui doivent s’exporter au prix minimal.
Selon le narratif officiel : les prix bas chinois s’expliquent par l’avancée technologique de la Chine et un marché intérieur férocement concurrentiel. Pourtant, cette explication ne permet pas tout à fait de dénier la réalité du problème : car le marché chinois hyper-concurrentiel est aussi un problème pour la Chine, produisant une compression des prix et des salaires, un marché déprimé avec des entreprises qui doivent être portées par l’Etat et qui donc évacuent leur surplus à l’extérieur.
Interrogé à ce sujet, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Mao Ning déclarait le 9 juillet que « la surcapacité ne devrait pas être mesurée uniquement par la production ou les exportations. Sinon, les avions Airbus et les automobiles allemandes ne devraient-ils pas également être comptabilisés comme surcapacités ? » Effectivement, la surcapacité ne se mesure pas au succès à l’exportation ; elle se mesure dans la différence entre le marché intérieur et le marché extérieur : construire pour exporter et exporter ce qui ne peut plus se vendre dans le pays du fait d’une masse excessive de produits de qualité équivalente, sont deux choses différentes.
Tous ces points de frictions circonstanciels à la fois masquent et révèlent une asymétrie commerciale structurelle qui est allée en s’amplifiant au cours des années.
En termes de taille économique, l’UE et la Chine sont respectivement les 2ème et 3ème économies mondiales, représentant ensemble plus d’un tiers (34,5 %) de l’économie mondiale. La Chine et l’UE sont respectivement les premier et deuxième partenaires commerciaux mondiaux pour les échanges de biens, représentant ensemble près de 30 % (28,6 %) du total des échanges mondiaux de biens. Cependant, les bénéfices qu’ils en tirent, diffèrent : la balance commerciale des échanges avec l’UE a été constamment en faveur de la Chine. En 2024, le déficit commercial de l’UE vis-à-vis de la Chine s’élevait à 305 milliards d’euros, contre 292 milliards de 2023.
Cette situation n’est pas spécifique à l’Europe mais vaut aussi pour les Etats-Unis : en 2024, les exportations vers les États-Unis et l’UE représentaient 29,1 % des exportations chinoises, tandis que les importations en provenance de ces régions ne représentaient que 16,7 %. De façon intéressante, alors que les Etats-Unis et l’UE ne représentaient que 23,9 % du commerce total de la Chine en 2024, ils représentaient 61,3 % de l’excédent commercial total de la Chine. Autrement dit, au niveau commercial, la Chine est le « rival systémique » commun de l’Europe et des Etats-Unis. Mais au lieu d’agir ensemble sur la Chine, ils se divisent du fait de la volonté de prééminence des Etats-Unis. De sorte que l’UE se retrouve soumise à la double pression de la guerre douanière de Trump et de l’excédent commercial de Pékin, se conjuguant pour accroître la désindustrialisation et la paupérisation de l’Europe.
Face à une telle situation, il est permis de douter qu’un sommet puisse durablement changer la donne et Pékin n’a aucune raison de se démener pour modifier une situation clairement à son avantage.
Sommaire N° 23-24 (2025)