Editorial : Gaokao, dix ans après le début de la réforme

Gaokao, dix ans après le début de la réforme

Comme chaque premier week-end de juin, la nation entière retient son souffle pour l’examen tant redouté du Gaokao (高考, gāokǎo), l’équivalent chinois du baccalauréat. Cette épreuve marque souvent le destin professionnel de millions de jeunes Chinois (13,35 cette année pour être exact) : plus leur score au Gaokao sera élevé, plus ils pourront prétendre intégrer une bonne université.

Ce système méritocratique est censé offrir les mêmes chances à chaque jeune du pays, qu’il soit originaire du fin fond du Tibet ou shanghaien de souche, tant qu’il travaille dur. C’est ainsi que le Gaokao reste perçu par beaucoup comme l’un des rares moyens – voire le seuld’ascension sociale accessible aux élèves issus de milieux modestes, même si dans les faits, les chances d’être accepté dans l’une des meilleures universités du pays sont extrêmement minces : 1,6 % selon des statistiques datant de 2023.

Nul besoin donc de préciser que la tension est donc à son comble les semaines précédant l’examen. Les parents, encore plus stressés que leurs enfants, sont aux petits soins pour leur progéniture, certains se mettant même en congés pour être entièrement disponibles. Le jour-J, les centres d’examen sont gardés par la police tandis que les automobilistes reçoivent l’interdiction de klaxonner dans les alentours pour ne pas déconcentrer les bacheliers.

Comme chaque année, la couverture médiatique en amont de l’événement a été consacrée aux nouveaux moyens de traquer les tricheurs, avec un accent particulier porté sur le business de documents vendus à prix d’or (jusqu’à 400 yuans) censés prédire les questions qui seraient posées à l’examen grâce à l’intelligence artificielle. Le ministère de l’Éducation a dénoncé ces pratiques comme « dangereuses et mensongères ».

Alors que le Gaokao célèbre cette année les 10 ans depuis le début de la réforme lancée en septembre 2014, un bilan s’impose.  

Pour mémoire, la réforme a aboli les filières historiques (« sciences humaines » ou « scientifique ») et instauré un système plus flexible dit « 3+1+2 » : trois matières obligatoires (chinois, mathématiques, anglais), une matière dominante (physique ou histoire) et deux matières au choix (parmi géographie, chimie, biologie ou politique).

En théorie, cette réforme devait favoriser l’équité, encourager la diversité des talents et atténuer la pression académique. En pratique, elle a surtout contribué à revaloriser les disciplines scientifiques au détriment des sciences humaines. Une réorientation assumée par le gouvernement chinois qui n’a jamais caché ses ambitions en matière industrielle et technologique.

Le processus est le suivant : depuis 2021, les universités peuvent fixer leurs propres prérequis disciplinaires. Or, plus de la moitié des filières exigent de la physique, réduisant drastiquement les débouchés pour les élèves ayant choisi l’histoire. Résultat : les lycées réaffectent leurs meilleurs professeurs vers les disciplines scientifiques, tandis que les classes de lettres se vident…

Ainsi, la plupart des élèves qui choisissent les humanités aujourd’hui le font non par choix, mais car ils sont en difficulté dans les matières scientifiques. L’effet pervers est une uniformisation des parcours scolaires dès le secondaire, à l’inverse des objectifs initiaux de la réforme.

Cette situation pousse les lycéens à faire des choix de carrière dès 15 ou 16 ans, avec peu de recul ou de conseils d’orientation. En conséquence, les élèves prennent des décisions pour leur avenir qui sont rarement fondées sur leurs véritables intérêts. Beaucoup s’engagent alors dans des filières « sûres » mais subies, alimentant le mal-être dans les études.

En outre, la réforme du cursus scolaire n’a rien changé au rythme des études qui reste, lui, dicté par l’obsession de la note finale. Dans la majorité des établissements, la dernière année de lycée est quasi exclusivement consacrée à des examens blancs. Certains lycées ont même supprimé des heures de travaux pratiques ou d’éducation physique pour maximiser le temps de bachotage. Dans ce contexte, les inégalités se creusent. Les familles les plus aisées continuent d’investir massivement dans le soutien scolaire privé, malgré le tour de vis imposé par l’Etat en 2021.

La solution pourrait passer par une refonte plus radicale. Une idée évoquée par certains chercheurs serait de séparer le Gaokao de l’admission universitaire, pour permettre aux établissements de sélectionner leurs élèves sur la base de critères multiples (activités extrascolaires, bénévolat, lettres de recommandation…). Cette éventualité a néanmoins été abandonnée après un scandale de corruption à la prestigieuse université Renmin…

Bien sûr, un autre moyen plus direct d’alléger la pression académique qui pèse sur les élèves consisterait à améliorer les perspectives d’emploi pour les jeunes diplômés, réduisant ainsi les enjeux du Gaokao lui-même. Mais alors que le taux de chômage des jeunes atteint des niveaux anormalement élevés (15,8% au mois d’avril), cette option s’éloigne doucement…

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