Diplomatie : Xi et Modi en quête d’un nouveau départ

Comment rebâtir la relation sino-indienne qui stagne depuis 30 ans, et y implanter la confiance entre ces deux pays géants d’Asie ? Telle était la question les 27 et 28 avril entre Xi Jinping et son homologue indien Narendra Modi, à Wuhan (Hubei) en sommet.

La solution trouvée a été inattendue et subtile : reconstruire ce rapport bilatéral, devait se faire par le jeu ! À coup de mailloches, Xi Jinping, au musée de Wuhan, donnait à Modi une leçon de « bianzhong », instrument à cloches de 2500 ans, puis le promenait sur les rives du lac de l’Est, ou l’emmenait pour une heure de bateau. Entre ces festivités, six entretiens se suivaient en 24 heures, chacun d’une heure au plus, dont les trois derniers le 28, en tête-à-tête. Il n’y avait ni ordre du jour, ni obligation de communiqué —la visite entière était « informelle ». De la sorte, ces politiciens, comme dans une escapade, pouvaient oublier la tension : un objectif inavoué était de se quitter sur une forme de cahier de charges des rapports futurs, code de conduite pour cicatriser les blessures et enterrer des siècles de méfiance due à la géographie. Ces deux peuples qui représentent ensemble 40% de la population mondiale (2,6 milliards d’âmes) sont séparés par 3400km de frontières montagneuses limitant les échanges à travers les siècles.

Modi, du Parti ultranationaliste BJP, déclarait le 27 avril que « durant 1600 ans, les économies d’Inde et de Chine avaient formé l’économie mondiale ». C’est sur ce principe qu’il souhaitait fonder l’alliance future, pour s’imposer en première puissance de la planète, dans la restauration de leur gloire passée—une motivation pas vraiment moderne ni ouverte, et reste à savoir si Xi Jinping pourrait la partager.

Cela dit, la liste des problèmes à régler restait lourde. New Delhi attend depuis de longues années de Pékin qu’elle lève son veto à son entrée au NSG, (Nuclear Suppliers Group), le club restreint des nations nucléaires  autorisées à faire commerce autour d’elles de leurs technologies atomiques. Un même veto chinois d’applique à sa demande d’entrée au Conseil de Sécurité de l’ONU comme membre permanent, niant ainsi à la seconde nation mondiale par la population, un rôle de puissance.

Sur le terrain, le tracé des frontières est une épine aux pieds des deux gouvernements, la Chine revendiquant l’Arunachal Pradesh indien sous le nom de Tibet-Sud, l’Inde réclamant 2000km plus loin le Sikkim sous administration chinoise. En vingt réunions à haut niveau depuis 2003, les deux pays n’ont pas avancé d’un pas.

L’Inde s’inquiète aussi de la poussée de la Chine, commerciale, diplomatique et militaire  vers Pakistan, Népal, Sri Lanka, Maldives et Népal. Elle craint le déploiement autour d’elle d’un « collier de perles » chinoises, qui lui coupe l’accès à son propre Océan Indien.

Et puis comme beaucoup d’autres nations exportatrices, l’Inde réclame un accès égalitaire sur le marché intérieur chinois, qui lui permette de redresser une balance commerciale déficitaire de 50 milliards de $.

La Chine de son côté, s’exaspère de voir l’Inde lui refuser la validation de son concept de « BRI » (Belt & Road Initiative) et de coopérer avec elle. New Delhi vient encore de dire non 48 heures avant le sommet, officiellement au nom du « Corridor pakistanais » à 50 milliards de $, traversant une partie du Cachemire revendiqué par l’Inde. On peut se demander si ce refus n’est pas aussi inspiré par tous ces investissements chinois dans ces jeunes nations maritimes comme le Sri Lanka ou le Bangladesh, son propre arrière-pays…

De plus, une autre force insidieuse a jusqu’à présent contribué efficacement à bloquer les tentatives de rapprochement : les extrêmes, militaires et ultranationalistes des deux bords, s’élèvent chaque fois pour faire échec au rapprochement, au nom de la défense de leurs privilèges. C’est ainsi qu’en 2014 à Ahmedabad, Xi Jinping et son hôte Modi avaient appris l’irruption de centaines de soldats chinois dans une zone frontalière, sabotant les chances de succès de cette visite. Cet incident s’était reproduit en 2017 en région du Doklam. Derrière ces incidents, se profilaient en filigrane des conflits internes aux pouvoirs respectifs…

D’ailleurs, le 27 avril, l’armée indienne apportait à la visite de Xi sa dernière douche froide, annonçant le long de la frontière l’érection de 96 casernes chauffées pour abriter chacune une centaine d’hommes par 4000 à 6000m d’altitude. Ce complément porterait à 274 le nombre de casernes indiennes dans la chaîne des Himalaya, et son annonce était contradictoire à cette visite d’ « amitié ».

A l’issue des dernières palabres, les deux chefs d’Etat convinrent de parer au plus pressé, et de mettre leurs troupes hors d’état de commettre des « dérapages ». Un système de « guidance stratégique », d’une manière ou d’une autre, serait imposé aux troupes se faisant face à face pour « maintenir la paix aux frontières » et « renforcer la communication stratégique » de part et d’autre.  Et quant au fond du problème, un tracé définitif de la frontière pour dégager une fois pour toute ce talon d’Achille, les deux pays sauraient trouver « la maturité et la sagesse pour dépasser les différends dans le contexte de la relation dans son ensemble ». 

Sur cette base, le sommet  s’achevait sur un succès :  conscient de l’honneur qui lui était fait par Xi en le recevant si loin de la capitale, Modi  exprimait sa gratitude pour le soin apporté à cette rencontre au style si atypique, et « espérait » le plaisir de recevoir à son tour le chef de l’Etat chinois en Inde en 2019 -juste avant ses élections présidentielle, ce qui lui apporterait une évidente manne électorale.

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1 Commentaire
  1. severy

    Bref, si l’on fait abstraction des coups bas, de l’occupation du Tibet par les armées chinoises, du rideau de défense indien dans l’Himalaya, des sourires à cran d’arrêt des dirigeants des deux pays, des missiles atomiques que chaque nation dirige vers son sympathique homologue, des tentatives d’encerclement stratégico-commercial de l’Inde par la Chine et d’autres initiatives secrètes dont personne ne parle, tout va bien entre les deux voisins.

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