Diplomatie : Chine-USA – Drôle de trêve

Magistralement calibré, ce discours du Président Xi Jinping lors du Forum de Boao (le « Davos » chinois), le 10 avril ! Donald Trump venait de le défier par une rafale de tweets, soutenus par une panoplie de menaces de sanctions commerciales —la Chine pouvant perdre 150 milliards de dollars de marché à l’export. La réponse de Xi était attendue par les capitales et les investisseurs, comme le marqueur n°1 du climat international des semaines à venir.
Or, face à un parterre d’hôtes industriels et politiques, un Xi tout sourire s’employa deux heures durant à calmer le jeu, multipliant positions de principe et promesses : « la porte chinoise s’ouvrira toujours plus », réitéra-t-il, « la Chine n’a nul désir de maltraiter ses voisins ». 

La plupart des observateurs relevaient dans cette profession de foi l’absence de détails, dates et chiffres,  voire de tout engagement réellement nouveau. Ce qui n’empêchait pas Trump de remercier « très sincèrement » Xi, tout en affichant sa confiance dans la capacité des deux parties à trouver à terme un modus vivendi.

On voyait même aux USA le lendemain, le media Conservative Tribune trompéter une « victoire  » aux accents cocardiers : Xi avait « lâché prise, cédant à Trump des concessions commerciales massives ». Le ton était si triomphaliste que Pékin le lendemain, se sentait obligé d’opposer un démenti.

Tout en restant soigneusement dans les généralités, Xi promettait à l’intention des firmes étrangères un bureau de protection de la propriété intellectuelle et une série de mesures d’amélioration du climat d’investissement, de l’accès au marché et de « l’environnement de travail » en Chine. La promesse la plus saillante visait les groupes mondiaux automobiles, promettant d’abaisser « significativement » leurs droits de douane et de déréguler l’obligation prévalente d’association en JV avec un groupe chinois, limitée à 50% pour le partenaire étranger.

Le 11 avril, Yi Gang, gouverneur de la Banque Centrale, compléta les pointillés du discours : à compter de juin, tous les constructeurs automobiles mondiaux pourraient porter à 51% leur participation dans leurs JV. Le train de mesures semblait à l’avantage du groupe Tesla d’Elon Musk, à l’avant-garde de la filière voitures électriques dont Pékin veut accélérer l’entrée dans les mœurs.

Surtout, les investisseurs étrangers pourraient détenir 51% de maisons de courtage, de marchés à terme et de fonds d’investissements, puis 100% dès 2021. La Chine semble ainsi prête à inviter la finance mondiale à investir directement dans des activités tels le leasing, le crédit automobile ou à la consommation. Ce faisant, elle lui ouvre une part de son marché financier, jusqu’alors chasse gardée des groupes locaux, surtout publics.

Yi Gang réfuta aussi la rumeur prêtant à son administration l’envie de dévaluer le yuan, afin d’estomper les effets des éventuelles taxes de Trump. Selon Yi Gang, la Chine n’y pense pas, car l’action risquerait de ranimer l’envie des financiers chinois de faire sortir leurs fonds du pays, rendant ainsi cette option une arme à double tranchant. Inutile de le dire, une dévaluation chinoise plongerait le pays dans une vraie guerre commerciale avec l’Amérique.

Dans ce climat incertain, Jack Ma, fondateur d’Alibaba eut des mots de chef d’Etat à Boao, en avertissant qu’une telle guerre le forcerait à renoncer à une promesse faite directement à Trump : celle de créer « un million d’emplois » aux Etats-Unis, voire même « 20 millions pour les deux pays ». Au contraire, s’exclama Ma, un conflit en « détruirait 20 millions de part et d’autre ». L’homme d’affaires se montra persuadé qu’au cours des 20 prochaines années, la Chine allait se mettre à consommer et à importer en grand, offrant ainsi de belles opportunités aux PME comme aux grands groupes américains de se renforcer, tandis que le gouvernement US verrait sa balance commerciale se rééquilibrer.

Dans ce conflit commercial, l’Union Européenne aussi est partie prenante : Bruxelles et la majorité des Etats membres de l’UE partagent l’impatience de Trump, quant aux pratiques commerciales inéquitables de la Chine et l’absence de réciprocité sur son propre sol de toutes les facilités dont jouissent les entreprises chinoises sur les marchés des pays occidentaux. Par contre, France et Allemagne en particulier, cherchent à détourner Trump des manœuvres va-t-en-guerre pour régler le conflit à travers les structures légales de l’OMC. A cet effet, Emmanuel Macron est attendu du 23 au 25 avril par Donald Trump en Virginie au Mount Vernon et à Washington—tandis qu’une visite d’Angela Merkel est en discussion. De l’avis général, les chances des Européens à faire plier Trump, sont faibles. Pour autant, de façon très claire, Xi Jinping comme Trump, tentent de rallier les Européens à leurs analyses et à leur solution préconisée.

On comprend pourquoi : l’Amérique du Nord et l’Europe ne sont pas les seules à ressentir l’effet de 20 ans d’expansion industrielle et commerciale chinoise « à la hussarde », ni à avoir perdu dans l’aventure des millions d’emplois, de filières exportatrices, de savoir-faire. Sur les cinq continents, bien des pays approuvent in petto la croisade de Trump pour forcer la Chine à un rééquilibrage des échanges, une réciprocité. Si l’Europe, France et Allemagne en tête, décident d’appuyer Trump, la Chine risquerait de se retrouver vite mondialement isolée, ce qu’elle veut absolument éviter.

Entre Chine et Etats-Unis, pour l’instant, c’est le statu quo qui s’achèvera dans deux mois, à l’issue des « consultations » prévues par Washington. Alors, sonnera l’heure des choix—pour tout le monde.

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1 Commentaire
  1. severy

    Peut-être que depuis la politique d’ouverture de la Chine à l’Occident prônée par Deng Xiaoping, les profits réalisés par la RPC sont-ils à présent à considérer comme étant équivalents aux souffrances causées par l’insupportable perte de face subie lors de la sujétion de l’empire mandchou par les puissances étrangères au 19è et au 20è s. Les énormes avantages de la technologie occidentale alliée à la merveilleuse capacité chinoise d’utiliser les ressources de leur intelligence (comprendre leur aptitude à utiliser les techniques de pointe appliquées au renseignement) les feront bénéficier longtemps encore des progrès accomplis. Il serait temps qu’ils respectent l’idée traditionnelle de relations commerciales reposant sur le socle solide du donnant-donnant où, obéissant aux mêmes règles, tous les partenaires concourent à s’enrichir mutuellement.

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