Editorial : Roulis et tangage

Fin mars, le navire Chine traverse des eaux agitées comme plus depuis longtemps.
Le Président D. Trump poursuit sa logique protectionniste et isolationniste, en frappant (22 mars) la Chine de taxes sur « 1300 produits » et « 60 milliards de $ », pour « vol de propriété intellectuelle américaine ». Il lui intime de mettre « immédiatement » un terme à 100 milliards de $ de déficit dans les échanges bilatéraux. La guerre commerciale contre la Chine est donc lancée, d’autant que Trump venait d’exempter tous les autres pays des taxes « mondiales » qu’il voulait faire peser sur l’acier et l’aluminium d’importation. Et le fait pour Trump de persister à qualifier la Chine de « pays ami », ne changera rien au ton négatif actuel des relations. De ce bras de fer, le scénario était écrit de longue date, par 20 ans de stratégie chinoise pour combler son retard technologique face à l’Occident, en une combinaison de mesures incompatibles avec l’OMC – forcer les firmes étrangères à céder leurs brevets technologiques, fermer le marché intérieur à certains secteurs « stratégiques », subventions à fonds perdus aux industriels chinois… Quelques jours avant, Pékin tentait in extremis d’éteindre le feu en annonçant des ouvertures de marché « au-delà de toute imagination », et en discutant au sommet. Le 17 mars en personne, Xi Jinping et son n°2 Wang Qishan discutaient avec l’Ambassadeur américain T. Branstad. Puis Xi proposait à Angela Merkel par appel téléphonique, de négocier un recul des surcapacités « mondiales » en acier…  Suite à la frappe de la Maison Blanche, Pékin a fait une réponse « d’attente », combinant des contre-mesures limitées, et l’affirmation de sa capacité à se défendre. Mais les ondes de choc du séisme vont continuer longtemps à se faire sentir :  c’est toute la stabilité monétaire mondiale, et du monde des affaires qui est mise à l’épreuve.

Une autre vague sous le navire chinois, est celle du sort de Ye Jianming, patron du groupe d’affaires CEFC , disparu sans laisser de traces en février. Or à Shanghai le 19 mars, une mission tchèque venue s’enquérir de la situation de Ye (CEFC étant un gros investisseur en Tchéquie), s’est entendue dire que ce patron d’affaires n’était plus « actionnaire », ni PDG du groupe à la tête de 42 milliards de $ d’actifs. « En liberté », Ye assistait « volontairement » à une enquête. Ancien trader du Fujian, Ye avait vu ses ennuis débuter à New York en novembre 2017, où étaient arrêtés son associé Paul Ho (ex-haut cadre hongkongais) et un ex-ministre sénégalais, accusés de corruption de fonctionnaires au Tchad et en Ouganda. Côté Chine, sa mise à l’ombre suivait un préaccord de rachat par CEFC de 9 milliards de $ de parts du pétrolier russe Rosneft —une audacieuse prise d’un atout stratégique, qui pouvait ne pas être du goût de V. Poutine ou de Xi Jinping. Depuis, CEFC s’écroule. Ses branches tentent en vain d’emprunter pour honorer leurs dettes—et de faire croire qu’elles n’auraient (plus) « aucun lien » avec le financier en disgrâce… Des groupes rivaux se ruent sur sa dépouille : CEFC-Energie repris par Guosheng, bras financier de la mairie de Shanghai. CEFC-Hainan (l’ex-futur investisseur chez Rosneft) repris à 36% par Huarong, CEFC-Europe en cours de reprise à 49% par Citic… Après HNA, Anbang, Wanda et Tomorrow (de Xiao Jianhua), CEFC est donc le 5ème groupe privé à avoir maille à partir avec Pékin depuis 2017. Pour l’Etat, c’est un virage à 180 degrés, après les décennies sous Jiang Zemin et Hu Jintao qui entretenaient des liens étroits avec les capitalistes privés. Ce tournant explicite les besoins nouveaux du régime. Depuis 2016 en fait, Xi doit freiner l’économie nationale afin de la rendre durable—la renforcer avant de la redéployer hors frontières sous forme de « routes de la soie » (BRI). Il veut donc endiguer l’hémorragie de devises, et recentrer les moyens financiers vers une croissance utile et centripète. Xi veut aussi combattre la privatisation de l’économie, et préserver la préséance des consortia publics. Et enfin, accessoirement, il veut promouvoir le respect de la loi et d’un état de droit aux couleurs de la Chine.

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1 Commentaire
  1. severy

    Ne nous leurrons pas, ce que ce genre de leader veut, c’est imposer l’état de droit du plus fort.

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