Instructif, incisif, « Le monde selon Xi Jinping », reportage de 75 minutes d’ARTE, pose de bonnes questions sur l’actuel maître de la Chine. Sur fond d’images d’archives, nombre de politologues connus se succèdent pour décrire la jeunesse mouvementée du prince rouge durant la Révolution Culturelle et son cheminement idéologique. Une fois au pouvoir, ils racontent les outils forgés avec des aides de camp tel Wang Huning, et son programme de Rêve de Chine, pour évincer les USA au premier rang mondial d’ici 2049. Parmi ces projets comptent :
– le plan « Made in China 2025 », machine à déposséder les autres nations de leurs savoir-faire technologique ;
– le plan BRI (Belt & Road Initiative) de « nouvelles routes de la soie » hors frontières pour imposer des filières nationales et exporter les excédents ;
– le crédit social pour forcer à partir de 2020 tout citadin à régler son attitude selon les attentes du Parti.
La tonalité anxiogène de l’émission reflète les inquiétudes de la majorité des experts internationaux, explicitant l’entrisme de la Chine en chaque pays. Pourtant, ne sont pas évoquées les limites de ces nouveaux outils de gouvernance, audacieux certes, mais autoritaires, peut-être précipités, et davantage inspirés par le volontarisme et l’idéologie que par une rationalité économique et un désir de partage.
Par exemple, combien a coûté à Pékin la conquête, l’armement de 7 atolls en mer de Chine du Sud ? Sont-ils défendables ? Durables ? Que vont-ils rapporter en bon voisinage ?
Créer en Europe de l’Est un Sommet 16+1 qui donne de facto à Pékin une influence dans les votes internes de l’Union Européenne, est-il bien compatible avec une alliance et coopération sino-européenne ?
Le crédit social, surveillance universelle de la population par réseau de caméras et de données individuelles, sera-t-il supportable pour ces 1,4 milliard de citadins toujours plus éduqués et ayant besoin de toujours plus de libertés ?
Les projets BRI, aboutissant parfois à la confiscation de ports des pays pauvres et compromettant leur souveraineté, restera-t-il attractif à leurs yeux ?
Par sa vision alarmiste, le reportage d’ARTE laisse sur l’impression fallacieuse d’une puissance chinoise infinie, qui gagne à tout coup. Mais cette vision est contestable : dans l’histoire de l’humanité, aucun totalitarisme n’a gagné sur le reste de la Terre.
Aux XX. et XXI siècles, la Chine n’est d’ailleurs pas la première nation à revendiquer la succession des Etats-Unis au gouvernail du monde. En 1970-80, l’Europe semblait persuadée de l’avènement inéluctable de l’URSS. En 1990, le Japon affirmait sa capacité à prendre la direction des industries et du commerce planétaire. Or 40 ou 30 ans plus tard, tous ces fantasmes se sont évaporés. Simplement parce que ces puissances avaient des faiblesses internes, des incohérences dans leurs projets.
Face à la Chine, la sonnette d’alarme est tirée, dans les média occidentaux comme dans la guerre commerciale de D. Trump. C’est un premier pas vers la prise de conscience. Mais un second pas est nécessaire : celui d’analyser objectivement les chances de réussite de l’offensive chinoise, et de préparer la réponse–coopération aux projets gagnant-gagnant, refus de ceux qui ne servent que la cause de la Chine. Peut-être alors seulement apparaîtra la question essentielle, aujourd’hui occultée : à quoi servent ces outils tous neufs de Xi Jinping, apparus tous ensemble et en même temps ? À assurer la conquête du monde par la Chine, ou bien la survie du Parti ?
2 Commentaires
severy
6 janvier 2019 à 14:51Enfin, on pose les vraies questions mais il est quasiment trop tard.
Istana Hutan
9 janvier 2019 à 23:02S’ajoute aussi comme faiblesse le problème de natalité chinoise, en baisse record pour 2018. Le crédit social permettra-t-il une incitation suffisante ? Vont-ils combiner Orwell à Huxley pour faire bourgeonner des bébé éprouvette OGM ? Le chrono tourne, et l’inversion de la pyramide démographique est déjà en cours.