Le Vent de la Chine Numéro 1 (2019)

du 7 au 13 janvier 2019

Editorial : L’héritage de Xi Jinping

Instructif, incisif, « Le monde selon Xi Jinping », reportage de 75 minutes d’ARTE, pose de bonnes questions sur l’actuel maître de la Chine. Sur fond d’images d’archives, nombre de politologues connus se succèdent pour décrire la jeunesse mouvementée du prince rouge durant la Révolution Culturelle et son cheminement idéologique. Une fois au pouvoir, ils racontent les outils forgés avec des aides de camp tel Wang Huning, et son programme de Rêve de Chine, pour évincer les USA au premier rang mondial d’ici 2049. Parmi ces projets comptent : 

– le plan « Made in China 2025 », machine à déposséder les autres nations de leurs savoir-faire technologique ;

– le plan BRI (Belt & Road Initiative) de « nouvelles routes de la soie » hors frontières pour imposer des filières nationales et exporter les excédents ;

– le crédit social pour forcer à partir  de 2020 tout citadin à régler son attitude selon les attentes du Parti.

La tonalité anxiogène de l’émission reflète les inquiétudes de la majorité des experts internationaux, explicitant l’entrisme de la Chine en chaque pays. Pourtant, ne sont pas évoquées les limites de ces nouveaux outils de gouvernance, audacieux certes, mais autoritaires, peut-être précipités, et davantage inspirés par le volontarisme et l’idéologie que par une rationalité économique et un désir de partage. 

Par exemple, combien a coûté à Pékin la conquête, l’armement de 7 atolls en mer de Chine du Sud ? Sont-ils défendables ? Durables ? Que vont-ils rapporter en bon voisinage ? 

Créer en Europe de l’Est un Sommet 16+1 qui donne de facto à Pékin une influence dans les votes internes de l’Union Européenne, est-il bien compatible avec une alliance et coopération sino-européenne ? 

Le crédit social, surveillance universelle de la population par réseau de caméras et de données individuelles, sera-t-il supportable pour ces 1,4 milliard de citadins toujours plus éduqués et ayant besoin de toujours plus de libertés ?

Les projets BRI, aboutissant parfois à la confiscation de ports des pays pauvres et compromettant leur souveraineté, restera-t-il attractif à leurs yeux ?

Par sa vision alarmiste, le reportage d’ARTE laisse sur l’impression fallacieuse d’une puissance chinoise infinie, qui gagne à tout coup. Mais cette vision est contestable : dans l’histoire de l’humanité, aucun totalitarisme n’a gagné sur le reste de la Terre. 

Aux XX. et XXI siècles, la Chine n’est d’ailleurs pas la première nation à revendiquer la succession des Etats-Unis au gouvernail du monde. En 1970-80, l’Europe semblait persuadée de l’avènement inéluctable de l’URSS. En 1990, le Japon affirmait sa capacité à prendre la direction des industries et du commerce planétaire. Or 40 ou 30 ans plus tard, tous ces fantasmes se sont évaporés. Simplement parce que ces puissances avaient des faiblesses internes, des incohérences dans leurs projets. 

Face à la Chine, la sonnette d’alarme est tirée, dans les média occidentaux comme dans la guerre commerciale de D. Trump. C’est un premier pas vers la prise de conscience. Mais un second pas est nécessaire : celui d’analyser objectivement les chances de réussite de l’offensive chinoise, et de préparer la réponse–coopération aux projets gagnant-gagnant, refus de ceux qui ne servent que la cause de la Chine. Peut-être alors seulement apparaîtra la question essentielle, aujourd’hui occultée : à quoi servent ces outils tous neufs de Xi Jinping, apparus tous ensemble et en même temps ? À assurer la conquête du monde par la Chine, ou bien la survie du Parti ?


Monde de l'entreprise : La sortie de route d’Ofo
La sortie de route d’Ofo

Autant l’ascension d’Ofo, firme pékinoise de vélos en libre-service avait été fulgurante depuis sa fondation en 2015, autant 2018 a fini pour elle, sur une plaque de verglas.

A l’instar de Mobike le rival shanghaïen, Ofo a connu le succès en offrant ses bicyclettes jaunes, à prendre et à déposer n’importe où, à 1 ¥/h, prix imbattable. Un engouement qui lui a permis de récolter les données de ses millions de clients ainsi que le montant de leur caution pour utiliser le service (99¥ ou 199¥). Le concept attira 2,2 milliards de $ d’investissements d’Alibaba, de Didi Chuxing (monopole des VTC) et de Matrix Partners. En août 2017, selon China Daily, ce produit passait pour « l’une des 4 grandes inventions en Chine moderne » après le TGV, le paiement mobile et l’e-commerce.

S’ensuivit une bataille effrénée avec Mobike et des dizaines d’autres compagnies, à grands renforts de promotions. Mais les métropoles furent promptes à tirer la sonnette d’alarme : les usagers multipliaient les incivilités, dégradant ou volant les 2-roues, les laissant à vau-l’eau sur les trottoirs… Tout ajout de vélos fut donc banni, ce qui n’empêcha pas des dizaines d’entreprises de tomber en faillite fin 2017, dont le n°3 Bluegogo, repris par Didi Chuxing en janvier 2018. En avril, ce fut au tour de Mobike d’être racheté pour 3,4 milliards de $ par Meituan Dianping, spécialisé dans la livraison de repas. En mai, Didi Chuxing proposait à son tour de racheter Ofo, en grande difficulté de trésorerie. Mais le jeune cofondateur-PDG Dai Wei (27 ans) refusait l’offre, soucieux de rester le dernier acteur indépendant du secteur et jurant de « se battre jusqu’à la fin ». Cette déclaration donna libre cours à des rumeurs de licenciements massifs chez Ofo – jusqu’à 50% de certaines départements. Le groupe devait aussi tailler dans son ambitieux programme d’expansion à l’étranger, et se retirer tout ou partie de certaines villes en Australie, en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Inde.

Le 1er juillet 2018 à l’occasion du 97e anniversaire du Parti, Ofo tentait une opération séduction (et une diversification de ses activités) en ajoutant une plateforme d’information nommée « Kankan », à son application. Un « cadeau » imaginé par Dai Wei, également Secrétaire du Parti chez Ofo. Mais le succès fut mitigé : nombre d’utilisateurs désinstallèrent l’application par manque d’intérêt pour ces nouvelles reprises des media officiels. Les commentateurs qualifièrent cette tentative de « désespérée » pour faire oublier la santé précaire d’Ofo. Et cela n’a pas encouragé l’Etat à le soutenir…

En août 2018, les négociations de la dernière chance reprirent entre Ofo et Didi Chuxing, sans succès. Puis les choses se précipitèrent. Début septembre, Ofo était harcelé par ses fournisseurs, BEST (Hangzhou), Kerry (Shanghai) et Deppon Logistics (Canton), Flying Pigeon (Tianjin), Phoenix Bicycles (Shanghai), pour des impayés en dizaines de millions de $. Le 4 décembre, suite à la plainte d’un autre fournisseur, Huodi (Hangzhou), un tribunal pékinois plaçait Dai Wei sur liste noire, lui interdisant de quitter le pays, de prendre des vacances, d’acheter ou louer propriétés et automobiles, d’être membre d’un club de golf ou d’acquérir des billets de TGV ou d’avion – un avant-goût du système de crédit social qui arrachait le jeune entrepreneur à l’univers des gens solvables.

L’accumulation des plaintes, l’arrivée de l’hiver (période néfaste pour le vélo partagé, frimas oblige) et le délabrement accéléré du parc Ofo faute de renouvellement du matériel,  poussèrent les usagers à réclamer la restitution de leur caution. Mi-décembre, ils étaient des centaines devant le siège de Ofo à Pékin, et 12 millions en ligne, réclamant un montant global de 1,2 milliard de ¥ (175 millions de $)—qu’Ofo ne pouvait débourser. En même temps à Paris, le service Ofo était suspendu pour cause d’ « affaires à régler en Chine, avant de décider de son avenir à l’international », selon un porte-parole.

Pour calmer les esprits, le 21 décembre, le ministère chinois des Transports appela Ofo à « optimiser sa procédure de remboursement », et le public à « plus de patience, pour permettre à l’innovation de prospérer ». L’Etat prenait alors tardivement parti, sortant de la passivité qu’il maintenait en 2017 durant la guerre commerciale avec Mobike, alors que la surenchère de primes aux utilisateurs n’était en aucun cas prometteuse de rentabilité future.

Un mystère entoure cette affaire : pourquoi Ofo, à deux reprises, a-t-il décliné l’offre de reprise de Didi ? Colportée par la rumeur, une réponse évoque un désaccord sur le prix. Pony Ma, PDG de Tencent, évoque pour sa part un problème de gouvernance : toute décision majeure étant passible du veto de chacun des membres du Conseil d’administration, des fondateurs comme des investisseurs.

Ofo passera-t-il l’hiver ? L’hypothèse d’une troisième ronde de palabres avec Didi Chuxing paraît peu probable, le groupe ayant perdu en valeur et en crédibilité. En cas de faillite, le marché restera aux mains de Mobike, et du challenger Hellobike, soutenu par Ant Financial, filiale d’Alibaba.

La mauvaise passe d’Ofo tourne le projecteur sur une dernière question, celle de l’indépendance des start-ups, de plus en plus dominées par une poignée de mastodontes privés. Selon le bureau d’analyse ITjuzi, des 124 « licornes » du pays (groupes privés au capital de plus d’1 milliard de $), la moitié d’entre elles serait contrôlée ou tenue à bras le corps par les BAT (Baidu, Alibaba, Tencent).

À un moment, l’Etat devra clarifier sa position : soit il continue de permettre aux BAT de s’étendre en tous domaines (IA, santé, jeux, éducation, crédit social), soit il en reprend le contrôle, une volonté évoqué depuis deux ans déjà—signe d’une inquiétude grandissante.


Société : Du nouveau pour 2019

Comme en chaque début d’année, l’heure est au renouveau. Au 1er janvier s’applique une nouvelle loi sur la taxation. Tout étranger résidant en Chine plus de 183 jours par an, doit déclarer ses revenus mondiaux, mais en sera exempté en quittant le territoire plus de 30 jours consécutifs tous les six ans (au lieu de cinq précédemment).
Les données conjoncturelles peu rassurantes de décembre ont fini par convaincre les dirigeants de faire ce qu’ils se refusaient jusqu’alors – relâcher le crédit : d’ici fin janvier, la Banque de Chine aura baissé d’un point, à 12,5% les réserves obligatoires des banques, libérant 210 milliards de $ (équivalent), pour des prêts vertueusement destinés aux PME.
La nouvelle loi du e-commerce au 1er Janvier couvrira un large spectre : l’enregistrement des trois types d’acteurs (les plateformes telles Alibaba, JD.com ou Pingduoduo, les vendeurs, et les indépendants opérant sur leur propre site web, WeChat ou Douyin), mais aussi leur taxation, la contrefaçon et la publicité mensongère. Les plateformes devront bloquer tout produit piraté : en cas de défaut, elles seront punies, avec le vendeur. Le grand bénéficiaire de cette loi sera le consommateur, mieux protégé lors de ses achats, ainsi que pour ses données privées. Les perdants seront le million de daigou, acheteurs qui revendent des produits achetés à l’étranger à prix avantageux grâce à la détaxe, pour un business estimé par Bain en 2015 à 6,3 milliards de $. Devant désormais s’enregistrer, cela en dissuadera plus d’un ! Sous réserve bien sûr d’une application stricte de la loi, et de nouveaux moyens accordés aux douaniers.
Côté investissements étrangers, un projet de loi sortait fin décembre : « les transferts de technologies ne doivent pas être forcés par l’administration, et la coopération technologique doit se faire sur base volontaire ». En effet, les transferts forcés de technologies, escomptés par le plan « Made in China 2025 », sont un point de litige majeur dans la guerre commerciale avec les Etats-Unis. Pour éviter de mettre de l’huile sur le feu, Pékin ordonnait mi-décembre à ses gouvernements locaux de ne plus financer des projets en lien avec le plan « Made in China 2025 », tandis que sa mention dans les media officiels se faisait rare ces derniers mois. Ces petits pas suffiront-ils à satisfaire les négociateurs américains, qui doivent retrouver leurs homologues chinois les 7-8 janvier ? Steve Dickinson, avocat américain, en doute : « les transferts forcés ne sont pas basés sur les statuts légaux mais ancrés dans les pratiques d’affaires ».
Enfin, le 3 janvier, la Chine, annonçait l’alunissage de son rover Chang’e 4 sur la face cachée de la Lune – une étape de la découverte de l’espace à marquer d’une pierre blanche.


Routes de la soie : Les partenaires bronchent

Toujours plus de pays doutent des projets BRI en cours de réalisation par la Chine depuis 2013, qu’ils doivent commencer à rembourser. 
Au Pakistan, la Chine compte investir 62 milliards de $ en infrastructures dans le cadre du Corridor économique sino-pakistanais (CPEC), clef de voûte de l’initiative BRI. 22 projets ont déjà été réalisés ou sont en cours de construction pour une somme de 18,9 milliards de $, dont le port de Gwadar sur l’océan Indien. Mais il y a confusion sur le montant de la dette. La presse pakistanaise avançait le chiffre de 40 milliards de $, mais pour l’Etat, Islamabad ne devrait que 6 milliards à Pékin. Pour autant, face à l’Inde, pas question de laisser l’alliance se fissurer : pour renflouer une trésorerie pakistanaise précaire, Pékin lui concède encore 2 milliards de $ de liquidités. Ce conflit reflète des doutes sur le rapport « viabilité/prix » des projets, et pas seulement au Pakistan.
Fin décembre au Kenya, l’auditeur général Edward Ouko craignait de voir le port de Mombasa saisi pour dettes de la ligne ferrée Mombasa-Nairobi, construite pour 2,2 milliards de $. À l’unisson avec le Président Kenyatta, Pékin démentait. Mais ces craintes ne sont pas infondées : à 9,8 milliards de $, la dette chinoise du Kenya est la 3ème d’Afrique et fin 2017, le Sri Lanka s’était vu priver pour 99 ans du port d’Hambantota, pour défaut d’une dette de 8 milliards de $. Ainsi Pékin héritait d’un port sur une route maritime des plus fréquentées au monde.  
En Asie du Sud-Est aussi, la confiance recule. En Malaisie, le 1er ministre M. Mohamad, 93 ans, suspendait l’été dernier les travaux de la East Coast Rail Link (ECRL), ligne ferrée de la frontière thaïe jusqu’au détroit de Malacca (cf carte), à 19,3 milliards de $. Le 31 décembre, il se radoucissait : le projet ira à terme, « sous réserve d’accord chinois », moyennant une réduction des coûts, telle la prime au constructeur en cas d’achèvement avant la date limite. Toute l’affaire a débuté au retour de Mohamad, réélu en mai par un électorat soucieux de voir la fin des énormes bakchichs de corruption. Dans divers pays receveurs de projets BRI, ce scénario est l’élément récurrent, déclencheur des renégociations.
En Russie-même, le projet de TGV Moscou-Kazan, 700km pour 25 milliards de $, a du plomb dans l’aile. A. Siluanov, ministre des Finances exprime un diplomatique scepticisme sur la faisabilité du projet, alléguant l’existence de liaisons aériennes et d’un tissu urbain défavorable, à travers une Sibérie dépeuplée. L’argument peut avoir une composante politique inavouée : Moscou ne veut pas s’endetter envers Pékin. De mauvaise augure pour le projet complet, Pékin-Moscou en 7000 kilomètres et « 48h ». Par Liu Zhifan


Politique : Mao et Marx – L’ombres des pères

Le 26 décembre 2018 marquait le 125ème anniversaire de naissance de Mao Zedong. Le bicentenaire de Karl Marx avait eu lieu le 5 mai 2018. Curieusement, c’est ce dernier que le régime va honorer indirectement, en faisant sortir « bientôt » sur Bilibili, site de streaming, un dessin animé mettant en scène son influence sur le socialisme aux couleurs de la Chine, et son histoire personnelle, sa vie avec son épouse Jenny von Westphalen, son amitié avec Friedrich Engels.

Marx est ces derniers temps le penseur de référence au sein du Parti. En mars 2018, évoquant le Capital (son œuvre maîtresse), Xi Jinping soulignait son importance : lire Marx devait être un « mode de vie », et ses théories devaient rester « d’actualité » en leur travail au service du peuple. Dès 2015, Xi recommandait aux universités l’étude du père fondateur du socialisme. Au sein de plusieurs d’entre elles, des « sociétés d’études » s’étaient créées. Mais à l’été 2018, elles ont commencé à subir la défaveur du parti unique, plusieurs étudiants-membres se retrouvant arrêtés à Pékin, suite à leurs efforts pour soutenir la création d’un syndicat autonome à Shenzhen, une insolence impardonnable. Le 26 décembre, le leader de la société marxiste de l’Université de Pékin, Qiu Zhanxuan était arrêté sur le campus, pour avoir tenté de commémorer publiquement, malgré interdiction, les 125 ans de Mao, père fondateur de la RPC. L’anniversaire fut d’ailleurs peu repris par la presse, dévoilant la relation ambiguë entre Pékin et l’héritage du Grand Timonier.

Davantage commerciale, mais à coloration décidément politique, une autre initiative se prépare à Yan’an (Shaanxi), sanctuaire de la révolution : un parc à thème sur le communisme, par le groupe Wanda, à l’initiative de son PDG Wang Jianlin, ex-officier de l’APL. Le parc d’attractions devrait ouvrir avant juillet 2021, date du centenaire du Parti Communiste chinois. L’objectif est transparent : permettre à Wanda de rentrer en grâce aux yeux des autorités qui le pointent du doigt, et l’interdisent d’emprunts depuis 2017. Ce même sort étant subi par tous les milliardaires, accusés d’investissements excessifs à l’étranger, de fuite des capitaux, compromettant la stabilité économique du pays.

Par Liu Zhifan


Taiwan : Taiwan sent la poudre

« Nous ne promettons pas de renoncer au recours à la force » : c’est sans mâcher ses mots que le 2 janvier, Xi Jinping a averti Taiwan d’accélérer le retour à la mère patrie—c’était à l’occasion de l’anniversaire du « Message aux compatriotes taïwanais » prônant la fin des hostilités militaires en 1979. Faussement conciliant, Xi voulait bien « tout mettre sur la table » avec les insulaires séparatistes, à condition qu’ils acceptent le postulat préalable d’une Chine unique. Il ne fallut que quelques heures à Tsai Ing-wen la Présidente de l’île, pour balayer le semi-ultimatum. Tsai refusait à nouveau le principe de réunification exigé par Pékin, « un pays, deux systèmes », déjà appliqué à Hong Kong.
Indépendant de facto depuis 1945, Taiwan fut considérée par Mao et ses successeurs comme une province rebelle. À ses débuts, la Chine tenta de la reprendre par les armes—mais depuis 1953, les canons se sont tus. Aussi, le ton menaçant de Xi constitue une escalade sur le langage tenu depuis 15 ans.

Pourquoi cette obsession au rattachement, alors que la Chine vit depuis 70 ans en paix avec Taiwan, sans sembler souffrir de sa liberté ?
Historiquement, Taiwan n’a été chinoise que par intermittence, et ne l’est plus depuis 130 ans. Mise à part sa langue chinoise, son appartenance à la Chine n’est pas démontrée. Mais elle représente un symbole : la conquête donnerait au régime, aux yeux du peuple, un brevet de patriotisme !

La menace militaire doit être prise au sérieux, du fait de l’effort chinois pour bâtir une armada capable de prendre une île armée jusqu’aux dents, à 140 km de ses côtes. La flotte de l’APL compte deux porte-avions (dont le second toujours en essais), nombre de croiseurs, destroyers, frégates, porte hélicoptères, sous-marins (nucléaires ou conventionnels). En 4 ans, l’armée chinoise s’est enrichie de l’équivalent d’une flotte militaire française. Son objectif officiel cette année est de « se préparer à une guerre ». En 2018, les forces taïwanaises estimaient que Pékin pourrait « dès 2020 » les vaincre. Mais cela est sans compter la présence des Etats-Unis, avec leur 6ème flotte d’Okinawa, contre laquelle l’APL ne fait pas encore le poids. Depuis Washington, Trump renouvelle une loi de défense de l’Asie, qui vient renforcer l’engagement constitutionnel américain de soutien à Taiwan.

Dans ces conditions, la menace de Xi, à ce stade, ne peut guère s’apparenter à plus qu’à une tentative de trouver la faille. En mars 2018, Xi s’est doté d’un autre atout pour réaliser sa promesse d’être l’homme qui reprendra Taiwan : en obtenant du Parlement, par réforme constitutionnelle, son maintien à la tête de l’Etat au-delà de deux quinquennats.
Enfin, une sortie honorable du bras de fer pourrait par exemple être la promesse à Taiwan d’un siècle d’indépendance totale, en échange de son passage sous le drapeau écarlate.


Petit Peuple : Mianyang (Sichuan)—La liberté d’une trop belle fille (1ère Partie)

Quand naquit Jingjing à Mianyang (Sichuan) en mai 1999, ses parents essuyèrent une larme d’émotion, constatant la beauté de leur fille. De sa mère, elle héritait des joues et des pommettes fraîches. De son père, elle gardait ses lèvres fines qui semblaient sourire, et des yeux noirs de jais, non bridés, écarquillés. Le nom qu’ils lui donnèrent, Jingjing (« beauté de jade ») s’accordait à celui de famille, Qingchen (« pureté de l’aube »), et résumait l’admiration sans borne des parents.

Quelques années après, Jingjing commença à montrer des propensions à l’orgueil, ce qui était la rançon de l’adulation qui l’entourait en permanence : parents et proches rivalisaient pour satisfaire ses moindres désirs. Les rares fois où sa mère tentait de lui refuser des bonbons, un tour de manège, ou l’achat d’un vélo pour son anniversaire, elle allait voir son père, enjôleuse et câline, et obtenait ce qu’elle voulait à force d’insistance.

En 2004, à l’âge de cinq ans, quand le couple se sépara, sur fond de disputes – père et mère s’assimilant toujours plus à leurs clans et donc rejetant toujours plus les différences de l’autre. À même époque, les infidélités répétées du père n’arrangèrent rien. Restée chez sa maman, Jingjing n’avait désormais plus personne pour savoir lui dire « non », ni dans la famille, ni dans le petit monde de son enfance.

A l’école, au lieu d’écouter le maître, elle passait son temps à rêvasser, et plus tard, à sourire aux garçons. De toute la classe, elle était celle qui en faisait le moins à la maison. Après l’école, elle préférait passer son temps dehors à la tête d’une petite bande de copines, à jouer ou se promener dans la rue, des heures durant. Sa mère, au travail du matin au soir dans une mercerie lointaine, la croyait à ses devoirs.

Curieusement, ces frasques quotidiennes ne l’empêchaient pas de s’en tirer aux tests chaque semestre, atteignant de justesse la note pour passer dans la classe supérieure. Ce petit miracle était facilité par les amis dont elle était la star, qui passaient leur temps à lui passer les cours mal copiés par elle, à lui expliquer les formules mal comprises, à lui fournir en catimini les réponses. Même les professeurs ne rechignaient pas à l’aider après la classe en lui donnant des cours particuliers. Ainsi, la jeune fille parvint à gravir sans encombres les étapes. Si son bagage scolaire était faible, son apparence était irréprochable—et par chance du ciel, tout lui allait à ravir : elle était une gravure de mode sans effort.

A 15 ans, un élève de terminale tomba amoureux d’elle, confirmant son pouvoir d’attraction sans borne. Et le duo fut l’objet de toutes les rumeurs du lycée pendant des mois…

A 17 ans, après les cours, Jingjing s’amusa avec trois filles de sa bande, à s’habiller ultracourt. Elles s’amusaient de l’émoi des passants, qui ne savait plus où poser le regard…

Au moment du Gaokao, vint l’heure des comptes : avec toutes les mesures sécuritaires et les examinateurs venus de l’extérieur, impossible de tricher ! Faute d’avoir bien appris et bien révisé, Jingjing ne put faire mieux qu’un score médiocre, ne lui ouvrant pas même les portes d’universités de dernière catégorie…

Fille pleine de ressources, elle obtint par l’entremise d’un de ses contacts une place miraculeuse, comme secrétaire de direction dans un consortium public de l’électronique coté en bourse. Son patron, qui avait assisté à l’embauche, y était chef de division. C’était un poste inespéré pour elle, et qui normalement aurait dû revenir à une diplômée d’études supérieures. Elle pouvait y faire une carrière douce et confortable, plutôt bien payée.

Aux débuts, le chef paternaliste et toujours souriant fermait les yeux sur ses fautes d’orthographe, ses oublis de rendez-vous ou de réservation de restaurant ou d’avion. Malheureusement pour elle, l’homme ne l’avait engagée sans une idée derrière la tête. Lui aussi intéressé par sa beauté, il voulait en faire un peu plus qu’une secrétaire modèle.

Or, tel était son secret, quoiqu’ayant déjà fait les quatre cent coups dans son adolescence, notre héroïne s’était interdit de faire le pas qui ferait d’elle une femme. Par sa volonté, ses amours s’étaient invariablement cantonnées à la phase platonique. Question de principe, elle ne se donnerait qu’à un homme qu’elle aimerait, et qu’à un seul, ainsi avait-elle décidé. Pas question donc de se livrer à quiconque par intérêt, fut-ce pour une promotion. Elle le savait bien, ces audaces et la liberté qu’elle émanait, étaient dangereuses : elle devait conserver une attitude impeccable, pour « garder sa réputation, seule contre tous » (独善其身, dú shàn qí shēn ) ! Aussi, au premier geste déplacé du patron, elle se cabra et le remit en place. Et au bout de quelques semaines d’insuccès, il la congédia sèchement.

Après un tel échec dans une compagnie publique convoitée, dans une ville où tout le monde se connaissait, retrouver une telle place serait difficile. Elle découvrait soudain le prix à payer pour préserver sa liberté et sa réputation. Mais pour autant, elle n’était pas prête à renoncer au pouvoir qu’elle exerçait sur les autres, depuis sa naissance…

Qu’allait-elle donc faire à présent ? Vous le saurez la semaine prochaine !


Rendez-vous : Semaines du 7 au 20 janvier 2019
Semaines du 7 au 20 janvier 2019

9-11 janvier, Shanghai : China Wedding, Salon du mariage

16-19 janvier, Pékin : ALPITECH, Salon international des technologies de la montagne et des sports d’hiver

16-19 janvier, Pékin : ISPO, Salon professionnel international des sports, de la mode et des marques de vêtements à Pékin


Vent de la Chine : Meilleurs vœux pour 2019
Meilleurs vœux pour 2019

Chère lectrice et cher lecteur,

Le Vent de la Chine fête ses 22 ans, et cela a forcément quelque chose d’émouvant. Avec notre équipe nous nous efforçons chaque semaine de décrypter au mieux le mystère chinois, disperser le brouillard de l’information et du quotidien de l’Empire du Milieu, qui est aussi (pour paraphraser Roland Barthes) un empire des sens – des sens cachés…

Durant ce presque quart de siècle, vous, lecteurs, avez changé – vous êtes partis, certains sont revenus, mais toujours, vous nous avez préservé votre précieuse fidélité.

Au Vent de la Chine, nous avons changé aussi, notamment sur le plan technologique, passant du fax à l’internet, puis aux applications mobiles (Android, iOS…). Pour évoluer avec notre temps et rendre la lecture du Vent de la Chine plus interactive, nous comptons basculer prochainement vers une version exclusivement en ligne, sans format PDF téléchargeable. Une décision également prise au regard de nos droits d’auteur et pour des raisons sécuritaires, dans un environnement qui se durcit.

Encore une fois, nous vous remercions de votre soutien au Vent de la Chine, média indépendant et sans publicité.

Nos meilleurs vœux de succès pour 2019 !

L’équipe du Vent de la Chine