Diplomatie : 2024 : vent de déconsolidation démocratique

2024 : vent de déconsolidation démocratique

L’histoire a-t-elle un sens ? Faut-il à tout prix chercher à expliquer une multiplicité d’événements chaotiques et hétérogènes ? La volonté de trouver un sens à une vie courte et passagère, est humaine, très humaine, trop humaine peut-être… Les théories du complot n’ont pas d’autres origines que ce besoin de faire sens malgré tout, au prix de l’erreur, du délire, de la paranoïa, ou de la mauvaise foi. Les différentes visions philosophiques et religieuses, telles que celles de Leibniz, Hegel ou Fukuyama, cherchant à expliquer l’imperfection du monde et de l’humanité, ont souvent été contredites par la réalité historique, montrant que l’histoire ne suit pas nécessairement un progrès linéaire ou une fin prédéfinie. L’année 2024 n’a fait que confirmer cela…

En effet, l’année 2024 était celle d’élections cruciales dans un grand nombre de pays : Taïwan, Inde, Etats-Unis, entre autres. Elle est devenue celle d’une crise démocratique sans précédent. On a l’impression que le mouvement de consolidation démocratique, espéré dans les années 1990, a cédé la place à une déconsolidation généralisée.

A Taïwan, la victoire du DPP à la présidentielle mais sa défaite à l’Assemblée a entraîné une crise sourde pour des raisons assez similaires à ce qui se passe un peu partout aujourd’hui : à savoir une opposition parlementaire qui pense son mandat électoral comme un travail de sape constant de l’exécutif, entraînant un blocage des institutions.

En Inde, la victoire de Modi sans majorité au Parlement est un bien pour un mal, étant donné que l’opposition en Inde incarne une forme de sécularisation du politique qui semble remise en cause par la volonté de « safranisation » du pays, d’une hindouisation uniforme d’un sous-continent pourtant protéiforme dans ses langues et ses croyances.

Cela dénote un retour de ce que Spinoza appelait le théologico-politique qui semble avancer, à mesure que la démocratie recule et dont témoignent à la fois la bénédiction orthodoxe de l’invasion russe de l’Ukraine, la guerre par proxy (Hamas, Hezbollah) entre l’Iran des mollahs et une République israélienne gangrénée par les extrémismes religieux (Kach, Mafdal, Shas), le soutien des évangélistes américains à Trump et le retour de l’idée messianique d’une Manifest Destiny des Etats-Unis qui « se doivent » de dominer le monde (du moins la partie du monde qui n’a pas la force de s’opposer à eux).

En effet, la victoire de Trump aux élections de novembre 2024, si elle a eu pour mérite d’être sans partage et donc d’empêcher une guerre civile, va avoir et a déjà pour défaut de fragiliser à l’extrême tout le camp démocratique occidental. Traitant ses alliés comme des vassaux (Canada, Europe) et ses ennemis (Russie et Chine) comme les seuls partenaires dignes de discussion et de transactions d’égal à égal, les Etats-Unis du duo Donald Trump/Elon Musk semblent vouloir consacrer la géopolitique de la loi du plus fort. Que le plus fort doive dominer le plus faible résonne complètement avec la vision du monde de Vladimir Poutine et surtout celle de Xi Jinping.

Fragilité démocratique aussi dans les pays sans élections nationales prévues où pourtant l’on a vu des gouvernements tomber. Ainsi, la Corée du Sud est en crise, seul pays au monde capable de rivaliser en termes de pop culture face au show américain, dont le soft-power rivalise avec le hard-power d’une industrie de défense en plein essor et d’une technologie de pointe. A vrai dire, cette crise est récurrente : pas un seul président coréen depuis 50 ans n’a réussi à finir son mandat de façon honorable, sans se suicider, être condamné pour corruption ou malversation, être destitué et/ou finir en prison… Avec sa loi martiale imprudente, aberrante, avortée et vilipendée, l’ancien président Yoon confirme la fatalité.

Si dans leur grande majorité, les commentateurs ont vu dans la réaction du Parlement et de la population une preuve de la résilience du pays, c’est plutôt sa fragilité démocratique qui se manifeste dans cet épisode et ses suites pour le moins chaotiques. D’autant que le leader de l’opposition poursuivi pour plusieurs affaires de fraude persiste sur sa ligne d’un rapprochement nécessaire avec la Chine et la Corée du Nord. Cela alors même que le régime de Kim Jong-un a pris en 2024 le parti de rompre toute attache administrative avec Séoul et surtout s’est engagé militairement avec la Russie en envoyant ses soldats servir de chair à canon sur le front ukrainien.

Dans ce contexte, particulièrement préoccupante est la montée en gamme et en fréquence des exercices militaires chinois autour du détroit de Taïwan : en mai, « Joint Sword 2024A » en réponse à l’investiture présidentielle de Lai Ching-te ; en octobre, « Joint Sword 2024B » en réponse à la fête nationale de Taïwan ; en décembre, en réponse à la visite de Lai en territoire américain à Hawaï et à Guam lors d’un exercice de blocage et projection s’étendant de Shanghai à Guangdong.

C’est qu’en effet, si les Etats-Unis se donnent le droit de prendre le Groënland par la force pour étendre leur accès à l’Arctique, situé dans la sphère d’influence directe de la Russie (et donc de la Chine, par liens « d’amitié sans limite » unissant les deux pays depuis la guerre contre l’Ukraine de 2022), qu’est-ce qui pourrait encore empêcher la Chine de faire de même avec Taïwan, les îles Senkaku ou Diaoyutai et les îles Spratleys pour assurer sa domination sur tout le Pacifique ?

Par Jean-Yves Heurtebise

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
5/5
1 de Votes
Ecrire un commentaire