Petit Peuple : Lianhu (Shaanxi) – la fausse princesse

Cette histoire chinoise reproduit l’arnaque immortalisée par F. Fellini dans l’iconique film « Il bidone » de 1955. La fraude qui vient de faire l’objet d’un procès à Lianhu (Shaanxi) reprend les mêmes ingrédients : une promesse d’enrichissement facile qui, quoique fallacieuse, est gobée par une multitude de gogos.

De février 2013 à juillet 2014, une certaine Changping, soi-disante princesse Aisin Gioro, offrit à travers la Chine la chance de « fortune immédiate ». « Descendante de 4ème génération de l’empereur Daoguang » (nièce lointaine du dernier empereur Pu Yi), elle était l’héritière unique des 25 milliards de $ amassés par les empereurs Qing, saisis mais non confisqués par l’Etat. Il suffisait de les récupérer, simple comme bonjour !

Cette petite femme d’aspect faussement inoffensif n’était—les pigeons l’apprirent, mais un peu tard— ni princesse ni Changping, mais Wang Fengying, native de Lushi (Henan), fermière sans emploi ni autres qualités qu’une formidable capacité à embobiner et tenir en haleine son auditoire. 

Avec Yang Jiangling, 47 ans, son acolyte et probable amant – au chômage aussi – elle avait lancé son trafic pseudo-princier à Xi’an, ville natale de Yang. 

À des groupes d’épargnants soigneusement identifiés, elle faisait miroiter l’existence du magot que le régime était désormais prêt à rendre aux héritiers—à elle, donc. Mais avant de le « dégeler », il fallait ouvrir des portes, arrondir des angles, graisser des pattes de cadres corrompus. Les investisseurs étaient invités à financer le rapatriement du pactole : en 12 mois, promis, ils recevraient le triple en intérêts, sans compter leur mise de départ, bien sûr !

Au fil des mois, le scénario s’affina et le décor s’étoffa – essentiel à la crédibilité de l’embrouille. A son apogée, telle une star, Wang Fengying apparaissait devant un parterre de notables en des salles de bal d’hôtels 4 étoiles, nippée à la mode des dames du temps jadis : en robe longue de brocard chamarrée de breloques, en sandales hautes rehaussées d’or, portant un fier chignon fiché de verroterie. 

Comme preuve de l’existence de l’héritage Qing, elle exhibait des pyramides de lingots d’or aux formes les plus imaginatives, très antique, directement achetées via Alibaba sur internet ; des piles de liasses de billets verts de même incertaine origine. Cela ne ratait jamais : à mesure qu’elle parlait, s’allumaient les yeux des provinciaux. D’abord sceptiques ou goguenards, leurs regards chaviraient, se chargeaient d’envie, de rage de ne pouvoir déposer plus vite leurs sous aux pieds de la princesse. Yang, le factotum, réceptionnait les fonds avec un sérieux de croque mort, établissait les reçus, les visait d’un tampon écarlate de raison sociale exotique.

De la sorte en 18 mois, les associés ratissèrent 5,7 millions de yuans. Leur train de vie s’embellit : ils louèrent un bel appartement, déposèrent les arrhes pour l’achat d’un autre, s’offrirent une belle voiture… Mais « 月满则亏 » (yùe mǎn zé kūi), dit le proverbe, « après la pleine lune, le déclin ». 

Pour maintenir le flux d’argent qui commençait à se tarir, la fausse princesse avait dû en juin 2014 confier un lingot en collatéral d’un prêt. Or le quidam méfiant – n’en dormant plus la nuit depuis qu’il avait lâché ses 100.000¥ – avait été montrer l’or au mont de piété. 

Là, s’esclaffant, l’usurier, d’un coup de lime, lui avait montré que ce n’était que vulgaire plomb peint, et même pas à l’or fin. L’homme avait été rameuter d’autres pigeons pour une chasse à l’homme : en juillet 2015, la police de Xi’an sauva Wang et Yang des griffes de six grugés qui voulait les lyncher, puis les mit en cabane !

Le 7 septembre au tribunal de base de Lianhu (Shaanxi), le faux couple, faux nobles et faux mandchous, écopa de 13 et 12 ans et demi. Ils doivent aussi – vœu pieux du juge, vu qu’ils sont insolvables – rembourser les victimes et verser chacun à l’Etat un demi-million de yuans d’amende.  

Après son verdict, le juge émit cet avis intéressant : « ceux qui sont assez bêtes pour se laisser prendre au miroir aux alouettes, n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes » ! Tout ce qui brille n’est pas or, et nulle fortune n’a jamais été trouvée sous le pas d’un cheval.

L’avis est raisonnable, mais peut-être un peu bref. Il permet en effet au magistrat d’escamoter la question centrale en cette affaire : la raison de l’évidente sympathie du public pour l’époque de référence de tout ce scénario, à savoir l’ancien régime. 

À ce qu’il semble, cette sympathie pourrait renvoyer à la nostalgie (qui fleurit aussi en Occident) d’un monde révolu, peuplé de princes et têtes couronnées. 

Mais elle pourrait aussi dire la désillusion de la rue chinoise envers son époque, le matérialisme forgé par le régime, son absence de valeurs. Face à cette critique risquant d’émerger, on comprend la hâte du juge pour botter en touche, en accusant le Chinois moyen de naïveté, pour mieux absoudre l’Etat moderne de tout péché.

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