Petit Peuple : Sichuan – L’éternelle quête du fils (2ème Partie)

Pp Annonce YuanyingRésumé de la 1ère partie : 

En 1985, Wu Taizhang, Secrétaire du Parti à Jianyang (Sichuan) avait orienté sur une fausse piste Zhang Mingfa, en quête de son fils. Sous prétexte d’infraction à la règle d’un enfant parcouple, Wu avait fait confisquer le bébé à 6 mois, et l’avait fait placer dans une famille sans enfant. Zhang se présentait régulièrement à la mairie pour qu’on lui avoue la cachette de son fils. Pour s’en débarrasser, Wu avait fini par lâcher qu’il se trouvait dans le bourg de Jinyu, quoique en réalité, l’enfant se trouvât à Jia, 40 km plus loin. 

Pour ce gros mensonge, le Secrétaire avait ses raisons, liées aux mœurs de l’époque. Parmi ces nourrissons arrachés à leurs parents – à Jianyang, comme partout à travers le pays – tous ne partaient pas à des familles d’accueil, comme prétendaient les cadres. En grand secret, la plupart étaient vendus (de 450 à 1250$) aux orphelinats, qui les écoulaient en adoption vers l’Europe et l’Amérique, à prix jusqu’à 60 fois plus cher. Voilà pourquoi, avec tous ses complices, Wu avait fort intérêt à « shēn cáng ruò xū » (深藏若虚), « cacher son trésor, que nul ne le soupçonne » – sur son petit trafic, mieux valait ne laisser aucune trace… 

Mais face au destin, qui est têtu, les machinations des hommes s’avèrent bien futiles, même les plus diaboliques. Nul ne pouvait prévoir que l’affaire exploserait, de la volonté du fils volé, ou plutôt de l’indiscrétion de sa mère adoptive.
Etait-elle une bavarde congénitale, ou avait-elle besoin d’alléger sa conscience ? Toujours est-il qu’en 1989, alors que Yuanying (c’était le nom du petit) fêtait ses 4 ans, elle lui avait dévoilé les circonstances cruelles dans lesquelles il avait été arraché à ses parents biologiques, par le planning familial de Jianyang. 

Dès lors, le secret ne cessa de hanter le bambin. A l’âge où ses copains étaient chevaliers ou bandits d’honneur, Yuanying rêvait de retrouver ses vrais parents. Ado, il en fit le but de sa vie. Il étudia, devint représentant d’une société provinciale qui l’envoyait en mission par tout le pays. Mais jamais il n’oublia cette mission suprême et obsessive, retrouver ceux à qui il devait la vie. 

Sa première démarche, il la fit en mars 2014, faisant poser des centaines d’affichettes à travers Jianyang.
Bizarrement, dans sa tâche, il avait le soutien logistique des auteurs (indirects) de son kidnapping, 31 ans plus tôt : celui du bureau du planning. Vaguement honteux, les cadres s’étaient laissés convaincre de faire un geste. Leur générosité était facilitée par la marche du temps : le vrai coupable étant depuis belle lurette parti rejoindre ses ancêtres, il y avait prescription, c’était une autre époque.
Peu après l’émission des flyers, une famille s’était présentée enthousiaste, prétendant lui sauter dans les bras. « Mais non, Madame, avait objecté l’homme du planning, professionnel jusqu’au bout. D’abord la preuve par l’ADN, les retrouvailles ensuite ! » 

À l’hôpital de Chengdu, père et fils putatifs avaient fait un test sanguin –c’était Yuanying qui avait allongé les 7000 yuans de la note. Mais quand étaient tombés les résultats, sous 21 jours, ils déchantèrent : ni ADN commun, ni père, ni fils. Et quand la pauvre femme insista pour refaire le test, cette fois avec son sang et ses sous à elle, Yuanying n’avait pas eu le cœur à lui refuser ce second essai, quoiqu’il le sût inutile. Trois semaines plus tard, ils se séparèrent, les yeux humides… 

Au moins, se dit Yuanying, le bilan était bon, presque encourageant. L’action venait de prouver que même 31 ans après, les gens restaient mobilisés, n’ayant rien oublié. Et même au planning, on jouait franc jeu, au lieu de tenter de continuer à maquiller les traces de sa faute. 

Aussi trois mois plus tard, le jeune homme revint à la charge, passant tous les jours durant une semaine sur un plateau de la TV locale pour faire appel à témoignages. Une fois de plus, il fit chou blanc.
Puis en novembre, il repartit pour un autre round d’affiches (cf photo). 50.000 au total furent distribuées dans les commerces du district. Enfin, après 5 jours, ce fut « banco ». Le 28/11, un flyer en main, un voisin vint voir Zhang Mingfa et Zou, les vieux-vrais parents : « ce ne serait pas votre fils, c’taffaire là ? » 

Comme on se doute, les retrouvailles ne furent pas immédiates, Yuanying s’interdisant tout espoir inopiné. Sa démarche cette fois, avait dégelé des glaciers de témoignages, de faux espoirs émis par des centaines de parents qui trois décennies en arrière, s’étaient eux aussi fait voler leur enfant par l’Etat.
La plupart de ces pauvres gens, au premier appel en mars, n’avaient pas osé réagir. Mais à présent n’y tenant plus, ils sentaient l’appel leur vriller le cœur : « pourquoi pas moi ? », se disaient-ils. Voilà comment et pourquoi chaque jour, une semaine durant, le portable de Yuanying sonna 50 fois.
Avec trois couples espérant qu’il soit leur garçon sauvé des eaux, Yuanying se rendit à l’hôpital pour une série de tests ADN. 

Après les trois semaines fatidiques, le 16/12, les résultats tombèrent pile pour le couple de Zhang et de Zou, dont il était bien « la chair de leur chair » . Après trois décennies, les membres de cette famille vibraient enfin à l’unisson. Le fils et les parents voyaient leur destin accompli.

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