Politique : Anti-corruption et luttes de factions

Anti-corruption et luttes de factions

Depuis novembre 2012, la campagne anti-corruption n’a fait que prendre de l’ampleur, un fait unique en 30 ans d’histoire du pays. Les têtes tombent : Zhang Qinyun, patron du Hubei media group, Shen Peiping, vice-gouverneur du Yunnan, Yao Mugen, vice-gouverneur du Jiangxi, ou Song Lin, président de China Resources, sont arrêtés. Dix vice-ministres (ou ministres) sont également sous enquête. Stressés, les cadres sont de plus en plus tentés de mettre fin à leurs jours : depuis 2013, sur 54 décès « non-naturels », 23 se seraient suicidés, dont Xu Ye’an, n°2 au Bureau national des pétitions, trouvé mort dans son bureau.

Le clan de Zhou Yongkang dans l’oeil du typhon

L’œil du typhon se concentre sur l’entourage de Zhou Yongkang. Depuis janvier, 300 de ses proches, arrêtés, se sont vu saisir 15 milliards de $ de biens (en cash, villas, voitures de luxe). Parmi eux : Liu Han, milliardaire du Sichuan (accusé de délits mafieux dont 9 meurtres, ex-partenaire d’affaires de Zhou Bin, fils aîné de Zhou Yongkang), Guo Yongxiang, aide de Zhou au Sichuan (exclu du PCC), Zhao Miao, patron de l’organisation du PC au Sichuan, Yan Cunzhang, chef de division à la CNPC (un des fiefs de Zhou)…

Sous l’impulsion de son chef Wang Qishan, la campagne s’emballe et s’en prend à ses propres enquêteurs ! Un des 130 superflics, Shen Weichen, secrétaire du PC à la Chinese Association for Science & Technology (la CAST, très active en R&D militaire), au rang de ministre, est placé sous « double investigation » (双规, shuanggui, 12/04), histoire de marteler que le temps des dessous-de-table est fini. 

Cette traque rend l’air du temps un peu surréaliste, artificiellement frugale, et tendue. A Canton, tout cadre doit dévoiler au moins 10 jours avant, son budget pour tout mariage ou enterrement. A la cantine, on consomme des portions administrativement congrues et les banquets ont diminué de moitié. Pékin s’apprête à interdire l’achat de cigarettes aux frais de l’Etat. Et après s’être jetés mi-mars sur 11 provinces, les limiers de la Commission Centrale de Discipline, font une volée d’arrestations dans le Shanxi… L’économie s’en ressent : les hôtels 5 étoiles souffrent, les budgets restent non-dépensés, les chantiers sont à l’arrêt. Même les théâtres, faute de public, coupent les spectacles jusqu’aux 3/4 (au Jilin).

Nul doute, la campagne est dangereuse pour la stabilité du régime–elle suscite une lutte acharnée au sein du Parti. Pas seulement Zhou Yongkang, mais aussi Jiang Zemin, ses ex-lieu-tenants Jia Qinglin, Li Changchun et Wu Bangguo, et même Li Peng, avec leurs clans, fabuleusement enrichis, sont vulnérables. C’est le dogme de l’intouchabilité des membres du Politburo qui est menacé par le principe de la primauté de la loi. Or Xi ne peut se permettre de frapper «tous» les corrompus qui, selon une enquête interne secrète de 2013, seraient « plus de 30% » du corps des fonctionnaires des 3 pouvoirs (Parti, gouvernement, armée). Les «tigres», anxieux, doivent soit attendre leur chute, soit se liguer pour se défendre, pour faire tomber Xi Jinping. En mars, Wang Qishan avouait le poids écrasant sur ses épaules : « la situation est plus grave que nous le pensions au départ ».

Suivant, les points de vue, la campagne a deux enjeux : pour Xi, il faut briser la digue qui préserve les privilèges des clans, et nommer des centaines de cadres intègres et favorables à la réforme ; tandis que les ultras des grands clans résistent, moins pour préserver leurs privilèges que pour se protéger ensemble de la chute—début avril, Jiang avertissait Xi de « ne pas déployer trop large l’empreinte » de la campagne.

Hu Jintao rend hommage à Hu Yaobang

Hu Jintao Visite Hu Yaobang 11'04Or, le 11/04, Hu Jintao se rendit en visite mi-officielle, mi-secrète à Liuyang (Hunan), berceau de Hu Yaobang, théoricien réformateur dont le décès (15/04/89) avait lancé le printemps de Pékin, et se prosterna de-vant sa statue. Au-delà du témoignage de sa gratitude envers l’homme qui l’avait nommé chef de la Ligue de la Jeunesse, son ascenseur vers le pouvoir suprême, la visite avait aussi un sens politique : elle affirmait le soutien de Hu Jintao -et de la Ligue- à la campagne de Xi Jinping. Pour Hu, c’est une revanche sur Jiang Zemin, qui l’avait bloqué durant ses 10 ans de mandat, par la cage de fer des institutions qu’il avait noyautées avant son départ. Mais à présent, Hu aide son successeur à faire ce à quoi il a lui-même échoué. 

Un bruit circule : la campagne s’arrêtera à Zhou Yongkang et à un petit nombre de corrompus, dont les généraux Xu Caihou (ex-chef d’état-major) et Gu Junshan (ex-n°2 de la logistique). Ce qui permet à 18 généraux, rassurés, de faire un rare serment d’allégeance à Xi (02/04), et donne le sentiment que Xi, en quête d’un compromis, l’a peut-être déjà trouvé ! 

Enfin, Xi prépare deux de ses proches alliés, issus de son fief du Zhejiang, à de hautes fonctions : Xia Baolong, Secrétaire provincial, devrait être promu au Xinjiang avant une montée-éclair au Politburo en 2017 ; et Zhong Shaojun, civil parachuté lieutenant-colonel en 2013, pourrait bien reprendre en main à moyen terme « notre nouvelle grande Muraille » (我们的新长成), surnom de l’APL…

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