Editorial : Chine—Dépanner l’Europe

En sa dernière mission diplomatique avant l’été, Wen Jiabao, le 1er ministre choisit d’arpenter (24-29/06) Hongrie, Royaume-Uni et Allemagne: un  voyage qui reflète le nouveau grand jeu envers l’Union Européenne, d’une Chine hostile à une bipolarisation de la planète (USA et elle), et qui veut «dépanner»  l’Europe.

Mais la mission suivit aussi le dicton «on ne prête qu’aux riches», confirmant l’immémorial flair chinois des affaires. Wen offrit 1,4MM$ en prêts à Budapest, 4,3MM$ en contrats à Londres, mais 15MM$ à Berlin, son 1er partenaire, qui échangeait avec elle 130MM² en 2010, +34%et 30% du négoce sino-européen.

Wen et ses hôtes convinrent de doubler les échanges d’ici 2015 (Allemagne à 200MM², Royaume-Uni à 70, Hongrie à 13). En réalité, la stratégie vient de Chine, en lien avec son imminente baisse de la TVA du luxe, destinée à rééquilibrer sa balance des paiements, et … faire taire les voix antichinoises. Soit dit au passage, ce plan ne passe pas tout seul au sein du Conseil d’Etat: des ministères le contestent, craignant qu’il ne fasse payer aux pauvres le luxe des riches…

En Allemagne, Pékin achète 88 A320 (7,5MM$) mais gèle 10 A380 commandés au Bourget par Hong Kong Airlines (3,8MM$): bras de fer pour forcer l’Union Européenne à exempter ses carriers des taxes carbone prévues au 1er janvier 2012. Les deux pays signent aussi la 1ère JV de voitures électriques (VW-FAW), un centre pékinois de R&D pour Daimler-Benz, un fonds (chinois) de 2MM$ pour financer les JV entre PME.

Avec le Royaume-Uni, Wen signe un projet de centrale à charbon propre à 2,46MM$ entre Ch Energy (n°1 de la houille chinoise) et Seamwell, et un curieux prêt d’1,5MM$ de la BdC à British Gas.

A Londres et Berlin, on vit Wen Jiabao couper court aux remarques sur les droits de l’homme: estimant avoir «payé assez» en libérant les dissidents Ai Weiwei et Hu Jia avant son départ:   « 5000 ans d’histoire,  déclara-t-il froidement, nous ont appris à ne pas faire la morale aux autres». À l’évidence, le temps où l’Occident pouvait donner des leçons à la Chine n’est plus, et plus la Chine soutiendra l’Union Européenne et son euro, moins elle pourra l’accuser : « on ne mord pas la main qui vous nourrit ».

N’oublions pas ce moment de montée en audace chinoise: tournant dans la relation, vu sa capacité croissante à financer l’Europe, et les besoins croissants de l’Europe pour maintenir un train de vie insoutenable.

Combien Pékin détient-il de dette européenne? L’équivalent de 750MM$ en ², soit 25% de ses réserves en devises.  Dont 40 MM² en bons grecs, portugais, italiens et espagnols acquis en 2010, selon Capital Economics. Encore peu de chose face aux 1150MM$ de dette US, mais cela commence à peser en ajoutant les investissements directs (tel le port du Pirée), supposés atteindre 1000MM$ en 2020, rien que dans la région Europe-Sud.

Avec la chancelière A. Merkel, le dialogue s’approfondit sur l’Euro et la réforme  des circuits financiers mondiaux. La France de N. Sarkozy était présente-absente, vu la concertation étroite des trois pays depuis 2008 sur la question. Pékin venait d’apporter à Christine Lagarde un marchepied décisif au perchoir du Fonds monétaire international – FMI. Le rapprochement de l’Union Européenne, de la Chine et des USA peut faire espérer un compromis utile pour le G20 financier de Cannes cet automne.

En filigrane de ce débat, hante le spectre d’une «reprise en main» de l’Europe par la Chine. Outre-Rhin, on voit la différence entre une opinion craignant à 81% que le pays ne soit «trop dépendant» de la Chine, et un cabinet Merkel «force tranquille», qui ne se laisse pas intimider, et parle de démocratie devant la presse. Sa force réside dans le fait de lier cette critique à l’idée d’une amitié sino-allemande non-négociable, communauté de destin qui forcerait les deux bords à s’entendre, «que cela leur plaise ou non». Comme venaient justement de le faire les deux cabinets, 13 ministres côté chinois, 10 côté allemand, jetant ainsi les bases de facto d’une union économique Est-Ouest.

 

 

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
9 de Votes
Ecrire un commentaire