Le Vent de la Chine Numéro 25

du 3 juillet au 27 août 2011

Editorial : Chine—Dépanner l’Europe

En sa dernière mission diplomatique avant l’été, Wen Jiabao, le 1er ministre choisit d’arpenter (24-29/06) Hongrie, Royaume-Uni et Allemagne: un  voyage qui reflète le nouveau grand jeu envers l’Union Européenne, d’une Chine hostile à une bipolarisation de la planète (USA et elle), et qui veut «dépanner»  l’Europe.

Mais la mission suivit aussi le dicton «on ne prête qu’aux riches», confirmant l’immémorial flair chinois des affaires. Wen offrit 1,4MM$ en prêts à Budapest, 4,3MM$ en contrats à Londres, mais 15MM$ à Berlin, son 1er partenaire, qui échangeait avec elle 130MM² en 2010, +34%et 30% du négoce sino-européen.

Wen et ses hôtes convinrent de doubler les échanges d’ici 2015 (Allemagne à 200MM², Royaume-Uni à 70, Hongrie à 13). En réalité, la stratégie vient de Chine, en lien avec son imminente baisse de la TVA du luxe, destinée à rééquilibrer sa balance des paiements, et … faire taire les voix antichinoises. Soit dit au passage, ce plan ne passe pas tout seul au sein du Conseil d’Etat: des ministères le contestent, craignant qu’il ne fasse payer aux pauvres le luxe des riches…

En Allemagne, Pékin achète 88 A320 (7,5MM$) mais gèle 10 A380 commandés au Bourget par Hong Kong Airlines (3,8MM$): bras de fer pour forcer l’Union Européenne à exempter ses carriers des taxes carbone prévues au 1er janvier 2012. Les deux pays signent aussi la 1ère JV de voitures électriques (VW-FAW), un centre pékinois de R&D pour Daimler-Benz, un fonds (chinois) de 2MM$ pour financer les JV entre PME.

Avec le Royaume-Uni, Wen signe un projet de centrale à charbon propre à 2,46MM$ entre Ch Energy (n°1 de la houille chinoise) et Seamwell, et un curieux prêt d’1,5MM$ de la BdC à British Gas.

A Londres et Berlin, on vit Wen Jiabao couper court aux remarques sur les droits de l’homme: estimant avoir «payé assez» en libérant les dissidents Ai Weiwei et Hu Jia avant son départ:   « 5000 ans d’histoire,  déclara-t-il froidement, nous ont appris à ne pas faire la morale aux autres». À l’évidence, le temps où l’Occident pouvait donner des leçons à la Chine n’est plus, et plus la Chine soutiendra l’Union Européenne et son euro, moins elle pourra l’accuser : « on ne mord pas la main qui vous nourrit ».

N’oublions pas ce moment de montée en audace chinoise: tournant dans la relation, vu sa capacité croissante à financer l’Europe, et les besoins croissants de l’Europe pour maintenir un train de vie insoutenable.

Combien Pékin détient-il de dette européenne? L’équivalent de 750MM$ en ², soit 25% de ses réserves en devises.  Dont 40 MM² en bons grecs, portugais, italiens et espagnols acquis en 2010, selon Capital Economics. Encore peu de chose face aux 1150MM$ de dette US, mais cela commence à peser en ajoutant les investissements directs (tel le port du Pirée), supposés atteindre 1000MM$ en 2020, rien que dans la région Europe-Sud.

Avec la chancelière A. Merkel, le dialogue s’approfondit sur l’Euro et la réforme  des circuits financiers mondiaux. La France de N. Sarkozy était présente-absente, vu la concertation étroite des trois pays depuis 2008 sur la question. Pékin venait d’apporter à Christine Lagarde un marchepied décisif au perchoir du Fonds monétaire international – FMI. Le rapprochement de l’Union Européenne, de la Chine et des USA peut faire espérer un compromis utile pour le G20 financier de Cannes cet automne.

En filigrane de ce débat, hante le spectre d’une «reprise en main» de l’Europe par la Chine. Outre-Rhin, on voit la différence entre une opinion craignant à 81% que le pays ne soit «trop dépendant» de la Chine, et un cabinet Merkel «force tranquille», qui ne se laisse pas intimider, et parle de démocratie devant la presse. Sa force réside dans le fait de lier cette critique à l’idée d’une amitié sino-allemande non-négociable, communauté de destin qui forcerait les deux bords à s’entendre, «que cela leur plaise ou non». Comme venaient justement de le faire les deux cabinets, 13 ministres côté chinois, 10 côté allemand, jetant ainsi les bases de facto d’une union économique Est-Ouest.

 

 


Temps fort : Le PCC—entre anniversaire et examen de conscience

Le 01/07, le Parti Communiste Chinois a fêté son 90ième anniversaire en très petit comité, à 6000 au Grand Palais du Peuple, la population étant réduite aux discours à la Télévision (Hu Jintao, Xi Jinping).

Réactions de la rue: «Cette fête, c’est la leur, pas la notre», s’exclamait ce médecin sexagénaire, tandis que ce cadre osait dire que « tout ce qu’a fait Mao avant 1949 était bon, mais rien après» – remarque qui l’aurait emmené droit en camp 20 ans avant. On remarque aussi que jusqu’au matin de la fête, son agenda était resté secret : face à une opinion désabusée et un climat social mauvais, l’appareil pouvait vouloir garder profil bas, pour prévenir tout incident.

Une autre raison à cette discrétion est structurelle. En théorie et en pratique, le pouvoir chinois est scindé en 2 branches, l’une civile, représentée par le Conseil d’État et le Parlement, l’autre politique, avec Bureau politique et Comité Central. L’une et l’autre filière représentent le Peuple, mais la seconde lui est hermétiquement fermée, et ne rend de comptes formels que tous les 5 ans, lors des Congrès. Aussi cette fête, ne concernait que le Parti ainsi que le « bras armé de la dictature du prolétariat », l’APL, l’armée populaire de libération.

Au demeurant, cette vénérable formation ayant déjà vu se succéder 5 générations de leaders révolutionnaires, puis technocrates et ingénieurs, est agitée par de profonds soubresauts. Depuis janvier, sans doute en réaction angoissée au printemps du jasmin arabe, on assiste à un raidissement réactionnaire, déjà amplement analysé dans nos colonnes. Justement, on vient d’apprendre le report sine die du plan de réforme politique à Shenzhen, seule expérience notable de ce type en Chine cette année. Ce plan était pourtant limité spatialement (à la zone économique de Qianhai), et conceptuellement. Le directoire exécutif de Qianhai aurait du recevoir 2 membres sur 11 venus de Hong Kong. Il aurait du adopter ses lois, règlements et son régime fiscal autonome. Un organe anti-corruption calqué de l’ICAC Hongkongais était prévu. Tout a disparu.

A défaut de se réformer, le PCC a augmenté ses membres, aujourd’hui 80M. Il prouve aussi sa capacité à attirer les compétences – la jeunesse diplômée qui y voit son seul moyen d’accéder au pouvoir. A Pékin en 20 ans, les membres du Parti dans les firmes étrangères sont passés de 51 à 2832 (2010), et ils y ont créé 109 cellules, informant l’appareil en temps réel des choix de la firme et de ses progrès commerciaux.

Enfin, le Parti fait le grand écart entre le sommet qui veille au pouvoir, et la base rêvant de new deal.

En haut, un militant anonyme vient de «fuiter» 60 pages de documents internes sur la manière de verrouiller la pyramide sociale par une délation et une censure plus performantes.

En bas, on sent une demande de démocratie interne, de transparence, une sympathie pour les élections (civiles) intermédiaires, et une répulsion croissante envers la peine capitale, qui élimine 6000 vies humaines/an, dont des innocents…

Et c’est ainsi que 90 ans après sa naissance, le PCC, interminablement, cherche son âme, sa voie, son avenir !

 

 


Pol : Bachir à Pékin, à la barbe de la CPI

Omar al-Bashir, le Président soudanais était reçu à Pékin les 28-30/06.

Quoique sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale CPI pour génocide, Hu Jintao l’accueillit cordialement, lui souhaitant la bienvenue. Manière claire de proclamer au Soudan la protection chinoise et la solidarité tiers-mondiste sans regard pour la justice internationale, que Pékin ignore.

Parti de Téhéran, Bashir est arrivé 24h en retard, suite à un mystérieux demi-tour au-dessus du Turkménistan. Selon une rumeur, ce dernier lui aurait refusé son espace aérien sur pression des USA. Selon une autre, Bashir aurait décidé de retourner sur Téhéran par crainte d’interception.

Avec Hu, Bashir a parlé avant tout de pétrole, de prospection avec la CNPC, la compagnie nationale. Suite à l’accord de paix qui prendra effet le 9/07, Khartoum perd les deux tiers de ses réserves et 500.000 barils par jour, qu’il va falloir remplacer. Hu a aussi offert des projets de développement (agriculture, pont…), et peut-être des armes -Pékin étant son principal pourvoyeur, malgré plusieurs embargos de l’ONU.

Enfin, on peut croire Hu, quand il plaide pour la paix entre les deux Etats du Soudan Nord et Sud, et s’offre en médiateur : son pays est de toute manière assuré de continuer à recevoir du Sud le pétrole qu’il recevait de Bashir. En avril, le vice Président Xi Jinping recevait D. Athorbei, le leader du nouvel État sudiste, qui le rassurait sur l’avenir. Dans ces conditions, la Chine pragmatique peut faire une entorse à sa règle de ne soutenir que les Etats, et de toujours ignorer les mouvements séparatistes.

 

 


Argent : Sécurité sociale pour expatriés : un enfer pavé de bonnes intentions

La Sécurité sociale chinoise pour étrangers est là -enfin presque.

Au 01/07, tout actif légal plus de six mois en Chine aura la quintuple assurance (médicale, accident, travail, pension, chômage, maternité) et cotisera 11% du salaire soit (moyenne, selon cabinet Haworth&Lexon), 1285¥/mois pour l’expatrié + 4323¥ de charges patronales. 231.700 actifs sont concernés.

Un sondage de China Daily sur 164 étrangers en trouve 58% d’accord. Ce qui n’est pas démontré, même si bien des jeunes travaillant en Chine légalement mais sans couverture sociale, peuvent effectivement placer des espoirs dans le système en gestation.

Tels qu’analysés par la Chambre de commerce européenne, les problèmes sont

[1] un risque de mauvaise gestion du fonds (comme à Shanghai en 2006, où 3MM¥ avaient été siphonnés par le secrétaire du Parti Chen Liangyu) ;

[2] l’inconnue sur la pension à attendre après 15 ans (et l’obligation de la percevoir « à l’ambassade de Chine ») ;

[3] la méfiance de beaucoup d’étrangers envers les hôpitaux chinois ; et surtout,

[4] l’obligation de cotiser, même si l’on est déjà assuré en son pays.

Pour sûr, ce système imposé rapportera des MM$/an aux assurances chinoises, et faute d’améliorations, incitera les firmes étrangères à réduire leurs personnels expatriés, vu leur surcoût encouru. Il favorisera un aussi la précarisation-clandestinisation d’un nombre massif d’emplois d’étrangers. Tout cela incite la Chambre de commerce européenne à recommander que ce système reste optionnel. Aujourd’hui en tout cas, faute de règlements d’application voire d’acceptation par les corps constitués des bénéficiaires supposés, il reste inapplicable.

 

 


A la loupe : Luxe chinois — creuset d’une renaissance d’un luxe mondial

Combien sont les luxueux chinois ?

Qui consomme le luxe en Chine ? Les riches bien sûr, ceux pesant plus de 10M¥. Selon la liste Hurun, ils sont 132.000 à Shanghai en 2010 (1 shanghaïen sur 166), et 1 million en Chine, en hausse de 12% en 12 mois. Dès 2011, c’est déjà sûr, la Chine dépassera le Japon comme 1ère nation du luxe, dépensant 17MM$ dans le secteur. Pour CLSA, le marché de 9MM² en 2010, en atteindra 74MM² d’ici 9 ans. Mais les investissements partent dans tous les sens, réinventant le luxe par toutes sortes d’approches erratiques, propres à tout marché immature, empêchant toute vision claire et ordonnée de cette forêt vierge.

Le marche-ou-crève de l’exclusivité

‘ Après 10 ans de déploiement dans les bons quartiers, les grandes marques ont du mal à trouver des espaces convenant à leur standing. Les clients eux, s’y perdent, entre ces griffes qu’ils connaissent encore mal, les clones étrangers qui s’en inspirent, et les firmes locales en train de créer leur style. D’autant que ces self-made-men peu éduqués n’ont pas encore d’éducation, et suite à une mauvaise traduction du terme en 1900, partent d’une perception biaisée du luxe, comme «tape-à-l’oeil» et «m’as-tu-vu?» (cf VdlC n°24).

Pour les géants du luxe, les conquérir est un enjeu en temps limité pour asseoir leur image, par d’intenses efforts. Cardin invite sa clientèle à Tianjin sur le pont du porte-avions russe (désarmé) «Kiev», pour son défilé de mode entre les bombardiers. Louis Vuitton invite le tout-Pékin à Voyages, l’expo de ses malles au Musée national, pour une inauguration où le Dom Pérignon coule à flots.

Autre contradiction de cette croissance échevelée: l’«exclusivité» obligatoire qu’exige le luxe en contrepartie de son prix, supporte mal la concurrence moins chère voire déloyale, pourtant inévitable en Chine. Quand la milliardaire voit sa secrétaire avec un sac à 100¥ identique à celui qu’elle a payé 10000, elle se reporte sur un autre modèle ou une autre marque, la confiance de lui sauvegarder l’unicité de ce qu’elle a payé. Elle achète surtout pour paraître «différente» et «supérieure» aux masses, par sa force de frappe consumériste. Mais à l’inverse, des galeries en ligne comme vipstore.com doivent susciter l’anathème des maisons traditionnelles, en prétendant vendre « la même chose », « sans visibilité matérielle », à moitié prix.

 

L’acheteur-type, portrait robot…

Pour l’Institut hongkongais de la mode, les acheteurs chinois du luxe ont entre 20 et 50 ans (contre 40-60 aux Japonais) – âge qui fait d’eux des acheteurs « impulsifs et éclectiques », contrairement aux nippons « fidèles et réfléchis». Incapable d’apprécier la valeur esthétique de leur achat, ils se décident, en faisant confiance aveugle en la publicité, ou bien au précédent d’un proche ayant acheté le même (sans s’apercevoir alors, de leur propre contradiction, violant ainsi le principe d’exclusivité).

… Et ses gadgets !

1er évident accessoire du luxueux chinois : la voiture, dont les marques les plus chères au monde font des ventes miraculeuses, comme Aston Martin à 7M$, ou Porsche, qui vendra + 35% cette année (20.000 ventes), où les squadre italiennes telle Ferrari (300 ventes en 2010 à + d’1M$). Miss Guo Meimei soulève l’intéressante contradiction d’un (demi-)monde aussi anxieux de se montrer que de se cacher. Sur son blog tapageur, elle se dit Présidente d’une «Chambre de Commerce de la Croix Rouge» et s’affiche avec divers bolides italiens, faisant soupçonner de malversations l’organisation de charité. Soupçons renforcés par son nom, antonyme du Président de la China Red Cross… Enfin, par cette opération de marketing « à la hussarde », Guo Meimei centuple son empreinte sur la toile…

Le luxe, c’est aussi les clubs : de golf (qui sont 600,, sourds aux grondements de l’État qui tente de préserver eau d’irrigation et terres cultivables); ceux exclusifs tel le Jianfu de Pékin, occupant le 2d grand jardin de la Cité Interdite (500 membres, à 1M¥ l’entrée), ou à Chengde (Hebei), l’ancien Palais d’Été (membership à 200.000¥).

L‘habitat est bien sûr un autre moyen d’étaler sa richesse: telle l’îlot adjugé 20M$ sur le lac Houhai à Pékin en 2008. Les palais à 10-20M$, ne sont plus rares.

L’art aussi est très prisé : en mai, une oeuvre de Qi Baishi s’est vendue 50M$ : moyen d’exhiber sa culture, placement—voire discret cadeau de corruption.

Enfin, yachts et avions explosent en Chine. Tianjin s’est offert une marina à 1,4MM$, assez pour 750 super yachts -pour l’instant, le pays entier compte 1000 yachts (à 1-10M$) issus des meilleurs chantiers d’Europe ou d’Amérique, mais aussi, déjà, locaux, moins bien finis mais à 25% du prix. En 2020, le marché chinois du yacht sera 1er au monde, et vaudra 10MM$/an. Même tableau dans l’aviation privée : les riches chinois ont déjà 1000 aéronefs, dont 170 hélicoptères, très prisés pour leur faculté de voler « au noir », sans plan de vol. Ici aussi, les perspectives d’expansion dépassent l’imagination.

 

Vers l’avenir—sus à l’étranger

Pour l’avenir, on peut dire que c’est le luxe de toute la terre qui cherche à prendre pied en Chine. En créant en 2010 sa marque chinoise Shangxia, Hermès mise à fond sur le sentiment d’identité nationale chinois, mais aussi sur la capacité d’une Chine future à secréter ses propres styles raffinés et à séduire le monde, qu’annoncent déjà des couturiers comme Bo Tao ou Shanghai Tang .

Les prochaines années seront fastes, du fait de l’accumulation (souvent mal vécue par la rue chinoise, qui n’en voit pas la couleur) de fabuleuses fortunes. Momentanément limités à un achat foncier par individu (ceci, dans le cadre de l’effort anti-inflation), les riches chinois puisent sur leurs caisses noires hors du pays pour racheter le haut de gamme mondial : les hôtels de maître à Paris, Londres Rome ou New York, mais aussi des couturiers comme l’italien Cerruti (repris par le distributeur chinois Trinity).

Aujourd’hui même, une des plus grosses fortunes du luxe cherche repreneur : Pierre Cardin (89 ans…) qui demande 1MM² pour son empire, et regarde ouvertement vers la Chine, après y avoir déjà cédé pour 200M² ses avoirs locaux. Mais qui en Chine, même milliardaire, osera chausser les bottes de Pierre Cardin, et maintenir, et faire prospérer un tel héritage? Question à 1MM$ !


A la loupe : Nouveau ciment du sable céleste : le Weibo, microblog

Né en août 2009, métissé de Twitter (réseau social d’info) et de Facebook (généraliste), le weibo (微博, « microblog ») est l’ultime mode sur la toile, accompagnant la mutation sociale en tous domaines — public, emploi, loisirs, tout en les intégrant, d’ailleurs : la vie entière en sera sans doute rebrassée, sans que l’on puisse prédire si le résultat sera meilleur ou pire !

« Internet est un don de Dieu » chante Yao Bo, bloggeur célèbre, «qui agrège les grains de sable que nous sommes, hier encore charriés par le vent du désert». Épique, la formule en dit long sur la fascination chinoise pour le micro blog, et sur la réactivité du régime qui loin de l’interdire, l’a promu, pour mieux le contrôler. Le 26/04, le Quotidien du Peuple sanctifiait le Weibo, comme « outil idéal pour consulter le peuple » -instrument d’un nouveau dialogue social. Bien sûr, sur les portails, tels Sina ou Tencent, toute question sensible (« dissidents », « jasmin ») est effacée !

La puissance novatrice du weibo tient à sa capacité de toucher des 10aines de millions de personnes à la seconde. Grâce à Liu Shuwei, professeur d’économie, le village enclavé de Nanjiushui (Hebei) vient de collecter 0,9M¥ pour achever sa route, en paiement de 15t de noix. Pour maintenir les commandes, ses habitants weibotent régulièrement des photos des progrès du chantier et de la récolte.

L’effet est contagieux. Les étudiants lancent des mini-CV de 140 signes – Sina en comptait déjà 17.000 au 20/05. Dans ce vivier, grâce aux mots-clés appropriés, les employeurs pêchent les profils dont ils ont besoin. Weibo ouvre aussi un dialogue malaisé, mais radicalement nouveau – entre l’État et les masses : le 24/06, suite aux orages sur Pékin, le standard des transports weibota les fermetures de lignes de métro ou de bus, permettant aux passagers de se dérouter à temps. Mais aussi, les bloggeurs postèrent 90.000 photos édifiantes de véhicules noyés, leur permettant d’épingler les évidentes carences des services publics.

Certains weibo’teurs manquent parfois de pratique. Xie Zhiqiang, chef de l’hygiène à Liyang (Jiangsu), vient de perdre son emploi et se ridiculiser en arrangeant avec son amante un RdV pimenté—croyant qu’il envoyait un mail, sans comprendre qu’il se trahissait à la Chine entière. Par contre en mai, Wang Gongquan, milliardaire, savait exactement ce qu’il faisait en weibotant à la cantonade l’abandon immédiat de sa légitime pour sa maîtresse.

Reste la découverte de l’usage politique des microblogs : le régime n’en est pas exactement enthousiaste. Car si 540.000 suiveurs ont participé au concours sur l’histoire du Parti (ce qui est peu), si 67 millions ont présenté au PCC leurs weibo-voeux de 90ème anniversaire (ses membres, pour la plupart, et obéissant aux consignes), ils sont plus de 100 candidats aux élections intermédiaires, non nommés par le Parti, qui drainent leurs voix de soutien par weibo. Tel Yao Bo, cité plus haut, aux 300.000 supporters. Leur démarche est légale, mais freinée des quatre fers par le Parti (harcèlement, arrestation provisoire, etc).

Pour autant, on découvre que sur ce dossier, la lourde machine n’est pas unie. Certains cadres verraient bien du sang neuf apporter un peu de concurrence. D’autres ont des soucis, quant à la légitimité constitutionnelle de cette répression… Manifestement sur cet épineux dossier, les 琴 «qin» (violons) de l’orchestre rouge, seront toujours plus difficiles à accorder !

 

Pub-weibo—une auberge espagnole sur la toile

 De nombreux comptes weibo naissent chaque jour.

Starbucks, McDonald’s, Adidas, L. Vuitton, L’Oréal, mais aussi des producteurs de thé ou encore des cabinets d’avocats, ont déjà leur propre weibo. L’enjeu étant de fidéliser des millions de « suiveurs », et d’en faire des clients.

Certains, VW par exemple, font appel aux PME expertes en services marketing sur microblog, qui bourgeonnent à tout va, sous la demande croissante des firmes.

Chaque bloggeur, par smartphone ou par ordinateur, suit les microblogs de son choix, découvrant ainsi produits, promotions, jeux… S’il a aimé, il fait suivre à d’autres. Ce qui assure aux marques un fichier de suiveurs, une image en temps réel des clients, permettant d’adapter le produit. Certaines marques sondent leurs visiteurs, tel Dove, les incitants à partager leurs conceptions de la beauté. D’autres créent l’événement, tel Nokia avec sa sortie en «live» du N8, son GSM dernier cri (08/2010) : 420.000 messages, et un décuple de commandes.

Le visiteur y trouve aussi son compte. Cessant d’«avaler» passivement la publicité, il l’inspire, elle le reflète et le valorise. Il peut aussi obtenir des petits cadeaux (pin’s, T-shirt, rabais). Émerge ainsi un paysage affectif, terreau de la meilleure des pubs, celle du type « fan-club ».

Moins coûteux que toute publicité Internet ou que l’achat de mots-clés, et plus alimentée et diffusée par le client que par l’annonceur (véritable «auberge espagnole»), le weibo offre, selon iResearch, le meilleur rapport qualité-prix sous l’angle de la précision, rapidité, interaction et influence. Pour les experts, un weibo d’un million de suiveurs pèse autant qu’un grand quotidien papier, et celui de 10M, vaut une chaîne de TV. Le microblog est glamour, pour faire oublier sa finalité marchande. Dans le weibo, le choc des photos est plus fort que le poids des mots. Pour sa propre image sur son microblog, portant la robe de telle marque, l’actrice Yao Chen (9 millions de suiveurs), se ferait payer 100.000¥ – le commentateur TV Kevin Tsai est aussi fort prisé (7 millions de suiveurs).

Les annonceurs apprennent à varier les effets de mode selon les heures, aux publics différents (pics à 10h et 22h), permettant un ciblage toujours plus précis de la clientèle.

Mais il n’y a pas de recette miracle. Le weibo ne marche que pour les groupes déjà établis. Et se créer une image-minute, peut inciter à la fraude, comme l’ouverture à la chaîne de comptes bidons pour fausser l’applaudimètre.

Pour weibo, quel avenir ?

Question pour l’instant vaine. Ce qui est sûr, c’est que le cycle de vie des réseaux sociaux sur Internet est étonnement bref : Facebook, ou leurs avatars chinois Renren, Kaixin, fatiguent déjà, et les blogs prennent même des rides. Les weibo ont peu de chance d’échapper à ce destin.

Pour l’instant, ils font saillir leurs biceps : la 1ère librairie weibo vient de sortir chez Sina – qui prépare aussi une version anglaise de son site, tandis que Tencent fignole sa traduction automatique. En somme, tout le weibo chinois rêve de conquête du monde— a priori handicapé, tout de même, par sa censure, inacceptable en Occident !

 

 

 


Joint-venture : Volvo, SAAB—la razzia chinoise

L’auto chinoise guigne la nordique. En mars 2010, Geely rachetait Volvo pour 1,8MM$. Puis en 2011, Pangda (Tangshan) tente de reprendre Saab, en une série d’approches byzantines qui évoquent la difficulté de la manœuvre. 

Déjà en 2009, quand General Motors, sa maison mère, elle-même en difficulté, l’avait mis en vente, Baic (Pékin) s’était mis sur les rangs–à l’époque, Saab sortait encore 80.000 voitures/an. GM avait préféré céder au hollandais Spyker. Puis en mars 2011, Saab réduite à une production de 37.000/an débrayait faute de pouvoir régler les fournisseurs. Un groupe pékinois inconnu, Hawtai se portait candidat, offrant 150M€ pour une participation dans Saab. Puis il se retirait après 9 j, expliquant que le deal ne serait pas validé par l’autorité.  C’est alors en mai que Pangda signait un chèque de 45M€ pour 1500 voitures, et un autre de 109M€ pour 24% de Spyker, entre-temps renommé Swedish Auto. En juin, les 3800 ouvriers impayés menaçaient de faire saisir l’usine : alors, miracle, au 27/06, un chinois anonyme sortait « du chapeau » 13M€, pour commander 582 voitures…

Tout ceci fait brouillon et inachevé. L’argent frais suffit juste à payer le personnel. Et manquent à tout deal les permis de Stockholm, de la BEI (créancière) et de Pékin : dans la longue liste d’experts de ce dossier, il n’en est pas un qui parie sur une bonne fin sans heurt de l’opération.

Au juste, qui sont ces groupes auto chinois candidats à la reprise de Saab, la plupart quasi-inconnus ? Et quelle est leur motivation ? Pangda est un gros concessionnaire de Tangshan, enrichi par ces années folles de croissance des ventes, et son entrée en avril en bourse de Shanghai qui lui a valu 973M$ de cash. Ce qu’il veut : l’entrée au club des producteurs auto, au richissime marché d’avenir. Ce dont justement ne veut pas l’Etat chinois, soucieux de réduire à 10 ses constructeurs : de fusionner, fermer, et ne laisser personne entrer. Une affaire donc, bien mal partie, le seul argument en faveur de Pangda étant la technologie Saab… 

Mais revenons au mariage Volvo Geely. Aux dernières nouvelles, il a du mal à trouver la sérénité, entre le Suédois qui  veut garder son image de « luxe discret », et Li Shufu, patron de Geely, qui insiste pour lui faire sortir des modèles flamboyants. Parlant du marché chinois, Li a évidemment raison. Mais l’orage couve, avec un gros problème de culture d’entreprise, qui rappelle celui de Saic. En 2004, le géant shanghaïen rachetait 50% du Coréen Ssanyong (0,5MM$), pour le revendre exsangue en 2010, faute d’un savoir faire d’un groupe chinois à gérer un groupe international, en en respectant sa force primordiale—sa culture.

On se rappelle des autres rachats chinois en Europe ces dernières années : MG dépecé entre Nanjing Auto et Saic, lequel récupérait la technologie de Rover, mais sans la marque (que BMW refusait de céder)… L’on assiste à une tentative systématique de rachat par la Chine de groupes auto trop petits pour survivre, en périphérie du marché -aucun des USA, du Japon, ni des trois grands européens (Allemagne, Italie, France). Jusqu’à présent, aucune de ces acquisitions n’a fait ses preuves.

Mais le schéma pourrait changer. La rumeur persiste, de tractations pour que GM cède à Baic Opel, fort amaigri, ayant fermé le site d’Anvers et s’apprêtant à fermer Bochum. Mais en même temps, GM-Chine prétend monter à Chongqing une version révisée de l’Opel-Antara, 4×4. C’est donc au fond à GM de faire son choix –fermer l’Europe et foncer vers l’Asie, ou rester un groupe mondial. Tandis que pour Baic, mettre la main sur cet ex-leader  européen de plus forte carrure, pourrait changer toute la donne…

 

 


Autres : Femme, Enfant—deux plans décennaux

En société chinoise depuis 1980, les plus démunis souffrent. Aussi, le Conseil d’Etat vient d’adopter (15/06) deux programmes décennaux, chacun annonciateurs de lois et d’organes nouveaux, pour protéger deux groupes vulnérables, les femmes, et les enfants. Le contenu de ces plans reste confidentiel – mais les problèmes qu’ils devront affronter sont bien connus :

Pour la femme qui, selon Mao, occupe « la moitié du ciel», les progrès en 10 ans ont été fulgurants, en terme d’accès au travail et au revenu. Mais la réussite de ces working girls a pour contrepartie le harcèlement sexuel au travail sur 20% d’entre elles, et la violence, qui touche 35% des foyers, dont 85% de femmes. En ville de plus en plus, les femmes se défendent… en divorçant. En 2010, la Chine a enregistré 1,96M de désunions, un tiers de plus que les mariages (1,2M) : si la stabilité sociale est vraiment sa priorité majeure, l’Etat doit réagir sur ce terrain.

70% des divorces sont demandés par les épouses. L’enjeu est le partage patrimonial -là encore, les femmes sont souvent pénalisées par la difficulté à trouver les preuves de la plainte -infidélité ou brutalités. Dans les campagnes, où 62% des femmes sont battues, s`ajoute la violence économique : les ¾ des villages continuent à redistribuer aux hommes la part des terres ou des récoltes qui leur revient. Les lois restent lettre morte, sous une vision obscurantiste de la femme « inférieure » -c’est cette même mentalité qui cause l’avortement sélectif, et en 2010, 118 naissances de garçons pour 100 filles.

Tout comme la femme, l’enfant ne dispose pas des mêmes chances, en ville ou à la campagne. Notamment à l’école et à l’hôpital, qui depuis 1980, restent privés de financements d’Etat, obligés pour survivre d’accorder la priorité aux riches.

Aussi, alors que 9 ans d’école sont obligatoires (avec une gratuité en principe assurée depuis 2003), maternelles et crèches ne reçoivent que 1,3% des dépenses d’éducation, contre 10% dans les pays développés. Avec des budgets si maigres, cette 1ère école n’est donc accessible qu’à un tiers des tout-petits villageois parmi lesquels un tiers ne feront qu`un an sur trois d’école maternelle.

. Un autre problème est l’exode des parents vers la ville : un tiers des enfants restent au hameau, avec des grands-parents souvent fatigués et sans ressources, incapables de faire face. A 80%, ces jeunes souffrent de stress et problèmes psychologiques, qui sont pour quelque chose dans les 200000 disparitions enfants par an, en fugues ou kidnappings.

Un dernier problème, en ville comme au village, est celui de la violence parentale (physique ou verbale) dont se disent victimes nombre d’adolescents (sur internet), probablement reflet de l’incommunication entre générations. Du Plan décennal « Jeunesse », on croit déceler un outil de fond : un Ministère de l`Enfance annoncé par Wen Jiabao. Il permettra de regrouper les compétences et moyens aujourd’hui disséminés entre nombreux ministères et agences de l’État…


Petit Peuple : Tianmen – la véritable vie de Wang Gang

Le 27 août 2001, Wang Gang se «fit la belle», prenant une fuite amère, soigneusement préparée. Quittant à jamais la maison de ses parents à Tianmen (Hubei), il prétendit s’installer à Wuhan, y exercer une carrière lucrative et honorable, grâce au diplôme de l’université de physique-chimie qu’il venait d’obtenir.

Quoique simples, son père instituteur, sa mère paysanne n’y croyaient qu’à moitié. Pour leur fils dont ils gardaient l’image si sage et si studieuse de 10 ans en arrière, ils se bornaient à espérer que tout aille au mieux.

Le 28, le «lauréat» appela pour dire son arrivée au chef-lieu. C’était- mais comment auraient-ils pu s’en douter – l’ultime nouvelle qu’ils auraient de lui, au cours des 10 prochaines années!

Car à leur insu, depuis si longtemps, il y avait terrible maldonne. Sans gloire ni diplôme, Wang Gang venait d’être exclu de la fac, au terme de 4 ans d’études foireuses, solde d’une jeunesse hors des rails de l’école et de la famille. Dès l’automne ’93, l’ado avait commencé à rentrer à la nuit au lieu de 17h pour faire ses devoirs -les parents n’avaient pas bronché. En mai ’94, en 2de année du collège, la maîtresse venait prévenir son collègue que son petit fuyait l’école pour les salles de jeu.

Un conseil de famille et de discipline s’était tenu. Les tuteurs avaient entendu sa haine d’une école trop normative, sa découverte dangereuse de l’aventure des jeux online : imagination, action, sel et poivre de la «vraie» vie, tout ce qui manquait si cruellement à son existence. Bien sûr professeurs et parents l’avaient recadré, lui permettant de passer le gaokao (bac) en 1997…

C’était oublier qu’en fac, on est souvent seul, avec pour seules compagnes faim et solitude. Sans appuis, il avait vite vu revenir ses fantômes d’hier, ses orcs, son épée, sa princesse, toutes ses rêvasseries d’ado. Il avait fusillé ses études supérieures, sautant les cours, s’enfonçant dans ses mensonges, s’enferrant dans sa réalité séparée sans espoir de retour. Après sa fuite, il s’était réfugié à l’université, dormant la nuit dans les dortoirs des juniors, tapant ceux qui se laissaient apitoyer, pour rassembler les sous minimaux pour manger, et surtout jouer à s’en briser la caboche, jour et nuit. Jusqu’en 2005, il gagna sa vie comme bouquiniste, au noir. En ’06, un cybercafé le recruta (1000¥/mois, nourri-logé, non déclaré) En 2008, il découvrit un jeu, Héros des catacombes, dont il vendit les engins virtuels de fouissage. Après des mois, il gérait 20 comptes «niveau supérieur», gagnant 2000¥/mois: maigre chair, mais qui fut son apogée financière, préludant à sa dégringolade physique.

Durant ces années, il ne s’était jamais bien nourri ni lavé. Il avait dormi sur le sofa du cyberbar ou à l’asile-non chauffé, malgré les terribles hivers. Une toux sanglante apparut, que faute d’argent, il traita par le mépris. En 2009, pour la 1ère fois depuis sa fuite, il voulut rentrer à la maison. Mais il déchira ses lettres à peine écrites, «bouteilles à la mer» que de honte, il préférait briser, plutôt qu’envoyer.

De leur côté, les parents firent leur maximum pour le retrouver, mais en vain vu l’ indigence de leurs moyens. Ils alertèrent la police, arpentèrent Wuhan, collant partout des affichettes aux photos d’un Wang 10 ans plus jeune. Certaines lui parvinrent d’ailleurs-mais en Chine plus qu’ailleurs, nul ne force à revenir quiconque, contre son gré !

Le 7 mai enfin, un appel tomba de la police de Wuhan, qui venait de transférer Wang d’un asile vers l’hôpital. De Tianmen les parents foncèrent. Le 8, jour de la fête des mères, celle-ci retrouvait son fils mourant d’une tumeur au cerveau et d’une tuberculose terminale.

Vite, une campagne de solidarité se lança. Des quatre coins du pays, les dons affluèrent, offrant au moins une fin digne à Wang Gang parmi les siens. En paix, mais non repenti: les codes des 20 comptes, que des joueurs avaient voulu lui racheter, il les emporta avec lui (15/5), les traitant de trésors. Ce furent ses derniers mots, chevrotés plus que prononcés : prouvant que jusqu’au bout, il s’était «accroché à sa folie de toujours», ce qui en Chinois, se doit 执迷不悟, zhī mī bùwù!

 

 


Rendez-vous : Shanghai, Salon des technologies de la publicité

6-9 juillet, Shanghai : Salon des technologies de la publicité

7-9 juillet, Shenzhen : Salon du textile

13-15 juillet, Shanghai, Aluminium China

13-15 juillet, Shanghai : PROPAK, Salon de l’emballage alimentaire

12-14 août, Urumqi : Salon de l’agriculture

22-24 août, Shanghai : CIO OE Salon du pétrole et gaz offshore

23-28 août, Shanghai : Control China – Salon de l’assurance qualité

25-27 août, Dalian : Salon de la protection de l’environnement