Petit Peuple : Pékin – le corbeau et le Mozart

C’est en décembre 2006 au Beijing Concert Hall que débuta l’éphémère carrière de Wang Yi, génie musical. En 1ère nationale, l’Orchestre symphonique de Chine (CNSO) donnait son «Ode à la Chine» : à peine éteinte la dernière note, la salle en extase multiplia rappels, vivats, salves de bravos. En habit noir, Wang Yi rendait modestement ses baisers à la foule, repassait le bouquet de fleurs à la violoniste soliste…

Dès le lendemain, la presse communiquait l’engouement contagieux: par sa profondeur lyrique, la 1ère oeuvre de cet auteur de 54 ans, dépassait le «Requiem » de Mozart. Wang était la preuve vivante que la Chine s’éveillait ailleurs que dans le business, aussi dans les arts. En un mot : Wang Yi écrivait la musique par laquelle la nation allait se régénérer—rien moins.

D’ailleurs, Wang, génie absolu, prouvait ses talents en d’autres domaines, comme vice président de la CSRC (l’agence de régulation boursière), pressenti comme prochain vice gouverneur de la banque nationale de développement -la CDB.

La révélation de son génie avait eu des signes annonciateurs. Dès 2005, Espoir, chanson de son répertoire avait été sacrée hymne de la bourse de Shenzhen. En septembre 2005 à Pékin, pour le 60ème anniversaire de la fin de la guerre sino-japonaise, le pianiste Yin Chenzong avait donné une autre de ses pièces : on en parlait encore.

La carrière de Wang se poursuivit tumultueuse. En 2007, Ode fut donnée 35 fois par le CNSO (un tiers de ses concerts), explosant le record des ventes de billets avec 8M¥ à travers le pays. Dès janvier 2008, le temple mondial de la musique, l’Opéra de Vienne, jouait l’oeuvre en présence de l’auteur…

Mais voilà qu’à l’été, la belle machine grippa. Wang fut jeté en prison pour fraude dans le cadre de ses fonctions bancaires. Les langues se délièrent. «L’Ode» n’était que fumisterie, assemblage de 12 chansonnettes composées avec un simple logiciel—car notre Mozart ne savait pas lire, moins encore écrire les notes. Un escadron de nègres avait été recruté pour rendre ces oeuvrettes présentables.

Il faut bien à présent l’avouer : Wang était avant tout financier d’Etat, de ces princes de la finance rouge à l’ego surdimensionné dont tous dépendent pour les crédits de la mère poule socialiste. Immensément courtisé, les flatteries lui étaient montées à la tête, jusqu’à se prendre pour un génie, ce sur quoi nul ne trouvait opportun de le démentir.

Sa vocation, il l’avait attrapée par hasard lors d’un voyage de complaisance au Tibet : sur ce plateau immaculé, il avait fait trois rengaines, les avait entonnées un soir devant Guan Xia, le chef titulaire du CNSO. Or Guan Xia, à l’époque (2003) avait bien du mal à trouver les 20M¥ nécessaires pour boucler son budget et payer ses violons. Aussi jouant l’émerveillement, le futé chef lui avait spontanément offert d’inscrire sa pièce au répertoire de l’orchestre, moyennant son généreux mécénat. De cette alliance contre nature devait naître une sulfureuse symbiose. En tournée permanente, à 1M¥ par soirée dont 20% de profit net, le CNSO donnait l’Ode à guichet fermé partout dans le pays. Clientes de l’Orchestre ET de l’organe de Wang Yi, elles faisaient la queue pour acheter la soirée, avant d’obtenir l’emprunt sollicité : la banque CITIC (Pékin), celle de Bohai (Tianjin), les maisons de courtage Southern, Huaxia, la mairie de Wuhan, les motos Lifan (Chongqing)… Personne n’y perdait rien -sauf la musique.

Comble de bizarrerie, Wang Yi, n’a pas été puni pour sa fraude lyrique, mais pour avoir détourné les fonds de l’Etat. Les censeurs auraient donné cher pour éviter de dévoiler le pot aux roses. Mais le trou dans la caisse était bien là, et les limiers financiers n’ont rien pu faire pour dépanner leurs collègues de la culture…

20 mois plus tard, après bien des tractations au sein du club du pouvoir, retomba le couperet de la justice : convaincu d’avoir empoché 12M¥ de 1999 à 2008,  le financier véreux écopa de la prison à perpétuité. Sous l’angle lyrique, il paie le prix fort pour avoir confondu le génie et le donnant-donnant. Ou encore, pour s’être laissé aller, comme le corbeau de la fable, à écouter les flatteurs, ce qui en chinois se dit : « rendre à quelqu’un son compliment » : 礼尚往来, « lǐ shàng wǎng lái ».

 

 

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