A la loupe : Du droit de l’Etat sur les corps des citoyens

Moins frivole qu’il n’y paraît, le sujet de cette nouvelle concerne une société chinoise en reconquête du corps, nié durant 30 ans (‘49-’79). L’on y voit le fossé croissant entre elle et un Etat défenseur d’un héritage révolutionnaire frigide (mais non de celui de la dynastie des Tang, par exemple).

Au terme d’une loi de répression de la licence, dont c’est la 1ère application depuis sa passation en 1997, Ma Yaohai, 53 ans, professeur d’informatique à l’Université de technologie de Nankin, comparaissait avec 21 membres de leur club d’échangisme, pratiquant le sexe de groupe à leurs domiciles ou dans des hôtels. Ma était le seul à plaider non-coupable, revendiquant la légalité de son hobby -hors des lieux publics et entre gens consentants. Nonobstant, les juges l’ont condamné à trois ans et six mois de prison. Ses comparses ont subi des peines plus légères, entre trois ans et la mise à l’épreuve, en raison de leur « bonne conduite » puisqu’ils renonçaient à se défendre.

La célèbre sociologue et sexologue Li Yinhe s’est déclarée déçue du verdict, en retard sur l’évolution de la société. Même si cette même justice, 20 ans en arrière, aurait sans doute fait exécuter Ma : ce qui fut le cas dans les années ’80, d’une femme accusée d’avoir participé à des soirées secrètes de danse.

Malheureux en mariage, deux fois divorcé, le professeur Ma avait ouvert son forum sur internet en 2007, puis créé son club de rencontre de 190 adhérents et organisé 35 orgies, tout en assistant à 18 d’entre elles.

Li Yinhe avait organisé sa défense, déclarant sur internet que «violer la convention sociale, n’est pas violer la loi», tout en posant le débat sur son terrain juste, celui du droit à la vie privée: « la plupart des gens n’apprécient pas les agissements de Ma Yaohai, mais estiment qu’il n’aurait pas dû être poursuivi… Les autorités ne devraient pas interférer dans ce domaine».

Et de fait, 70% des 2000 personnes ayant accepté de répondre à l’enquête de Phoenix TV (la station en pointe sur les sujets sociétaux) partageaient cet avis, comme les étudiants de Ma. Contrairement à 2006 où seuls 40% des 6000 participants au sondage de l’Institut national de sexologie et des genres, croyaient que l’échangisme n’était pas un délit. La Chine évolue vite : en 1989, seuls 15% des Chinois n’étaient pas vierges au mariage, mais ils sont aujourd’hui 60 à 70%.

Sur Internet, dans ce débat intense, nombre d’intervenants dénoncent aussi l’hypocrisie des barons du régime souvent nantis d’une collection d’amantes entretenues par la corruption, mais se protégeant derrière une apparence de morale publique.

Encore en résidence surveillée, Ma Yaohai s’apprête à faire appel. Yao Yongan, son avocat, estime que ce procès constitue un progrès objectif, en accélérant le dégel de la société face au débat réel, celui de l’interférence de l’Etat dans les affaires privées des citoyens: « c’est aux gens de décider ce qu’ils font de leurs corps », conclue Yao.

 

 

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