Petit Peuple : Kaoshan—brigand de bois, bras de bois

Kaoshan—brigand de bois, bras de bois

Cet après midi de janvier 2006, Chang Wei, trésorier du village de Kaoshan (Shanxi), sexagénaire bien conservé hormis une calvitie avancée, retournait de Taiyuan avec 3000¥ retirés de la banque pour sa mairie. Le destin voulut que le bus tombe en panne. Le temps que le chauffeur répare, nettoie le cambouis, reparte, ils débarquèrent à 22h : il lui restait encore 5km à pied, de chemin risqué-où nul en se bon sens ne s’aventurait à cette heure-là.

Ce qui devait arriver arriva : entre craquements d’arbres sous le vent et bruits de bestioles détalant à son approche, Chang Wei vit sous un pâle réverbère, un grand escogriffe sortir voilé de derrière un arbre, escopette au poing, lui dire sobrement : « pas un geste de travers – le fric ou je te refroidis»!

Si Chang Wei fut terrorisé, il n’en laissa rien paraître. Il attendit tout au plus quelques secondes avant de geindre sa réponse : « Pitié ! J’te donne tout ce que j’ai, mais épargne moi! » Il sortit les 3000¥, jouant la tremblote.

Dès lors, sûr de son coup, souriant avec suffisance, le détrousseur poursuivit d’une voix de stentor: ‘Pose ton larfeuille à terre -voilà. Maintenant recule, tourne toi, fais cinq pas!‘ Tout ce cinéma donnait à Chang Wei le temps d’observer le brigand, de chercher le point faible. Il le trouva vite : l’arme, pétoire à moineaux chargée de petits plombs pas assez puissants pour tuer. De plus, d’allure remontant à l’époque des Trois Royaumes, il ne tirait qu’un coup, et il lui fallait 30 secondes bien comptées pour recharger, avant de pouvoir tirer le prochain .

Le malandrin prenait les 3000¥, s’éclipsait déjà quand Chang Wei hurla :

– Pas si vite ! Si j’rentre au village les mains vides, les aut’-y vont dire que c’est moi qu’ai piqué l’oseille. Faut qu’ tu me couvres, j’veux une preuve qu’tu m’as volé.

– C’est çà, s’esclaffa l’autre, tu m’prends pour une pomme ? Quand les flics verront le papier, y’r’montront à moi par la signature – allez calte maintenant, ou je te bute.

Mais Chang Wei poursuivait, pas découragé : « mais non, pas un papier… simplement, si tu me tires dans le bras, à un endroit pas grave, ça suffira à m’éviter la taule. S’il te plait, tire moi dans l’lard—en plus, comme ça, j’aurai un congé de maladie».

Le brigand était mort de rire, au point que son foulard lui tombait du nez : «Alors celle-là, on me l’avait jamais faite! Mais t’es un vrai branquignole ! Mais bon, j’avais envie de te trouer, alors si t’insistes, voilà! » Et comme le caissier tendait le bras pour montrer où tirer, « bang », le malfrat lui troua le biceps.

Voilà Chang Wei à terre, pleurnichant. Le truand l’observe avec mépris, se détourne pour partir, quand sans crier gare, il se retrouve plaqué au sol : à son tour de geindre, l’épaule démise par une clé de kungfu, tandis que le caissier récupère sa liasse, un large sourire aux lèvres.

Une fois passé le temps de réaliser son désastre, «mais comment qu’ t’as fait ?»… le bandit demande.

– ben j’tavais pas dit -tu m’as pas d’mandé non plus- mais j’ai fait 10 ans de commando.

– Mais quoi, halète le gars, j’t’ avais crevé l’bras – c’est d’la diablerie, çà… »

– « Souvenir of Vietnam », réplique Chang Wei, impérial, tout en relevant sa manche pour lui brandir sa prothèse criblée de plomb.

Tandis que le caissier le conduisait vers Kaoshan, pour y passer sa 1ère nuit de derrière des barreaux, le malandrin tête basse, se disait que cette soirée, « il ne l’oublierait pas, même quand il n’aurait plus de dents » : 没齿不忘 chǐ bú wàng !

 

Quanzhou : la passion de Chen Heping

Quand il y a 10 ans Chen Heping, sexagénaire de Quanzhou (Fujian) s’en alla voir des amis de Jinjiang, la ville d’à côté, il ne se doutait pas que la visite changerait le cours de sa vie. Feuilletant chez eux l’histoire de leur famille, il tomba en arrêt sur une référence aux 18 «combattants de cuivre», créés sous les Qing par quelque artisan de génie pour le monastère local. Aujourd’hui disparus, ces robots servaient à la formation guerrière des moines du Kungfu, les forçaient à parer leurs féroces coups de pied et manchettes. Face à ces statues, une armée se serait même trouvée en mauvaise posture, aussi incapable de les dominer que de les détruire.

Menuisier de son état, Chen gagnait sa vie en construisant des ruches. Son grand regret, sur la fin de ses jours, était de n’avoir pas laissé une oeuvre qui lui survive, reflétant sa personnalité. C’est fréquent en ce pays, où dès le stade de l’école, puis dans la vie adulte l’individualité est parfois écrasée au profit du groupe. Alors, lisant ces lignes, un éclair le traversa : « et si je reconstruisais les soldats de cuivre» ?

Il dut d’abord apprendre les rudiments du Kungfu, en décomposer les gestes, devenant lui-même élève de cet art -sur le tard, au prix de bleus et tours de rein. La nuit, il se réveillait en sursaut pour noter tel lancer de bras ou jet de pied, à faire reproduire par son robot. A son atelier, il commença à assembler des êtres grossiers, aux gestes improbables.

Il passa ainsi dix ans à bricoler et à maîtriser des instruments modernes, des techniques inconnues comme la forge, la soudure au chalumeau, la perceuse électrique. Travaillant seul, sans argent, il sentit souvent la fatigue – jamais le découragement. Il rejeta les suggestions des proches de laisser tomber. Désormais, Chen avait un but dans la vie : il irait jusqu’au bout.

En janvier, Chen a sorti son premier automate, à la carcasse de bois et de fer vêtue d’une vareuse gris-bleu à la Sun Yat-sen, et d’un pantalon bleu roi. La tête est cylindrique. Les poignets sont des sphères de roseau tressées semi-souples afin d’amortir les chocs. Derrière lui, un jeu de poulies et de câbles chargés de contre-poids forment le mécanisme lui permettant d’exécuter quelques passes : jeter le bras en avant, lancer la jambe, à des vitesses réglables à volonté. Atteint d’une manchette, il émet un genre de cri de kungfu -pour signaler à l’athlète qu’il a gagné le point.

Invités à découvrir son oeuvre, les frères combattants se sont déclarés enchantés, et l’ont adopté : désormais, l’homme de cuivre habite au monastère, chez eux, au lieu de son incarnation première.

Quant à Chen Heping, sans se laisser éblouir par son triomphe, il passe à la vitesse supérieure : il prétend bâtir à présent les 17 humanoïdes manquants. Leur donner à chacun des gestes personnalisés et mouvements de combat distincts. But avoué: permettre le remake futur de la fameuse bataille antique, humains contre mutants. « maintenant que j’ai appris, ca va aller vite», dit notre menuisier tout fier du bon tour joué au destin : à l’âge où la plupart s’assoient et se résignent, lui, seul et sans maître, a inventé une technique unique au monde : 无师自通 wú shī zì tōng ! (« il a inventé ça tout seul »)

 

 

 

 

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