A la loupe : Un hobby millénaire—le combat de criquet!

D’ordinaire désert, Baoguosi, temple pékinois désaffecté, connaît ce 5 octobre un rare regain d’activité. Face à face en blouse blanche, sous la caméra TV, deux officiants manient d’étranges  ustensiles, autour d’un mini ring de plexiglas. Sur des écrans, la scène est suivie  par quelques dizaines de fans accros, qui commentent à voix basse. On se croirait au coeur d’un office religieux, et c’est un peu le cas, avec tous ces adeptes sacrifiant à un culte antique, annoncé par la banderole accrochée au fronton : «20ème tournoi annuel pékinois de combat de criquets»!

Chaque round suit un rite immuable : sorti du pot où il attendait (avec une femelle, mise là pour renforcer son ardeur), le mâle est classé par poids (de 5,8 à 6,95mg), puis excité d’un coup de pinceau sur les antennes. Puis les rivaux se ruent, s’arc-boutent, se mordent cruellement. Le combat dure moins d’une minute, conclu par le chant de victoire de l’un, ou le saut de fuite du perdant. L’affrontement est rarement mortel. Par tradition, le perdant est relâché, et le gagnant choyé jusqu’au prochain combat —il peut y en avoir jusqu’à 20, durant ses 100 à 120 jours d’existence.

Kou Jinbao, coorganisateur explique. 5 équipes de 10 éleveurs et 300 criquets sont en lice, pour un trophée de 7000¥. Bizarre : les criquets les plus vifs se revendent jusqu’à 10.000 ¥ et l’activité, en fait, est à plein temps… Bien sûr, comme souvent en Chine, il y a de l’argent caché là-derrière : le pari, qui est réprimé (plusieurs arrestations par an), mais qui peut drainer jusqu’à 100.000² par tournoi. Le dopage est si notoire, que les insectes sont isolés ensemble, 48h avant l’épreuve, pour dissiper toute prise de stimulant… Les vainqueurs sont mis à la reproduction, par exemple chez Kou (56 ans), éleveur de père en fils, qui en vend 10.000/an.

Il n’y a qu’une espèce de criquet de combat le «xishuai», et il ne vient que d’un lieu, Nanyang (Shandong) : nul ne peut expliquer la cause de la supériorité guerrière de ce terrible insecte. Malheureusement, dit un amateur quinquagénaire, «le métier se perd. Nous ne sommes plus que 20.000 sur tout Pékin, et sans aucuns jeunes : ils nous trouvent ringards et préfèrent surfer sur internet ».       

Pour les héritiers de cet art, le défi est lourd : son agonie est inacceptable, mais engagée. Depuis les Tang, la joute de criquets compte sa littérature, son ministre-criquet (Jia Shidao, 1213-1275), et même son empereur-criquet, Ming Xuan-Zhong (1427-1464), personnages si envoûtés par le petit animal, qu’ils négligèrent leurs fonctions et connurent des fins tragiques.  « Nous devons changer de conscience », conclut l’amateur, « et surtout de rythme économique, pour nous retrouver… sinon, d’ici 20 ans, notre passé sera perdu, et pas seulement nos combats de criquets, mais tout ce qui depuis 1000 ans, faisait les joies de nos ancêtres » !

 

 

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