A 19 ans, en 1964, Xia Larong dût subir un mariage arrangé. Ayant passé sa vie avec son mari sur des chantiers de construction, sa mère avait cru bien faire en lui léguant une position «stable» en leur ville de Huangshi (Hebei), auprès d’un ingénieur des mines de 2 ans plus vieux.
Mais en fait de stabilité, Larong connut la solitude, avec ses 2 enfants, tandis que le mari volage vaquait à ses mines au bout du pays pour ne revoir les siens qu’au Chunjie : durant ces 12 jours, il n’accordait aux siens qu’une attention distraite.
Délaissée, Larong reporta toute son énergie sur les études et obtint en 1975 un diplôme d’enseignante, et un poste.
Ce succès ne suffit pas à re-conquérir son homme : quand en ’79, après 15 ans de ces missions, il put travailler au bercail, il s’empressa de prendre une amante, dite « 2de poitrine » (保二乃 bao ernai).
Des années passèrent. En 1995, le mari déménagea chez une autre. Prise en otage, Larong garda le silence : sans l’appoint du 2d salaire, elle ne pouvait joindre les 2 bouts. Faire un scandale n’aurait fait que dévaster l’univers mental de ses enfants, et dynamiter son honneur, dans cette bourgade aux valeurs étriquées : une divorcée, ça ne se remariait pas! Ce n’est qu’en juillet 2004, les oisillons envolés depuis belle lurette, qu’elle osa sauter le pas en proposant le divorce : soulagé, il lui laissa l’appartement.
C’était une révolution pour Larong, enfin libre. Elle voulait un partenaire, un amant de la tendresse et de la loyauté. Elle le cria au journal local, qui la publia gratuitement. Elle avait du être éloquente, car la grande presse se dépêcha de la reprendre, suivie des forums de la toile, et des 100aines d’hommes affluèrent, de tous âges et conditions, apparatchiks, officiers, patrons ou profs. De la retraitée, ils ne pouvaient espérer fortune, ni charmes de la jeunesse. Ce qui les faisait courir, à l’aube du grand voyage, était l’espoir soudain d’une rupture d’avec leurs vies sèches – la beauté de l’âme. Face au déluge de courrier, Mme Xia fit appel à d’ex-collègues pour répondre. Dans l’oeil du typhon,elle s’enfuit en escapade avec sa fille, pour échapper à la tyrannie du téléphone…
Elle rencontra aussi certains de ses soupirants – trop tôt sans doute. L’affaire retomba, la solitude resta.
Un an après, contre toute attente, tomba dans sa boite la lettre de Zhang Xinhua, soldat de 75 ans, vivotant à Wuhan sur sa demi-solde. Lui aussi, avait été mal marié, et de force. Sans style mais avec coeur, il témoignait son admiration pour elle, d’avoir su traverser une vie de désert affectif. Ils échangèrent. Il vint la voir à Huangshi. Avec ses enfants pour duègnes, elle lui rendit sa visite. Par bonheur, ils le jugèrent digne d’entrer dans la famille -faute de quoi, en Chine, point d’union.
En la cathédrale de Wuhan, le mariage fut célébré en 2007. Pour cette Bovary chinoise du XXI. Siècle, à 65 ans, c’était la fin de la longue marche vers l’âme-soeur : tel le Phoenix, Larong renaissait, mais cette fois, de ses propres forces (zi li geng sheng,自力更生) !
Sommaire N° 14