Editorial : Jiang à Crawford : le partage d’influence!

Barbecue texan, ballade en yacht: le sommet Jiang-Bush (25/10) s’est déroulé sur un ton intimiste et honorifique : Jiang Zemin étant le 4e  étranger (après Vladimir Poutine, Tony Blair et Abdullah de Jordanie) reçu au ranch de son collègue.

L’objectif primordial était de souder, plus fermement que jamais, un axe sino-US -pour abattre, par exemple, l’ « axe du mal » dénoncé par G.W. Bush.

Ce sommet sans conseillers, journalistes, ni agenda formel, n’a pas issu de résultats apparents. On sait que Jiang, quoique convaincu par les attentats de Bali puis de Moscou, maintient ses réserves sur le projet de résolution US sur l’Irak au Conseil de Sécurité de l’ONU: ce qui laisse incertain l’issue de son vote, cette fin de semaine à NY. On a aussi évoqué la création d’un système bilatéral d’alerte précoce en cas de crise militaire. Et en échange d’un mécanisme de certification des exports d’armes chinoises, vieille revendication des US, G. W. Bush serait favorable à suspendre progressivement (par catégorie et dans le temps) le ban des ventes de hautes technologies militaires, imposé à la Chine depuis juin 1989.

Et puis après ces quelques heures passées ensemble, les deux leaders se sont quittés pour se rendre séparément au grand sommet des 21 pays de l’APEC (Los Cabos, Mexique, 26-27). Etait-ce beaucoup de bruit pour peu de choses ?

Pas vraiment, si l’on observe le rendez-vous de Crawford depuis d’autres plans :

[1] la succession de Jiang: le vote au sommet du PCC, entre deux pouvoirs possibles (Jiang n°1, ou Hu Jintao n°1), semble ne devoir intervenir qu’après Crawford, à la veille du XVI. Congrès (8/11) : situation historique inouïe. Les 3 dernières années ont démontré sans ambiguïté une demande de Jiang de voir reconduire son mandat, et une opposition feutrée croissante à cet espoir. Jiang a pu obtenir le soutien de Bush, en arguant du fait que le passage le plus rapide vers la démocratie passait par lui, au vu des puissants bastions gauchistes contre l’élargissement du PC aux patrons privés, et contre toute velléité de réforme politique.

[2] un partage d’influence sino-US : pour une fois d’accord, analystes chinois et occidentaux s’émerveillent de voir la modération du PCC et sa remise en cause de nombreux principes encore sacrés hier. En 1999 lors de la guerre du Kosovo, seul contre tous, Pékin avait pris parti pour Milocevic. Aujourd’hui, Jiang soutient Bush, même après qu’il ait présenté au Congrès US, en septembre, une Stratégie nationale de sécurité dont le but officiel est d’empêcher tout rival potentiel de «dépasser, ou égaler la puissance des US». Sur tous les plans, la Chine fait des compromis:

a) sur l’Irak : la démarche US la gêne, faisant pression sur l’ONU, menaçant d’attaquer seuls si nécessaire, alors que la Chine vulnérable en énergie, va dépendre d’abord du Proche-Orient pour son approvisionnement en or noir;

b) sur Taiwan: suite à l’affirmation de Bush de défendre l’île, la stratégie chinoise des canonnières est remisée: les liens directs avec la Chine peuvent être rouverts sans précondition ;

c) sur la Corée du Nord, surprise en train de poursuivre, contre ses engagements internationaux, un programme nucléaire offensif, Pékin veut bien associer les US, dans sa sphère d’influence, à une action pour désarmer son petit voisin…

Ainsi, depuis Crawford, c’est une Chine neuve qui apparaît, assez confiante dans ses forces pour éviter de jouer les Machiavel ou les Matamore. Sous cet angle, ce qui a été entamé à Crawford, est un (re-) partage d’influence, en l’ absence d’une Europe et d’un Japon affaiblis.

[3] rassurer les investisseurs : le même principe est appliqué aux entrepreneurs du monde. 55MM$ d’IDE sont attendus en Chine cette année : Jiang à Crawford, consolide le mouvement, en suggérant que son pays fait désormais passer ses intérêts économiques et de sécurité avant tout -même l’idéologie!

[4] maintenir intact l’ONU : détenteur d’un des 5 votes permanents à l’ONU, la Chine croit en sa valeur, comme volant cinétique de la stabilité du monde. Face aux Etats-voyous tel l’Irak, l’autorité supranationale doit être maintenue. Il sera toujours temps de contrer les US plus tard. Pour l’heure, Saddam Hussein peut être déposé,- mais dans les règles, et en tenant compte des sensibilités du monde arabe !

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