Blog : Séisme Sichuan : entre savants et pouvoir…

Bonjour,
La surprise, pour moi cette semaine, est venue par cette « secousse sismique » attardée, neuf mois après le drame, dans la presse chinoise : Fan Xiao, chef ingénieur au bureau géologique provincial, est convaincu que le séisme de force 8 du 12 mai dernier a été provoqué par la mise en eau du barrage de Zipingpu, à 17 kilomètres de l’épicentre. Le réservoir d’un kilomètre cube de capacité (un milliard de mètres cubes) aurait pesé sur la croûte terrestre, multipliant par 25 le stress naturel sur la ligne de fracture passant non loin d’elle.

Ce qui me fait réfléchir, sur la qualité de ce monde scientifique chinois. Toute la communauté chinoise semble intimement d’accord pour éviter d’évoquer les mauvaises nouvelles, les données critiques, négatives, émotionnelles ou polémiques. C’est le proverbe 指鹿为马 « zhi lu wei ma », « montrer du doigt le cerf tout en prétendant que c’est le cheval », ce qui signifie privilégier l’analyse du pouvoir, tant pour avoir la paix, au prix d’une petite triche par rapport à la vérité que l’on connaît, que pour créer ensemble une dose supplémentaire par l’harmonie et la stabilité.
Une autre fois, je vous raconterai – si vous voulez- l’origine antique de cette histoire, attribuée à Cao Cao. Mais pour l’instant, ce qui nous intéresse, est la réaction de cette communauté scientifique, qui vit des sciences exactes, de la réalité objective, et se trouve plus souvent qu’à son tour écartelée entre ses deux types de fidélité toutes aussi intransigeantes, celle envers le cerf, et celle envers le cheval.

Quand la décision du pouvoir est techniquement si peu évidente, les populations civiles risquent. Ainsi, un autre barrage du coin, celui des Trois Gorges, a forcé le déplacement d’1,2 millions de paysans. Des décisions arbitraires ont été prises. Tout en faisant taire toute voix discordante à son projet fétiche, le gouvernement de l’époque a eu un mal fou à faire respecter un minimum de discipline et de normes sécuritaires et sociales. La semaine passée, Pékin annonçait, sans s’étendre davantage, que des centaines de milliers de paysans relogés sur des pentes de 25° autour du réservoir, allaient devoir être à nouveau déplacés : soit parce que leurs terres sont trop arides, soit parce que ces fermiers polluent, par leurs engrais qui vont directement dans cette mer intérieur, favorisant une prolifération végétale de surface.

Tout cela, quand la décision de faire le barrage des Trois Gorges a été prise, fin des années ’80, les scientifiques le savaient, et ils l’ont dit. Mieux encore, les membres de l’Assemblée nationale populaire l’ont su et ont exprimé leur opposition. Lors du vote en 1993, ils étaient près de 1000 à dire non ou à s’abstenir, vote le plus négatif jamais enregistré en cette enceinte. Ce qui n’a empêché l’Etat de passer outre, deux ans plus tard. Autant, pour l’absence de courage supposée des édiles socialistes : dans des cas comme celui-ci, ils prouvent leur capacité à réagir en adultes et à prendre leurs responsabilités.

Aujourd’hui donc, des scientifiques disent une vérité dérangeante, à propos du barrage de Zipingpu, qui aurait été le facteur – le seul facteur- de ce tremblement de terre, le premier séisme causé par la main de l’homme.

Pour Christian Klose, géophysicien de l’Université de Columbia (New York), cette explication du tremblement de terre est le scénario scientifiquement le plus plausible, sur la base de l’étude de données très techniques, telles la réponse élastostatique de la croûte aux changements de masse, de la distribution de la principale rupture sismique à travers la faille, et de la distribution des chocs postérieurs : le poids de l’eau aurait allégé la pression sur la ligne de fracture, tout en l’affaiblissant et renforçant le stress, pour finalement orienter dans une direction très précise la diffusion du séisme.

Les responsables nient, soutenus par des experts de l’Académie des Sciences sociales – la solidarité entre cadres est une nécessité et une tradition, en régime totalitaire. En possession de nombreuses données pour l’instant secrètes, sur l’activité sismique et les niveaux d’eau avant et après le séisme, l’Etat chinois ne se prononce pas, mais est évidemment embarrassé : l’hydroélectricité (près du quart de sa production en 2008) est sa meilleure chance de réduire sa dépendance au charbon (70%)…

La présence de barrages dans la région, interpelle par ailleurs de nombreux experts chinois et étrangers. Avec une bonne, et une mauvaise nouvelle, notées par la revue américaine « New scientist ».

La mauvaise : avec 390 digues concentrées dans cette zone montagneuse à forte activité sismique, le Sichuan et les provinces voisines détiennent probablement le record mondial du plus haut risque de ce type. Ce danger a été choisi et assumé par un pays pauvre à énormes besoins énergétiques.

La bonne : Zipingpu était le plus grand de toute la série. Son design était simple et peu cher, barrage « poids » au tablier de béton soutenu par une épaisse masse rocheuse. Or, Zipingpu a résisté à ce choc effroyable de 7,9 sur l’échelle de Richter. Le tablier a été laminé, l’ouvrage est descendu de 18 centimètres en aval et 70 de hauteur. Mais il a tenu bon. La grande « chance » est que le séisme ait eu lieu en mai et non en juillet : alors, le réservoir aurait été plein, le stress maximal, et Zipingpu, comme d’autres barrages auraient probablement lâché. Alors, les victimes se seraient comptées en centaines de milliers, et non limitées à 80.000, bilan officiel.

NB : la zone sinistrée se reconstruit très lentement. Avec un atout inattendu: le tourisme solidaire, 16,5M de Chinois d’ailleurs, qui sont venus durant les fêtes, se rendre compte par eux-mêmes. Avec un « clou » extrêmement visité : le musée du séisme, à Jianchuan près de Chengdu. Constitué de photos, cartes et milliers d’objets témoins du drame, il a reçu 10.000 visiteurs par jour, souvent en larmes. Car cette Chine, avec ses différences culturelles si importantes, cache ses émotions mais les vit comme nous. Comme dirait Giscard d’Estaing, nous n’avons pas le monopole du cœur !

Qu’en pensez-vous? et à la semaine prochaine

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  1. annie

    le dilemne est vieux comme le monde :l interet de l individu est il compatible avec celui de l Etat?  Il est est evident que la Chine doit s’equiper pour faire face à la demande energetique de sa considerable population ,tant sur le plan humain ( tous les chinois ont droit à une meilleure qualité de vie)que sur le plan ecologique( le charbon tue a cout et à long terme)  mais est-ce au prix de la vie de chaque individu qui aspire a la vie , à vivre à l endroit ou il souhaite ou’ il a ses racines?

  2. Jean

    Comme je disais sur BonjourChine :

    C’est intéressant, mais effectivement, le barrage était quasiment vide. Alors pourquoi aurait-il eu une influence sur le séisme ?
    En tout cas, Zipingpu est maintenant plein.
    Et il est vrais qu’il est tout près de l’épicentre puisque c’est sur les limons du barrage vide que s’est établis un des premiers camps militaire de l’opération de secours de Yinxiu.

    Mais cette région n’a pas attendu d’avoir Zipingpu pour être sujette à de violents séismes. Je peux prédire sans me tromper que, barrage ou pas, il y aura de nouveaux séismes dans la région. Alors ?…

    Je trouve par contre complètement absurde de dire que le barrage puisse être la seule cause du séisme. Les causes tectoniques sont évidentes, une simple observation de la carte permet de s’en rendre compte. De même un voyage dans la région amène naturellement à la conclusion que ce sont des seismes sont extrèmement fréquents… a l’échelle géologique bien entendu.

  3. Pierre

    Neuf mois après ? La montagne accoucherait donc …

    …d’une souris ? Une telle nouvelle devrait provoquer un séïsme.

    Et elle passe presque inaperçue.

     

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