« Sans garantie de sécurité, il ne peut y avoir de succès aux Jeux Olympiques, et sans garantie de sécurité, l’image nationale sera perdue » (Hu Jintao, Président de la République, Premier Secrétaire du PCC)
Les rues sont vides !
A peu de choses près, le climat pendant ces Jeux est pour l’instant clément. Très humide et ponctué de grosses pluies, mais celles-ci raffraichissent et purifient l’air – hier soir, on était enfin nettement en dessous de 30° – il faisait presque frais.
Par contre, ce qui frappe, après trois jours, sont les rues désertes. Peu ou pas de Chinois. Même le soir à San Li Tun, et autour du Lido, lieux d’ordinaire bondés, les bars sont vides. Les quelques étrangers présents sont tous des membres de famille d’un athlète, ou bien badgés – officiels des JO, ou de la presse. Je rencontre bien quelques vrais touristes ca et là, mais toujours me revient cette question lancinante, mais quel maelstrom a pu créer un tel résultat, d’écarter des Jeux leur public naturel? Imaginez un manège qui vient en ville, une petite ville ou rien ne se passe, et quelque chose fait que les éléphants, les clowns et les poneys restent en rade, personne dans l’arène, avec leur grimage et leur harnachement de fête ignorés…
Bien sûr, je rectifie tout de suite le tir : ce n’est pas une question. Rien qu’un constat. Et l’on sait bien comment tout cela s’est produit. Concernant les locaux, 3 à 5 millions ont été écrêmés de la la ville, soit expulsés pour l’été (ou pire), soit encouragés à prendre des vacances. Concernant les étrangers, un manque à délivrer de 100.000 visas est identifié, et en fait sans doute bien plus – derrière Pékin, c’est toute la saison touristique du pays qui fut sacrifiée, voire même, les visas d’affaire et industriels…
Aussi les gymnases sont pleins (à peu près), mais les rues sont vides. Le centre commercial Yashow, d’ordinaire pris d’assaut par des bus de visiteurs de Chine et du monde, est lugubre. La rue Yabao, dite « marché russe », où l’on se bouscule toujours, est lunaire, attendant le client.
Et vous lecteur Pékinois, d’accord, pas d’accord?
Ricksaw attendant le client russe, même avec drapeau – Yabao lu désertée par les acheteurs russes – faute de visa
En faction tous les 20m, 100.000 policiers faussement débonnaires sont là pour empêcher tout être, local ou extérieur, de déployer une banderole, faire un sit-in, lie-in, ou « die-in » comme s’est quand même produit à Tian An Men avant-hier. Les sites de « pétition » officiels ont été fermés et démolis à la masse quelques mois plus tôt. Rien ne doit être dit. Les experts mondiaux de la sécurité, tel Drew Thompson, dans la revue « China Security » note que la coopération internationale dans la préparation des Jeux s’est étendue à tous domaines, de la cuisine à l’architecture en passant par la signalisation des lignes de métro. Tous domaines, sauf la sécurité. Cette insistance sur l’autonomie, l’investissement énorme en moyens et en hommes, rappellent à Thompson une approche de « guerre populaire, particulièrement rassurante pour les leaders, mais pas forcément efficace selon les critères des experts américains« . Autrement dit, ce bouclier politique est moins bon, face aux attentats en train de se produire, que ne l’aurait été une coopération internationale… Mais ceci est une autre histoire !
Spécialement à plaindre sont les 400.000 adolescents volontaires en bleu et blanc, qui se préparaient à leur mission depuis 2 ans : la plupart n’ont rien à faire et restent le temps de leur service, sous une ombrelle avec une bouteille d’eau contre la canicule.Stoïques et braves jeunes, si bien élevés, ils vous sourient, et cachent toute leur déception quand vous les approchez : « may I help you, sir ? »
Les JO, désert des tartares
On aura deviné aussi cette autre denrée des JO qui manque : la liesse, les petites folies de la rue, tels orchestres ou percussions improvisées, l’insouciance sur les visages. Rien de tout cela ici. On voit un peu d’ambiance dans les enceintes olympiques, mais celle-ci se décante souvent en une série de guerillas nationales dans les gradins pour soutenir son champion : ici, les Chinois ne sont ni les derniers, ni les seuls. Intelligemment, les JO ont commissionné de nombreux groupes de clowns, contorsionnistes, musiciens etc, qui assurent les intermèdes entre sets et épreuves. Mais rien de tout cela ne pourrait faire prendre la colle : la rue ne suit pas : la seule expression qu’elle aborde, est l’indifférence, et la discipline.
La fierté, plutôt que la joie
Et pourtant, aucun doute, le Chinois est content. Pas de joie, mais de la fierté, qui en ce pays, lui sert de proxy. Dès la naissance, peut-être par une tradition bien plus ancienne que le socialisme, ce pays est plus à l’aise dans le sentiment collectif, public, partagé (le sentiment du cercle extérieur) que dans celui intime, lié à l’expression de soi (du cercle intérieur).
J’ai reçu hier une carte postale bien faite, chic et tendance, montrant le stade nid d’oiseau. Un ami pékinois m’y disait : « j’espère que tout va bien pour toi – merci d’être avec nous pour partager ce grand moment ». J’ai aussi eu un échange téléphonique avec un autre, qui était comme tout le monde, chez lui dans son fauteuil, à goûter le défilé des prouesses nationales, et thésauriser ses médailles –10 Or, contre 6 aux Etats-Unis, et 5 à la Corée du Sud ce matin. « Mais alors« , me disait il, « qu’est ce que vous faites, les Français? » – l’amitié était ici évidemment teintée de chauvinisme. Cette Chine avait besoin de se sentir plus grande que d’autres, de sentir le dépassement en cours. Pour ce résultat valorisant, on est prêt à bien des sacrifices, dont celui du choix, et du droit à la parole.
C’est ainsi que la Chine récolte ce qu’elle a semé : des médailles, pas du plaisir. Ce n’est bien sûr qu’une phase à passer – mais elle sera longue, en décennies !
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