Bonjour,   
Depuis des années, une théorie ne cesse de courir à travers la Chine – depuis toujours, en fait : Mao reviendrait en vogue, y-compris auprès de la jeunesse, parce que son époque aurait été plus égalitaire, plus simple et solidaire, bref parée de toutes les vertus du monde, au nom de la bonne vieille rengaine de Georges Brassens, 
Une fois quâ²ils ont cassé leurs pipes
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensé,
Les morts sont tous des braves types »
Je crois personnellement que cette fascination, ce retour morbide, comme la collision de lâ²insecte contre le verre de la lampe la nuit, est davantage dérivée dâ²un réflexe naturel, bien décrit par Freud en son temps, celui du symptôme de névrose, qui serait la plainte dâ²un viol subi, sans quâ²on ait le droit de mentionner lâ²auteur du crime, lequel ne serait autre que le père. Père de la nation, ici. Elle est aussi le fait, cette maomanie, des couches dâ²Ã¢ges qui ne lâ²ont pas connue, avec la complicité de celles qui se taisent. Les deux conférences que vient de donner Claude Hudelot à Pékin, quâ²il a redonné ensuite à Shanghai et Hong Kong, nous en donne quelques indices. Consacrées au documentaire de Claude sur « Hou Bo, Xu Xiaobing, photographes de Mao » (co-auteur : Jean Michel Vecchiet), à son livre « Le Mao » sorti en septembre 2009 aux éditions du Rouergue, sur lâ²iconographie du Grand Timonier (co-auteur : Guy Gallice), et au documentaire de Zhang Bingjian « Ready Made » sur deux sosies de Mao, ces soirées nous replongeaient dans une ambiance du passé, offrant une mine inépuisable de faits et dâ²images, et de réflexion sur lâ²homme et la manière dont son époque le percevait. 
La vision des deux sosies de Mao (un homme, une femme) fut fascinante, puis pesante. 
Ces êtres aux vagues ressemblances avec le leader, étaient tous deux bien plus petits (Mao faisant 1m.80) et se trouvant obligés de porter des chaussures orthopédiques spéciales, au prix atroce (27000 yuans la paire). La femme, du fait de sa voix totalement féminine, devait rester muette, mais lâ²homme lui, sâ²entraînait à reproduire certains discours célèbres de Mao avec son accent si paysan du Hunan. Il se produisait dans des foires, à des fêtes publiques, et y remplissait une fonction sociale très précise : celle de restituer pour quelques secondes, à son public, lâ²impression que le seigneur était de retour, quâ²il nâ²Ã©tait jamais parti. Ses efforts scolaires pour se fondre dans la personnalité du leader, étaient pathétiques et décourageants. Il passait des mois et des semaines à maîtriser quelques secondes dâ²apparition de Mao, tel quâ²il lâ²avait fait tel soir de telle année. A sâ²approcher dâ²un mas traînant, à serrer des mains, à prononcer quelques phrases que tout le monde connaît, dâ²une époque révolue. Devant sa famille, il exprimait un « devoir sacré » sans préciser lequel. Et finalement, il me semblait représenter le symbole-même, dans sa vie par procuration, de la société chinoise entière de lâ²Ã©poque, voulant se fondre dans lâ²adoration de son leader, et piétinant ses propres parents, ses propres enfants dans lâ²oubli de tout ce qui ne traduisait pas ce rêve. 
Et puis, nous avons parmi nous, ici en Chine, une célébrité montante. Il se trouve, très heureusement, que son champ d’expression est exactement le même que celui de cette page : je parle de la collaboration entre P Otié, co scénariste,  et de Li Kunwu, dessinateur de Kunming, ayant passé sa vie au service de la propagande du régime. 
    Ensemble, depuis 4 ans, ils ont fait en BD l’autobiographie de Li, en trois périodes classiques (Enfance Mao, jeunesse Deng, maturité sous Jiang et Hu) « Une vie chinoise » aux éditions Kana. Le résultat a dépassé toutes les espérances. La coopération a permis de gommer les aspects idéologiques pour ne retenir que l’essence de l’être, ses dates et souvenirs phares, ses émotions. Li est évidemment le symbole du régime tout entier, dont il a le même âge, et auquel il a adhéré dans ses moments de splendeur comme dans ses errements. En France même, le premier tome déjà paru (ci-dessous) a été bien  suivi par la presse : la forme de la BD étant un outil de dissémination des idées, quand même plus populaire que le livre tout court. « Une vie Chinoise » est même présélectionné (nominé) pour le Festival d’Angoulème, la Mecque de la BD francophone… Ce qui est particulièrement encourageant dans ce projet, est la coopération franco-chinoise, qui réussit à modifier tant la technique que la perception, non pas pour « enrichir la vie » comme disait Guo Muoro, mais pour la restituer, ce qui est le contraire, la revanche de la vie sur l’idéologie !
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Ce samedi, nous avons été au 798, le célèbre centre dâ²art contemporain, voir quelques galeries. Faut il sâ²en étonner, si plusieurs des expos revenaient sur le même thème ? La première, à la galerie SZ Art Center, était de Zhang Dali, célèbre dissident qui sâ²Ã©tait fait remarquer plus de 10 ans en arrière par ces visages au gros nez tagués sur les murs des quartiers voués à la pioche du démolisseur. Entre 2000 et 2008, sur les 65% de Pékin abattus, il en avait fait des milliers, faisant prendre conscience aux Pékinois que leur ville partait, aux leaders que leur peuple savait. 
Cette fois, son expo était consacrée aux photos de Mao, chaque fois par série de deux, lors de la prise et à la publication. 
Un travail complexe et « raffiné » des censeurs intervenait à chaque prise, explicité par lâ²affichage des deux clichés en regard direct : au premier, la scène originale, et au second, le tirage où un ou plusieurs personnages avaient disparu. Soit quâ²ils aient été purgés, soit que le censeur en ait nettoyé la photo, estimant cet être nuisant à lâ²esthétique de la composition. Des étudiants, des ouvriers, tous souriants du bonheur de passer à la postérité avec le leader, étaient coupés. Ancêtre de Photoshop, aux ciseaux et au pinceau Quand Mao portait des rides fraîches, dues au voyage quâ²il venait dâ²accomplir dans son luxueux wagon-lit, on les lui effaçait au pochoir, au talc, au crayon. Un personnage coupé sur un gazon ? On  recréait le gazon, détail par détail. A travers le gazon, dans la version éditée, on a l’impression que l’herbe est différente, dans le coutour de l’éliminé. Son fantôme, peut-être.
Parfois, lâ²envers de la photo portait au crayon les directives du maître-censeur à ses hommes : « couper le 3ème bonhomme à partir de la droite». Très soigneusement cisaillée, une photo était conservée avec toutes les chutes, le tout exposé. Pourquoi avait-on gardé toutes ces dérisoires reliques ? La réponse est aussi évidente que terrifiante : pour pouvoir, en cas de besoin, se retourner contre le censeur, tâcheron anonyme au service du maître, et si la retouche était considérée désobligeante, pour faire descendre lâ²homme en enfer, comme cela a dû arriver.
De tout cela, Zhang Dali dégage les principes de lâ²esthétique totalitaire de lâ²Ã©poque : des principes bonasses, où la réalité devait être « améliorée », « idéalisée » par son contenu socialiste, comme disait Guo Moruo, le poète pompier. 
La propre évaluation de Zhang se trouvait exposée au plafond de la salle. Une dizaine dâ²hommes et femmes grandeur nature y pendaient par les pieds, nus. Les corps étaient blanc pour signifier la mort. Des traces rougeâtres au fondement et au pubis révélaient un viol sexuel. Des inscriptions en noir, à même le corps, des noms et des dates, suggéraient lâ²irrespect du mystère de la mort et la profanation.
A ce quâ²il me semble, ces êtres symbolisaient ceux ayant été arrachés des photos par les censeurs et plus généralement, le peuple chinois entier violé et violeur de lui-même à lâ²Ã©poque, au nom dâ²une folie volontairement acceptée ⲓ comme en Allemagne de 20 ans plus tôtⲦ
                                                          
La série suspendue de Zhang Dali                                                                                                                                      les couperets de Wen Fang
Je passe sur lâ²exposition de la galerie française Paris-Beijing, « Birthday present » de Wen Fang, jeune peintre en vogue, qui sâ²est impliquée dernièrement pour la communauté des « Enfants de Madaifu », à savoir notre très regretté ami Marcel Roux. Selon sa technique, Wen Fang reproduit à lâ²imprimante une photo sur un objet, comme une brique, par exemple. Ici, à Paris-Beijing,  elle avait choisi des centaines de ⲓ vous lâ²aurez deviné- couperets de bouchers, qui se remultipliaient à lâ²infini par un jeu de miroir.
 Et puis nous arrivons, dernière étape, au musée UCCA, de Guy et « Mimi » Ullens, pour « breaking forecast », lâ²expo géante de huit jeunes peintres décrits comme la prochaine génération des « maîtres de la Chine ».  Parmi eux ou elles, je distingue Cao Fei, la cantonaise, qui présente un genre dâ²igloo de 10m de long par 7 de haut, vert sombre, dans lequel lâ²on assiste à la diffusion dâ²une video en boucle : câ²est la « renminbi city ». On y voit que des couleurs claires et limpides, de nombreux paysages imaginaires et des figurations stylisées de certains édifices de Hong Kong (la tour HSBC, dite « le poignard dans le coeur de HK) ou de Pékin (le stade « nid dâ²oiseau »). Le titre de lâ²installation nous prévient loyalement du fait quâ²il y a un piège là dedans. De lâ²histoire sans parole qui défile, on ne voit jamais la fin. Les couleurs ne se fanent jamais. Il nâ²y a jamais dâ²Ãªtre humain. Tout ceci devant nous conduire à deviner que la société socialiste de lâ²argent, la « renminbi city » nâ²est pas faite pour des êtres humains, que la vie biologique est autre part, que lâ²on y est toujours seul. Je note encore que si lâ²on rentre droit et la tête haute, la sortie est baissée, pour vous forcer à vous courber. 
A côté, voici la majestueuse fontaine de Qiu Zhijie, très haute et au fatal débit. Lâ²artiste fujianois nous invite à prendre place sur des bancs. Offre bien utile, pour se laisser bercer dans le bruit de la chute dâ²eau. On ressent vite là aussi la couleur noire, et la construction de cette chute comme les rails avec leurs traverses sombres, dâ²une voie de chemin de fer verticale. Ce nâ²est quâ²en se rapprochant du bassin que lâ²on voit, sur son flanc, les quatre chaises métalliques de jardin, couleur dorée, et la table basse, le tout à demi-submergé. Ici pas plus que dans lâ²igloo, lâ²on ne voit présence humaine. Lâ²impression qui ressort, est celle dâ²une visite sur le site d’une catastrophe, après-coup : le regard sur un monde non durable qui a succombé à son insoutenable légèreté. Impression définitivement confirmée par la présence d’une trentaine de corbeaux que lâ²on découvre enfin, perchés un peu partout ou planant dans lâ²infini. Brrrr !
Enfin, me demandais-je en quittant le 798, mais pourquoi les artistes de tout le complexe, font-ils dans la dépression et le lugubre ?
 
 



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