Blog : Des fils de l’archevêque

Voici quatre jeunes gens dans la fleur de l’âge, aux destins, et aux chances différentes dans la vie. Mais la comparaison a quelque chose de rafraîchissant ce qui, par ces temps de canicule, est bon à prendre.

1° Plus qu’il ne le souhaiterait, Zhou Senfeng fait parler de lui à la radio, à la TV, dans les magazines pipoles et surtout internet. Zhou est le dernier gibier de la meute des millions d’autojusticiers de la toile, qui se jettent sur un être sans défense et le déchirent pour des motifs populistes, genre corruption ou esprit de clocher. Aujourd’hui les happe-chairs se tournent vers une cible sur un autre motif, soupçonnant Zhou Senfeng d’incompétence et de fils à papa.  Zhou vient d’être élu (21/06) maire de Yicheng, ville du Hubei de 230.000 habitants : à 29 ans, il devient le plus jeune maire de Chine, et un mécanisme mystérieux semble s’ingénier, deus ex machina, pour le propulser dans l’hyperespace de la route des honneurs. Durant les 10 mois qu’il vient de passer à Yicheng, il a reçu quatre promotions, après bien d’autres à Xiangfan, son premier poste en 2004, au sortir de Tsinghua la pépinière des futurs leaders.
Les limiers virtuels notent sur le contingent de 181 jeunes diplômés de Tsinghua que cette municipalité avait recrutés en 2004, Zhou est le seul a avoir décollé. D’autres ont retrouvé son mémoire, en dernière année de maîtrise, et y ont retrouvé 50% «pompés» d’une autre étude rendue deux ans plus tôt. La presse réplique en présentant un CV d’impeccable prolétaire, fils de manœuvre dans un four à briques à Yuzhou (Henan). «S’il réussit», disent les témoins, c’est qu’il est génial». Génial, mais pirate ? Ce n’est pas à nous d’en juger.
Au fond, la polémique explicite la jalousie exacerbée chez des dizaines de millions de gens par la crise, quand ils voient une personne ainsi propulsée au sommet. On lit aussi l’obscure certitude qu’un tel succès ne peut être que manipulé: «cherchez le vrai papa», dit un site internet, tandis qu’un autre exhibe une photo de 2007, montrant Zhou en inspection  dans les rizières, aux côtés du premier ministre Wen Jiabao. D’autres montrent un autre cliché, probablement falsifié à photoshop, et qui décrit donc moins la réalité, que de l’inconscient collectif des internautes : un Zhou affublé de la coiffure du Président, symbole de « gaogaozidi », fils de haut cadre, ou en français, « de l’archevêque ».
A cette lame de fond de spéculations oiseuses, la réponse du jeune maire semble raisonnable, légitime, et désabusée à la fois : « laissez-moi tranquille !»

2° A part leur âge (29, et 28 ans), Zhang Guo et son collègue Long Xiaowei partagent avec Zhou peu de chose, surtout sous l’angle de la baraka. Ingénieurs électroniques, ils ont été recrutés par la firme Jiangbo en sous-traitance pour ZTE, un des plus grands groupes de matériels de téléphonie du pays, pour aller travailler en expatriation sur un chantier au Pakistan dans la région de Dir, un fief intégriste. Or en août 2008, les deux hommes furent kidnappés par les Taliban et ne purent s’évader que trois mois plus tard. Pire : Zhang réussit, mais Long, s’étant brisé la cheville, fut repris, et libéré seulement en février, mal soignés. Ils passèrent encore quelques mois entre l’hôpital (où Long dut subir une nouvelle intervention pour se faire ôter une plaque d’acier), et un psychologue pour affronter le stress post-traumatique.
Durant toute cette épreuve, ils furent seuls,  et délaissés. Jiangbo leur avait infligé une coupe d’un tiers sur leurs salaires, durant les journées en détention –estimant peut-être que c’était bien assez payer pour des gens qui se tournaient les pouces. A un point, leur misère fut telle qu’ils durent quitter l’hôpital, faute de pouvoir payer – l’employeur depuis longtemps, avait rompu les ponts. Le pire était encore à venir : enfin rapatriés dans leur Shanxi, ils constatèrent que la part de salaire payable au pays,  avait aussi été rognée, et qu’on leur avait mis sur leur compte les frais de l’assurance obligatoire : cette fois, c’en était trop ! Zhang avec Long porte plainte contre les employeurs, pour abandon et rupture de contrat.  
Craignant pour sa bonne image, ZTE, la multinationale fait le dos rond, et parle de régler l’affaire « rationnellement », cherche à s’en tirer sans trop de casse, ni trop payer… Voilà deux jeunes gars qui eux, ne sont pas nés coiffés !

3° Entré dans notre orbite par un hasard improbable (natif de Bordeaux, comme Brigitte, et connaissance d’une de ses tantes), Florian, étudiant français de 26 ans dînait chez nous cette semaine. Ne mangeant plus que chinois, il s’est gobergé de bonnes choses dont il a oublié le goût (potage potiron, tranches de poulet pané milanaise, comté, mousse au chocolat). Ce soir là, j’ai été impressionné, et garde de ce garçon, grand et maigre, une impression de détermination admirable.
Ayant commencé en France des études de commerce, Florian arriva en 2006, à 22 ans, à la conclusion que pour réussir dans ce qu’il voulait faire, il ne pourrait faire l’impasse sur la langue chinoise. Il est donc venu, et s’est inscrit dans une grande université de Pékin. Il a d’abord passé deux ans dans un labeur héroïque et solitaire, à bouffer jour après jour des dizaines d’idéogrammes, les digérer, les oublier, les réapprendre. Puis il s’est lancé dans un master de relations internationales, fn langue chinoise, face à des congénères chinois qui, dit-il, se moquent parfois de lui, parce qu’il met un peu plus de temps qu’eux à lire ou à écrire, qu’il fait parfois plus de fautes. Mais à mes yeux, le résultat est éblouissant : en quatrième année, il écrit, lit et parle très naturellement la langue, avec une maîtrise des tons, une des meilleures que j’ai jamais entendue.
Pour parvenir à ses fins, ses sacrifices sont peu croyables. Il habite une mansarde infecte, petite et sombre qu’il partage avec une « co-loque » locale, fille triste et névrosée, à l’en croire, avec laquelle il n’échange jamais un mot. « Quand j’amène une amie à la maison, nous dit-il, même sans que nous fassions quoique ce soit, elle tape sur les murs » – ambiance. « Moi qui suis étranger, j’ai sans doute plus d’amis chinois qu’elle » – la misère se tapit bien, dans Pékin, comme peut -tre partout au monde, il est vrai. Ca fait penser à « le locataire », le film tiré par Polanski de la nouvelle de Roland Topor. Peut-être, après tout, les conditions de convivialité de la France de 1976, valent celles de Pékin de 2009…
Pour payer les 2500 euros de frais d’étude, et les 500 à 1000 dont il a besoin pour sa vie courante, Florian mène une activité insolite : au Hilton de Pékin (3ème périph.), du mardi au jeudi, de huit heures à minuit, il fait DJ. Il a pratiqué l’activité toute sa vie, d’abord comme passe-temps d’ado, avec des disques de vinyle, puis avec du software sur son ordinateur. Un manager du Hilton l’a repéré dans une boite de la ville, faisant danser un plateau d’une cinquantaine, et l’a débauché. C’est une nouvelle vie nocturne, à part entière, avec une équipe très soudée entre barmen, filles de salle, videur et lui, vie bariolée où les rencontres se succèdent, l’empêchant décidément de s’ennuyer.
Après 4 ans de Chine en immersion totale, des Chinois il comprend leur manière de penser. Florian voit (ou ne voit pas ?) son cerveau dériver, se transformer. Son élocution n’est plus normale, mais plus lente, un peu traînante. Il cherche parfois ses mots en français. Et comme nous, ses valeurs ont bougé, vision du monde, de manière à nous permettre de garder un pied dans un camp.
Pas grave : Florian, l’an prochain, conclura ses études par 9 mois de MBA de commerce en Amérique, avant, probablement, de retourner ici pour fonder son équipe de commerce international, avec les meilleurs atouts du monde, rassemblés de haute lutte. Par rapport aux deux premiers portraits de cette page, il me semble que ce jeune français illustre une vérité simple : la chance, ça se conquière, et se mérite !   

 


 

 


 

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  1. chloé

    Les expatriés français sont-ils totalement inconscients ou n’ont-ils juste pas de chance? Ils seraient en effet les plus kidnappés au monde avec les Allemands mais après les Chinois selon une étude du leader mondial de l’assurance kidnapping et rançon

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