Défense : Missile chinois dans le Pacifique : un « test de routine » inédit depuis 44 ans  

Missile chinois dans le Pacifique : un « test de routine » inédit depuis 44 ans   

Cela n’était plus arrivé depuis 1980. Le 25 septembre, la Chine a annoncé avoir effectué avec succès un tir d’un missile balistique intercontinental dans l’océan Pacifique : l’ICBM, transportant une ogive factice (en lieu et place d’une ogive nucléaire), a été lancé par la « Force des missiles » de l’Armée populaire de libération (APL).

Selon le ministère chinois de la Défense, il s’agirait d’un « test de routine dans notre plan d’entraînement annuel », ajoutant que le missile « est tombé dans des zones maritimes attendues » et n’était dirigé « contre aucun pays ou cible ». Deux avertissements de navigation maritime et aérienne ont été émis deux jours avant (23 septembre) pour les zones situées au nord-ouest et au nord-est du pays et étaient « liés au lancement ». Les avertissements citent spécifiquement des opérations spéciales « menées par la Chine ». Cependant, la nature même de ces opérations reste floues et ne semble pas avoir été précisée comme relevant d’un lancement IBM. Les missiles ont probablement été tirés depuis Hainan ou à proximité, et ont atterri quelque part près de la Polynésie française. Le fait que le lancement du missile depuis Hainan plutôt que depuis un silo intérieur signifie qu’il s’agissait très probablement d’un test de son nombre croissant de missiles longue portée mobiles sur route.

Plusieurs éléments sont à analyser dans cet épisode. Commençons par un point moins développé dans les recensions sur ce lancement : l’étrange dissensus au niveau des « alliés » quant à sa préparation et à son annoncement. Selon le site d’information Xinhua, la Chine a « informé à l’avance les pays concernés », sans préciser la trajectoire du missile ni l’endroit où il est tombé. La France et les Etats-Unis ont indiqué avoir bien été notifiés par les autorités chinoises de ce test. Un porte-parole du Pentagone ajoutant qu’il s’agissait d’un « pas dans la bonne direction pour réduire les risques de mauvaise perception et d’erreur de calcul ».

Mais ce n’est pas tout à fait la perception du Japon, de la Nouvelle Zélande ou des Philippines. Le porte-parole du gouvernement japonais, Yoshimasa Hayashi, a déclaré que le Japon n’avait pas été informé avant le lancement et que le renforcement militaire rapide de la Chine était « très préoccupant ». Un responsable des garde-côtes japonais a, lui, déclaré avoir reçu le 23 septembre un avertissement de navigation de la part de la Chine concernant des « débris spatiaux ».

De même, les autorités philippines ont indiqué que deux avis de sécurité maritime et aérienne concernant les zones situées au nord-ouest et au nord-est du pays avaient été émis, mais sans certitude apparente concernant le fait qu’il s’agirait d’un lancement d’ICBM. Enfin, le ministre néo-zélandais des Affaires étrangères a déclaré que l’atterrissage d’un missile balistique intercontinental dans le Pacifique Sud était « préoccupant ».

Cette différence de traitement et de perception peut être due au fait que la France et les Etats-Unis sont elles-mêmes des puissances nucléaires et ont recours à de tels exercices. Ainsi le 18 novembre 2023, l’armée française avait annoncé avoir effectué avec succès un tir d’essai d’un nouveau missile balistique lancé par sous-marin (SLBM) depuis une base d’essai terrestre.

Est-ce que cela signifie pour autant qu’il s’agisse d’un exercice de routine, ne visant personne en particulier, comme l’affirme le porte-parole du gouvernement chinois ? Pas vraiment et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, on ne peut pas vraiment parler d’exercice de routine pour un lancement annoncé à mots couverts et plus effectué depuis… 44 ans !

Ensuite, le lancement de missiles à longue portée en dehors des frontières territoriales de la Chine est très rare, l’APL préférant effectuer des essais de missiles dans des provinces éloignées, comme la Mongolie intérieure. De fait, le premier missile balistique intercontinental connu de la Chine a été testé en 1980 et tomba entre les îles Salomon et Nauru dans le Pacifique Sud. L’événement marquait d’ailleurs le début de son programme de missiles balistiques « Dongfeng ».

Enfin, 44 ans plus tard, le test probable du DF-31 (cf photo), conçu pour emporter une arme thermonucléaire d’1 mégatonne, témoigne d’un saut qualitatif important de l’APL. Ainsi, quand le gouvernement parle d’un « exercice normal », il s’agit, comme souvent de la part du pouvoir « communiste », d’un discours performatif : « dire, c’est faire ». En disant qu’il s’agit d’un « exercice de routine », la Chine veut en fait préparer l’opinion à ce que l’exercice puisse devenir routinier. En disant qu’il s’agit d’un « lancement normal », la Chine veut normaliser son accès au statut de grande puissance militaire et nucléaire.

La Chine possède en effet plus de 500 ogives nucléaires opérationnelles dans son arsenal, dont environ 350 ICBM, et pourrait en posséder plus de 1 000 d’ici 2030, selon le Pentagone, à comparer aux 1 770 et 1 710 ogives opérationnelles déployées respectivement par les États-Unis et la Russie.

Est-ce que donc on peut affirmer clairement que le test ne vise personne ? Certes, comme souvent en Chine, le pouvoir se parle d’abord à lui-même et la première cible de la propagande chinoise reste les Chinois et l’ensemble des échelons intermédiaires de gouvernance.

De ce point de vue, le lancement d’essai peut être lu comme une mesure visant à restaurer la confiance et le moral au sein des « Forces des missiles », ébranlées par plusieurs enquêtes pour corruption ayant impliqué de hauts responsables militaires : le commandant des Forces des fusées, Li Yuchao, et son adjoint, Liu Guangbin, remontant jusqu’à l’ancien ministre de la Défense, Wei Fenghe.

Il s’agirait aussi de faire taire les rumeurs selon lesquelles les soldats de cette même unité auraient utilisé le combustible solide des missiles pour cuisiner en remplissant d’eau les réservoirs vidés.

En outre, l’essai balistique intervient après l’essai russe raté, quelques jours plus tôt, du lancement de son missile balistique intercontinental Sarmat, également connu sous le nom de Satan II : une image satellite montre un grand cratère et les restes d’une possible explosion sur une rampe de lancement du cosmodrome de Plesetsk, dans le nord de la Russie.

Par-là, la Chine fait coup double dans son « amitié sans limite » avec la Russie : Pékin montre être capable de suppléer les déficiences russes vis-à-vis des Etats-Unis et de l’alliance occidentale « otanesque » et « QUADique », tout en montrant aussi à Moscou qui est le véritable « patron ». Un délicieux retournement de situation que les néo-maoïstes chinois doivent apprécier face à l’ancien « grand frère » stalinien donneur de leçons.

Enfin, bien entendu, la Chine entend rappeler à toutes les puissances de l’Indo-Pacifique qu’elle peut toucher tout le monde, partout : non seulement à Manille, Canberra et Tokyo mais aussi San Francisco et Los Angeles. Cette démonstration de puissance et de fiabilité d’un lanceur nucléaire rajoute aussi évidemment à l’anxiété nucléaire de la région Pacifique et du monde en général.

Par Jean-Yves Heurtebise

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1 Commentaire
  1. severy

    C’est inquiétant, en effet. N’oublions pas qu’envoyer un missile nucléaire chez l’ennemi, c’est en recevoir un (ou plusieurs) sur son propre territoire, vu la riposte qui suivrait.

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