Editorial : Le « China First » de Xi Jinping

Le « China First » de Xi Jinping

Voilà une annonce qui a fait couler beaucoup d’encre : lors du sommet BRICS qui se tiendra à Rio de Janeiro (Brésil) entre le 5 et le 8 juillet, la Chine ne sera pas représentée par Xi Jinping, comme cela a été le cas lors de chaque sommet depuis 2009, mais par son premier ministre Li Qiang*.

Rappelons que le forum BRICS est une organisation intergouvernementale regroupant dix pays : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, puis, depuis 2024, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Indonésie, l’Iran et les Émirats arabes unis. La candidature de ces pays avait été annoncée en août 2023 en même temps que celle de l’Argentine, avant que l’élection de Javier Milei ne conduise à sa défection. En 2025, l’Indonésie est devenue le premier membre d’Asie du Sud-Est à rejoindre l’organisation. De sorte que le terme de « BRICS+ » est le plus adéquat pour rendre compte de la réalité fort composite et hétérogène de cette plateforme du « Sud Global ». D’autant plus qu’aux Etats membres s’ajoutent dix pays « partenaires » : Biélorussie, Bolivie, Cuba, Kazakhstan, Malaisie, Nigéria, Thaïlande, Ouganda, Ouzbékistan et Vietnam.

Selon les chiffres du Global Times, ce bloc élargi représente près de la moitié de la population mondiale et environ 40 % du PIB mondial mesuré en parité de pouvoir d’achat. Mais, comme la plupart des grandes organisations régionales en ces temps de fort nationalisme étatique et de souverainisme culturaliste, l’unité et la cohérence du groupe prête à questions et sous la rhétorique commune mais lénifiante de « non-alignement » et de « contrepoids à l’Occident » de nombreuses divergences apparaissent, notamment sur la perspective d’une « dédollarisation » de l’économie mondiale qui est activement revendiquée par la Chine, l’Iran et la Russie, mais qui n’est pas à l’ordre du jour pour l’Inde, le Brésil ou les Émirats arabes unis.

La menace de Trump d’imposer des droits de douane de 100 % aux membres des BRICS qui tenteraient de miner le dollar américain comme monnaie de réserve a aussi joué. D’autant que, plutôt que de faire front comme le font les pays de l’Union Européenne (UE), face au chantage aux droits de douane dont l’Amérique de Trump menace la planète, chaque pays essaye d’obtenir le meilleur accord possible avec Washington, potentiellement aux dépens de leurs relations commerciales avec la Chine.

L’absence de Xi Jinping au sommet de Rio peut s’interpréter de nombreuses façons. La manière la plus positive et la plus simple est que le poids de la Chine est désormais tel au sein des BRICS+ que la présence ou non du dirigeant chinois n’est plus si nécessaire à la bonne marche de l’organisation.

La manière la plus négative et la plus hypothétique de lire cette absence est de la relier à certaines rumeurs qui entourent Xi Jinping. Selon cette grille de lecture, entre les deux factions principales, celles des anciens du Parti et celle de Xi, la lutte interne serait en train de culminer avec un nouveau changement en vue des rapports de force, aux dépens de Xi dont la santé serait « déclinante ». Le 28 juin, un étrange article du New York Post, signé d’un ex-consul US aux Bermudes, voyait dans les récentes purges de dizaines de généraux de l’Armée populaire de libération (PLA) fidèles à Xi, un signe que Zhang Youxia, l’actuel vice-président de la Commission militaire centrale (CMC), en concertation avec les anciens du PCC, voudrait pousser Xi vers la sortie pour donner les pleins pouvoir à l’ex-n°4 du Parti, Wang Yang

Une manière plus concrète de voir cette absence est de la comprendre comme un signe des rivalités grandissantes entre membres des BRICS aux intérêts toujours plus divergents (entre l’Inde et la Chine, l’Iran et les Émirats, la Russie et le Kazakhstan, etc.) et à la forme économique chancelante. Maintenir l’équilibre entre ces puissances relève de l’exploit. Le fait que le président indien Narendra Modi ait été invité à un dîner d’État par le président Lula pouvait passer à Pékin pour un affront à la prééminence chinoise et un positionnement en faveur d’une version des BRICS moins anti-occidentale, plus Trump-compatible qu’originellement souhaitée.

Plus encore, le fait que le président russe ne puisse se rendre en toute sécurité à Brasilia du fait du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale qui pèse contre lui, pourrait avoir pesé dans la décision. Sans dire que Xi Jinping n’ait décidé de ne pas se rendre au Brésil, officiellement pour des raisons officielles de conflit d’agenda, par « solidarité » avec la Russie de Poutine, le fait que Xi Jinping se soit rendu récemment à Astana (Kazakhstan) pour une visite d’État et une participation au sommet Chine–Asie centrale pourrait indiquer simplement un recentrage nécessaire sur l’Eurasie.

De ce point de vue, il y aurait une forme de cohérence avec la déclaration supposée de Wang Yi à Kaja Kallas, la vice-présidente de la Commission européenne en charge des affaires internationales de l’Union, selon laquelle « Pékin ne voulait pas voir une défaite russe en Ukraine de peur que les États-Unis ne portent toute leur attention sur Pékin », contredisant ainsi la position officielle de Pékin selon laquelle la Chine ne serait pas partie prenante du conflit. Le fait que Wang Yi ait voulu « faire comprendre » à l’Europe la position chinoise sur la guerre russe s’ajoute au fait que le sommet qui doit marquer 50 ans de relations diplomatiques entre l’UE et la Chine, fin juillet à Pékin, ait été raccourci d’une journée.

Cette mise au point intervient alors que l’UE s’apprête à inscrire sur sa liste noire deux petites banques chinoises pour avoir enfreint ses sanctions contre la Russie : Wang Yi aurait signifié à Kaja Kallas que la Chine riposterait si les prêteurs chinois étaient inscrits sur la liste. Le message de Pékin est sans doute que la Chine ne veut pas faire face à un second effondrement russe, après celui de l’Union soviétique en 1991, qui pourrait venir d’une défaite de Poutine face à l’Ukraine.

Ainsi, le recentrement sur des affaires internes joint à la solidification de l’alliance avec la Russie, dans un contexte de guerre économique avec les États-Unis vis-à-vis de laquelle les différents dirigeants des BRICS+ ne sont pas alignés, peut davantage expliquer l’absence de Xi au sommet de Rio que de perpétuelles luttes intestines.

Par Jean-Yves Heurtebise

* A noter que le leader chinois s’était déjà fait représenter par Li Qiang lors du G20 de Delhi en 2023.

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